La cause d’une maladie n’est pas son sens
Dans
trop de démarches de compréhension et de « soins » il y a confusion
entre la recherche de la cause (pour expliquer, justifier la maladie) et
la tentative d’en comprendre le sens.
Trop
souvent, en effet, nous donnons une explication à la maladie,
c’est-à-dire que nous trouvons une cause matérielle ou physiologique ou
une cause psychologique. « Depuis que mon mari m’a quittée, j’ai des
insomnies ».
Cette
tentative d’explication d’une somatisation, d’un dérangement, d’un dysfonctionnement constitue pour moi un leurre. Il ne s’agit pas de
rechercher la cause, l’explication de la maladie, du traumatisme mais
bien sa signification, c’est-à-dire concevoir la maladie comme un
langage dans une chaîne de signifiants qui nous échappe. Ainsi les
insomnies de cette femme peuvent avoir comme sens une auto-privation,
une punition qu’elle s’inflige pour avoir désobéi à son père qui lui
avait dit: « tu ne dois pas te marier avec un type comme ça, tu me
déçois beaucoup ». Cherche-t-elle ainsi à renouer avec son père, à lui
marquer son allégeance: « tu avais raison papa, regarde comme je suis
punie ». Nous n’en savons rien, mais en « travaillant » sur la recherche
du sens, plus que de la cause, nous obtenons souvent un changement, un
abandon du symptôme, une restructuration d’une relation essentielle.
Quelle
signification prennent ces otites chez ce bébé? « Maman, tu ne
m’entends pas, tu n’entends rien ». C’est bien d’oreilles à déboucher
qu’il s’agit, mais pas de celles que l’on croit.
Combien
de psoriasis invincibles, traités, soignés depuis plusieurs années par
des dermatologues compétents… mais parfois sourds, vont « éclater », se
dissoudre littéralement quand la violence qui les contient pourra se
dire.
La
colère terrible de cette femme de trente-deux ans contre sa sœur qui
lui avait volé le prénom de sa poupée… à cinq ans, lui permettra de «
lâcher » un psoriasis tenace… qui ne demandait qu’à être entendu !
C’est
le retour du refoulé qui va libérer ces points de fixation, d’ancrage
et permettre de lâcher prise sur une « inscription, un germe de conflit,
un point de tension ».
Bien
sûr, la mère de cette jeune adolescente de treize ans ne sait pas
qu’elle inscrit dans le corps de sa fille un « jugement sans appel »
contre ces gens qui ne savent pas aimer une seule personne à la fois »
(elle parlait peut-être de son ami qui a plusieurs relations). Et quand
cette jeune fille de quinze ans va se sentir attirée par deux garçons à
la fois… elle sera prise de violentes crises (diagnostiquées comme
crises d’appendicite) – c’est son conflit qu’elle dira (je tiens à eux, à
tous les deux) ou son attachement à sa mère (je ne veux pas la
décevoir) et à l’image qu’elle a intériorisée (je ne veux pas être vue
comme une fille facile ou une putain..). A la troisième crise (quelques
minutes avant de partir à l’hôpital pour l’opération de l’appendice), un
échange avec un ami de passage « ouvrira » le conflit, fera éclater «
l’abcès » de ses contradictions et lui permettra de s’accepter mieux
dans ses attirances multiples.
Stéphane
a huit ans, c’est le soir de son anniversaire. Sa mère, célibataire, a
réuni autour de lui ses grands-parents et une tante. Tout s’annonce
bien, il est joyeux, détendu. Et puis le téléphone sonne, c’est l’ami de
sa mère qui souhaiterait passer quelques jours avec elle. Elle
l’invite, donc. Très peu de temps après l’arrivée de l’ami, Stéphane
commence une poussée fébrile, il sera ausculté, palpé avec prise de
température, il a 40°8. Il s’alitera. Le repas d’anniversaire se passera
sans lui… autour de l’ami de maman.
Cette
petite fille de dix ans et demi rentrant de camp de ski fut prise de
maux de ventre violents, de vomissements, de malaises. Cela dura plus de
deux mois jusqu’au moment où elle put dire à sa grand-mère qu’elle
avait embrassé un garçon sur la bouche et qu’elle avait entendu à la
radio que le sida pouvait s’attraper par le baiser.
Paule,
mariée depuis douze ans, deux enfants, est enceinte pour la troisième
fois. Son mari n’accepte pas sa grossesse et lui dit: « si tu gardes ce
troisième enfant… je divorce. » Paule fera une IVG et depuis, elle a des
hémorragies importantes, brutales, irrégulières. Sur le plan physique «
tout est en règle ». Qui lui permettra « d’entendre » où se trouve sa
blessure? Qu’est-ce qui saigne en elle? Qui l’écoutera pour qu’elle
entende, elle, cette partie blessée qui s’est révélée avec
l’interruption de grossesse? Paule mettra ainsi six ans (avec l’aide
d’un tout petit évènement) pour découvrir et reconnaître que ce qui
était blessé, « fissuré » en elle, c’est la relation avec son mari.
L’enjeu qu’il avait posé, « c’est moi ou l’enfant », avait cassé quelque
chose dans leur relation… et le sang des hémorragies disait cette
béance entre eux.
Il
s’appelle Jean et c’est le prénom du frère de la mère, mort très jeune.
Il porte ce nom comme une trace, celle de la blessure vécue par sa
mère, petite fille, qui adorait ce grand frère. Comment peut-il avoir du
plaisir et se présenter comme un être de sensualité? Sa fidélité… lui
dictera de s’autopunir, de s’anesthésier au niveau des sens et du
plaisir et de ne pas entretenir trop vivante la vie qu’il porte. Jean a
une relation suivie avec une jeune femme depuis six ans, mais il
n’éprouve « aucun plaisir avec elle ». Ses érections ne le conduisent
qu’à s’introduire puis à attendre… et il ne se passe rien. Son «
impuissance » à entrer dans le plaisir le conduit à consulter un
sexologue.
Pierre
est un Israélien qui fait ses études en France. Il fréquente une jeune
fille avec laquelle il vit et dans quelques mois, il aura son diplôme
d’ingénieur. Ses parents décident de venir le voir, avec l’intention de
lui rappeler ses engagements à l’égard de son pays, c’est-à-dire qu’il
devra rentrer après son diplôme. Pierre est partagé, il aime son amie,
il s’est attaché à la France et n’envisage pas de rentrer « tout de
suite » dans son pays. Quand ses parents décident d’abréger leur séjour
et de repartir, Pierre propose de les accompagner en voiture à
l’aéroport. Sur l’autoroute, juste à quelques kilomètres de l’aéroport,
il s’arrête dans un parking pour satisfaire un besoin élémentaire et… en
descendant simplement de sa voiture… il se casse une jambe (double
fracture, hospitalisation, plaques de fixation…). Pierre, lui, ne croit
pas du tout que cet « accident » a un quelconque rapport avec son
conflit et sa relation à ses parents… ou à son amie. Si nous ajoutons
que la première épreuve de son examen devait avoir lieu la semaine
suivante… qui faudra-t-il convaincre ?
Jeanne
a décidé de se marier quoi qu’il arrive avant la fin de l’année. Le
jour du réveillon du nouvel an, au cours du repas, elle s’engage à
l’égard d’un ami, de façon impromptue mais formelle… Toute sa famille
est présente. Et le lendemain matin elle se réveille « malade comme une
bête ». Pendant trois mois, elle sera malade tous les jours avec les
mêmes symptômes (maux d’estomac, brûlures, maux de tête…). Au bout de
trois mois elle part au Maroc avec son ami et décide de prendre la
pilule. Au retour, les symptômes s’amplifient et se polarisent sur les
huit jours précédant les règles. « Chaque mois pendant toute une semaine
j’étais malade à en crever ». Elle se marie à l’automne et pendant
seize ans elle sera ainsi chroniquement malade, dérangée, en souffrance
plusieurs jours par mois… sauf dans les deux périodes de sa grossesse. «
Les nausées de la grossesse, connais pas… ». Dans son couple, pendant
toutes ces années, pas de disputes, pas de reproches, pas de
revendications. « Jamais un mot plus haut qu’un autre, mais jamais plus
bas non plus… ». « Nous étions vus comme le couple idéal ». Un jour un
conflit éclata entre son mari et elle. « Une sorte de révolte m’a prise.
J’ai hurlé, je suis malade depuis que je te connais, je n’avais rien eu
avant… Tu te présentes comme une victime mais c’est moi qui suis
coincée dans notre relation ». Après cette « sortie » sauvage,
véhémente, mes maux disparurent et je retrouvai ma santé de jeune fille…
mais la relation avec mon mari, elle, devint difficile, c’est-à-dire
réelle. J’avais commencé à changer et surtout à reconnaître combien mon
engagement du réveillon de fin d’année était un passage à l’acte et non
un véritable désir… que j’avais payé pendant tant d’années avec mes
somatisations. J’ai pu dire plus tard à mon mari que la colère que
j’exprimais envers lui, c’était contre moi que je l’avais de m’être
dupée moi-même. »
Marie,
mère de trois enfants, a perdu à neuf ans son père qui en avait
trente-neuf. Elle se souvient bien de l’évènement. Elle faisant ses
devoirs à la fin de l’après-midi, à la « tombée de la nuit », quand son
père s’est levé, a fait quelques pas puis est tombé comme une masse près
de la cheminée. Pendant des années elle a vécu ce moment précis, la «
tombée de la nuit », avec agitation, irritation, « une sorte de malaise
». Elle reliera son comportement au souvenir de la mort du père le jour
même de son anniversaire… à trente-neuf ans.
Les
associations de dates sont inscrites en nous et se réactivent à des
moments-clés pour dévoiler une situation difficile ou inachevée.
«
Chaque fois que je me mets en situation conflictuelle sans pouvoir
exprimer ma position, sans pouvoir être entendu, j’ai un incident, un
accident de voiture, jamais grave mais… coûteux (tôles froissées,
phares, portières, roues…). Aussi j’ai pris l’habitude, après un conflit
non ouvert, de prendre un taxi… »
Esquisses thérapeutiques
Si
nous acceptons que les « maux » produits par le corps (et qui
deviennent parfois des maladies et des somatisations fonctionnelles)
sont des langages symboliques, cela veut dire qu’il sera possible de les
soigner non à partir de leur symptôme mais à partir du sens, du
discours caché dans lesquels ils s’inscrivent, et de les traiter par des
réponses symboliques. Ainsi nous proposons parfois des « réponses
symboliques » qui vont être entendues et devenir des éléments actifs
dans la guérison ou provoquer la disparition des symptômes.
Le
petit Thomas, six ans, a depuis deux ans et demi de l’asthme. Son père a
quitté la mère quand il avait trois ans et demi (c’est l’élément
déclencheur). Il joue seul, refuse d’intégrer frère ou sœur dans ses
jeux, refuse la vie sociale proposée par la mère, se coupe de tout. Il
dit souvent: « j’aime pas l’air de cette maison, je préfère l’air de
papa ». Nous proposons à la mère d’utiliser une grande bouteille
(appelée Dame-Jeanne) sur laquelle elle collera une étiquette: «
Bonbonne d’air de papa », avec un petit tuyau pour aspirer. Et ce
jour-là, Thomas joue dans sa baignoire, appelle sa mère et lui dit: «
regarde, je fais le poisson, je respire sous l’eau ». Elle nous dira: «
il n’a plus fait de crise d’asthme de ce jour. »
Nous
proposons aussi ce que nous appelons des jeux, des prescriptions
symboliques portant sur un aspect du discours ou du symptôme entendu
comme ayant une forte charge symbolique. Il nous est arrivé de prescrire
à une personne de faire écouter du Mozart à ses reins ou à son foie. De
faire visualiser sa nuque comme une éponge desséchée qui se gonfle
lentement, lentement d’eau en descendant dans la mer…
Le
petit René, quatre ans et demi, va à l’école maternelle pour la
première fois et dès le troisième jour se met à faire caca dans sa
culotte. Son père se fâche, le menace et lui promet une raclée s’il
continue « car tu es grand maintenant ». René dira à sa mère: « je ne
peux pas me retenir, ça sort tout seul, ça pousse et ça sort ». Nous
proposons à sa mère de lui raconter sa naissance. Elle éclate en
sanglots: « je ne lui ai jamais parlé de ça pour ne pas le traumatiser,
il est né par césarienne ». Elle accepte cependant de lui dire son vécu à
elle, la décision prise par l’obstétricien… Elle nous dit que les
difficultés anales de René ont disparu dès le lendemain de ce récit.
Cet
enfant avait douze ans lorsque son père s’est suicidé par pendaison. Le
silence autour de cet évènement tant du sa famille que dans sa vie fait
que souvent il a mal au larynx (étouffements, étranglements). Pendant
trente ans de sa vie, il subira de multiples opérations: amygdales,
kyste, ganglions autour de la gorge, du cou, de la nuque. Dans un jeu
symbolique il parlera à son père et lui dira sa colère… et son amour, sa
fidélité aussi à travers toutes ses cicatrices. Autant de preuves de
l’existence de ce père qui s’est dérobé trop tôt… et à qui il a été
impossible de dire « je t’aime et je t’en veux ».
En conclusion provisoire…
Dans
cette démarche qui consiste à écouter les maux du corps pour mieux
l’entendre se dire, l’écueil à éviter sera la confusion entre la cause
et le sens. Nous avons trop tendance à rechercher la cause, c’est-à-dire
l’explication d’une chose. Nous remplaçons trop facilement la
compréhension qui est une recherche du signifié par l’explication qui
est une recherche de savoir, de contrôle et de maîtrise.
Trop
souvent nous parlons de notre corps… nous parlons sur lui au lieu de
lui laisser la parole. Nous pouvons aussi « parler » à notre corps avec
des langages symboliques.
Nous
avons surtout le besoin d’être entendus, d’être écoutés plus que d’être
contrôlés. La qualité de la relation avec autrui passera par notre
capacité à être un meilleur compagnon pour soi-même mais ceci est déjà
une autre histoire.
* * * * *
BIBLIOGRAPHIE
PARLE-MOI, J’AI DES CHOSES À TE DIRE, par Jacques SALOMÉ, Ed. de l’Homme
RELATION D’AIDE ET FORMATION À L’ENTRETIEN, par Jacques SALOMÉ, P.U.L. Lille
LES MÉMOIRES DE L’OUBLI, par Sylvie GALLAND et Jacques SALOMÉ, Ed. Le Regard Fertile
1 La pire des solitudes, ce n’est pas d’être seul, c’est d’être un mauvais compagnon pour soi-même.
2 Nous
savons tous le nombre d’infections vaginales, tenaces, douloureuses,
qui s’installent sans « causes » évidentes, avec des analyses négatives.
Elles disent souvent les malentendus, les refus non exprimés, les «
violences » relationnelles
*******
*******