Ces trois derniers mois, Matthieu Ricard était dans son ermitage, isolé de tous au Népal. Sa pause annuelle. Pour la sortie de son nouveau livre et ses nombreuses activités, il se transforme, en ce moment, en véritable moine globe-trotteur. Entre une conférence à La Mutualité à Paris et une autre à Zurich, il était de passage à Lille...
La méditation, c'est quoi au juste ?
>> C'est une façon de se familiariser avec une nouvelle manière d'être. Ce n'est pas faire le vide, ni s'asseoir sous un manguier ! C'est juste un entraînement de l'esprit qui vise à développer des qualités dont nous avons tous le potentiel mais que nous laissons en friche.
Lesquelles ?
>> L'amour altruiste, la compassion, la paix intérieure, par exemple. Ce qui m'étonne c'est qu'on passe des années à apprendre la lecture, un métier... mais qu'en ce qui concerne les qualités humaines on se dit que cela viendra avec l'exposition à l'existence, que la vie nous apprendra. Mais elle nous apprend les choses de façon chaotique, la vie. Elle nous apprend jusqu'à un certain point. Mais ce point est assez faible.
Y a-t-il des méthodes pour méditer ?
>> On ne peut pas méditer en faisant n'importe quoi. Il faut consacrer un certain temps à cette maîtrise de l'esprit et cela en vaut la peine. On va chercher un coin de tranquillité pour ne pas être trop perturbé par ce qui se passe autour de soi. Il faut se mettre dans une posture confortable mais quand même bien équilibré. Ensuite il ne s'agit pas de chercher à faire le vide. On ne peut pas annihiler la créativité de l'esprit. Cela ne marche pas. Mais il faut se préparer à un certain calme intérieur et puis se concentrer.
Sur quoi ?
>> Cela dépend des qualités que nous voulons développer. Par exemple, si c'est l'attention, il faut se concentrer sur un objet ou sur le va-et-vient de son souffle pendant 10, 15 minutes chaque jour. Si vous souhaitez développer l'amour altruiste, vous vous concentrez sur quelqu'un qui vous est cher. Il faut laisser ce sentiment monter en vous et le laisser peupler tout votre paysage mental. Et si vous prenez l'équivalent en neurosciences, vous vous apercevez que n'importe quel entraînement transforme le cerveau. C'est ce que l'on appelle la neuroplasticité.
Vous menez également des études scientifiques sur les bienfaits de la méditation...
>> Oui avec des grandes universités américaines et suisses. Il faut faire en sorte que la méditation soit prise au sérieux. Si on prouve qu'il y a des modifications psychologiques, immunitaires et de l'équilibre émotionnel différentes d'un groupe témoin à un autre qui n'a pas suivi le même entraînement, on se dit qu'il y a là quelque chose qui induit des changements durables et bienfaisants. Les études qui sont menées maintenant depuis dix ans en neurosciences ont montré que la méditation à long terme modifie la faculté d'attention, la faculté régulation émotionelle... Cela peut constituer une contribution tout à fait utile à la société.
Comment ?
>> On peut très bien concevoir d'introduire - et cela commence à se faire - ce type de méditation dans des écoles purement séculaires et laïques. Il ne s'agit pas absolument pas de faire du bouddhisme sous le couvert de la méditation. Mais je pense que si une chose est juste et vraie, elle est vraie et bonne pour tout le monde. Pas seulement pour les bouddhistes.
Comment évolue la situation au Tibet ?
>> Il y avait un grand espoir pour qu'après les JO la situation s'améliore. Les représentants du gouvernement tibétain en exil et le Dalaï-lama ont présenté un plan où tous les points d'une autonomie au sein de la Chine étaient fondés sur des articles de la Constitution chinoise. Malheureusement, le gouvernement chinois a encore rejeté en bloc toutes ces propositions.
« L'art de la méditation », Matthieu Ricard, éditions Nil, 12,50 E.
MATTHIEU RICARD « Il faut apprendre la méditation à l'école ! »
Matthieu Ricard en dates
[1946] Matthieu Ricard est né à Aix-les-Bains. Il est le fils du philosophe Jean-François Revel et de l'artiste-peintre Yahne Le Toumelin. Il a étudié la génétique cellulaire à l'Institut Pasteur.
[1967] Il se rend une première fois en Inde pour y rencontrer les grands maîtres spirituels du Tibet.
[1972] Après avoir terminé sa thèse de doctorat et alors que François Jacob (Prix Nobel de biologie) l'avait appelé pour travailler à ses côtés, il arrête sa carrière scientifique pour se consacrer à l'étude et à la pratique du bouddhisme. Il s'installe dans l'Himalaya. Les films du journaliste Arnaud Desjardins sur les grands maîtres tibétains fuyant l'invasion chinoise sont à l'origine de sa vocation. «C'était comme si je découvrais 20 saints françois d'Assises vivants. Je me suis dit : "C'est là qu'il faut que j'aille.".
[1989] Il devient l'interprète français du Dalaï Lama.
[1997] Matthieu Ricard publie Le Moine et le philosophe, une conversation avec son père autour du bouddhisme qui s'est vendu à plus de 350 000 exemplaires.
[2000] Il intègre le Mind and life Institute qui facilite les rencontres entre la sciences et le bouddhisme. Il participe à des travaux de recherche qui étudient l'influence de l'entraînement de l'esprit sur le cerveau. travaux menés en collaboration avec les niversités de Madison-Wisconsin, Princeton, Berkeley aux Etats-Unis et de zurich en Suisse.