Annick : Au sujet de changer de regard sur les événements et sur le monde, tu dis : « Nous ne pouvons pas changer les événements, nous pouvons seulement changer notre façon de les interpréter, en observant nos croyances et en nous ouvrant à la possibilité de regarder autrement. »
Je peux le comprendre à l’échelon individuel. Mais je ne peux pas le comprendre à l’échelon collectif. Comment peut-on changer de regard sur la Shoa, la barbarie, le terrorisme, la torture, le djihadisme… ?
Suyin : Ton regard sur ces choses-là est toujours personnel. Un terroriste n’a pas du tout le même regard que toi sur la situation. Lui il est convaincu de faire le bien, d’œuvrer pour une grande cause.
Annick : Oui bien sûr, mais moi je ne peux pas changer ma façon d’interpréter ces choses-là. Au niveau individuel, si quelqu’un me fait une vacherie, je peux toujours tenter de comprendre ses motivations. Mais au niveau collectif, avec toutes les horreurs qu’on peut voir dans notre monde, j’ai plus de mal. Mais peut-être que toi tu ne l’appliques pas au niveau collectif ?
Suyin : Si, c’est pareil. Si j’entends par exemple l’annonce d’un acte de terrorisme, je vais avoir sur le coup une réaction de stupeur ou d’horreur, et cela peut générer des pensées du type : c’est injuste, comment de telles choses peuvent-elle exister, etc. Mais je peux aussi essayer de voir quelles sont les motivations de ceux qui font ça, est-ce que dans leur tête ils font le mal ? Non, ils sont convaincus d’œuvrer pour le bien. Sont-ils responsables de leurs actes ? Non, ils répondent à un conditionnement. Est-ce que ma vision est plus juste que la leur, je n’en sais rien, parce que dans l’absolu c’est un conditionnement aussi. Pour eux, leur vision est plus juste que la mienne. En quoi la mienne ou la leur serait plus juste ? Ce sont des conditionnements.
Et aussi, je n’ai aucune idée des conséquences sur le long terme de leurs actions, car je n’ai pas la vision globale de la situation, je n’en ai qu’un aperçu limité. Regarde comment la Shoa a fait par contrecoup se développer considérablement les valeurs humanistes, tolérantes, solidaires, dans la société occidentale. Nous ne savons pas si sans de tels extrêmes qui ont profondément choqué et marqué les consciences, l’Europe et les Etats-Unis ne seraient pas aujourd’hui des pays totalitaires.
Mais la question n’est pas tellement de chercher des bonnes raisons ou d’avoir une pensée positive, car c’est encore entretenir l’idée qu’il y a quelque chose de bien et quelque chose de mal. C’est plutôt d’avoir un regard non-duel, c’est à dire dépouillé de jugement.
Annick : Mais si tu arrives à n’avoir aucun jugement sur la Shoa et sur les choses qui se passent en ce moment, cela veut dire que tu deviens sacrément indifférente au monde qui t’entoure ? Comment peut-on vivre avec un tel détachement ?
Suyin : Ce n’est pas de l’indifférence, le détachement n’empêche pas la compassion. Le vécu de souffrance est réel, et j’ai une immense compassion pour les êtres qui souffrent. Mais est-ce que le fait que je souffre pour eux va alléger leur souffrance ? Si j’adopte un point de vue sans jugement, je peux être remplie de compassion parce qu’en tant qu’être humain je suis touchée, et pourquoi pas agir concrètement pour aider autrui, sans pour autant rajouter de la souffrance à la souffrance. D’ailleurs, sur un plan vibratoire, ce n’est pas la peine de diffuser encore plus d’énergies de souffrance dans ce monde, il y en a déjà suffisamment.
Annick : Concernant la Shoa, je n’en souffre pas, mais je ne peux pas considérer que c’est une chose juste qui est arrivée. On a infligé des souffrances inhumaines à des êtres humains au nom d’une idéologie, et je ne peux pas changer mon regard là-dessus. Je ne peux pas dissoudre ça.
Suyin : Tu ne peux pas dissoudre la croyance que c’est injuste ?
Annick : Non. Et même si je pouvais je ne le voudrais pas.
Suyin : Et bien, si tu ne souhaites pas la dissoudre, il n’y a pas de nécessité à le faire. On est libre de dissoudre nos croyances, et on est libre aussi de ne pas le faire. Je veux juste dire qu’on en a la possibilité. Tout dépend comment on veut se sentir par rapport au monde.
Si je suis très mal à l’aise avec ça au point de ressentir de la haine ou d’avoir des envies de suicide, ça peut être intéressant pour moi d’investiguer cette croyance plutôt que de souffrir de cette façon.
Sinon, il n’y a pas de problème. La croyance que c’est injuste n’est pas plus fausse que la croyance que c’est juste. On peut penser que c’est juste, on peut penser que c’est injuste, les deux sont faux dans l’absolu. Car dire que c’est juste, c’est croire qu’il y a une volonté derrière, que la vie a voulu que ça arrive. Or je ne suis pas sûre du tout de cela. Je pense plutôt que ce sont des phénomènes qui échappent à toute volonté. Et c’est en cela que je ne peux pas juger la vie. Comme je ne peux pas juger un banc de sauterelles qui va tout détruire sur son passage. Quand c’est des sauterelles, on ne les juge pas, elles font un véritable génocide mais personne ne dit que c’est injuste ! Mais dès qu’il s’agit de l’être humain on trouve cela injuste car on prête à l’humain une volonté personnelle et une responsabilité vis-à-vis de l’humanité. Or, l’humain, comme les sauterelles, ne fait que répondre à un conditionnement, plus élaboré certes, et basé sur l’idée que nous sommes des individus séparés, ce qui entraîne toutes les souffrances que nous voyons dans le monde.
Et la seule chose qui pourrait véritablement mettre fin à ces souffrances, ce serait de cesser de croire à cette idée, de cesser de vivre selon cette perspective, cette croyance en la séparation. Ce serait de réaliser que nous sommes Un.
source : site de Suyin LamourJe peux le comprendre à l’échelon individuel. Mais je ne peux pas le comprendre à l’échelon collectif. Comment peut-on changer de regard sur la Shoa, la barbarie, le terrorisme, la torture, le djihadisme… ?
Suyin : Ton regard sur ces choses-là est toujours personnel. Un terroriste n’a pas du tout le même regard que toi sur la situation. Lui il est convaincu de faire le bien, d’œuvrer pour une grande cause.
Annick : Oui bien sûr, mais moi je ne peux pas changer ma façon d’interpréter ces choses-là. Au niveau individuel, si quelqu’un me fait une vacherie, je peux toujours tenter de comprendre ses motivations. Mais au niveau collectif, avec toutes les horreurs qu’on peut voir dans notre monde, j’ai plus de mal. Mais peut-être que toi tu ne l’appliques pas au niveau collectif ?
Suyin : Si, c’est pareil. Si j’entends par exemple l’annonce d’un acte de terrorisme, je vais avoir sur le coup une réaction de stupeur ou d’horreur, et cela peut générer des pensées du type : c’est injuste, comment de telles choses peuvent-elle exister, etc. Mais je peux aussi essayer de voir quelles sont les motivations de ceux qui font ça, est-ce que dans leur tête ils font le mal ? Non, ils sont convaincus d’œuvrer pour le bien. Sont-ils responsables de leurs actes ? Non, ils répondent à un conditionnement. Est-ce que ma vision est plus juste que la leur, je n’en sais rien, parce que dans l’absolu c’est un conditionnement aussi. Pour eux, leur vision est plus juste que la mienne. En quoi la mienne ou la leur serait plus juste ? Ce sont des conditionnements.
Et aussi, je n’ai aucune idée des conséquences sur le long terme de leurs actions, car je n’ai pas la vision globale de la situation, je n’en ai qu’un aperçu limité. Regarde comment la Shoa a fait par contrecoup se développer considérablement les valeurs humanistes, tolérantes, solidaires, dans la société occidentale. Nous ne savons pas si sans de tels extrêmes qui ont profondément choqué et marqué les consciences, l’Europe et les Etats-Unis ne seraient pas aujourd’hui des pays totalitaires.
Mais la question n’est pas tellement de chercher des bonnes raisons ou d’avoir une pensée positive, car c’est encore entretenir l’idée qu’il y a quelque chose de bien et quelque chose de mal. C’est plutôt d’avoir un regard non-duel, c’est à dire dépouillé de jugement.
Annick : Mais si tu arrives à n’avoir aucun jugement sur la Shoa et sur les choses qui se passent en ce moment, cela veut dire que tu deviens sacrément indifférente au monde qui t’entoure ? Comment peut-on vivre avec un tel détachement ?
Suyin : Ce n’est pas de l’indifférence, le détachement n’empêche pas la compassion. Le vécu de souffrance est réel, et j’ai une immense compassion pour les êtres qui souffrent. Mais est-ce que le fait que je souffre pour eux va alléger leur souffrance ? Si j’adopte un point de vue sans jugement, je peux être remplie de compassion parce qu’en tant qu’être humain je suis touchée, et pourquoi pas agir concrètement pour aider autrui, sans pour autant rajouter de la souffrance à la souffrance. D’ailleurs, sur un plan vibratoire, ce n’est pas la peine de diffuser encore plus d’énergies de souffrance dans ce monde, il y en a déjà suffisamment.
Annick : Concernant la Shoa, je n’en souffre pas, mais je ne peux pas considérer que c’est une chose juste qui est arrivée. On a infligé des souffrances inhumaines à des êtres humains au nom d’une idéologie, et je ne peux pas changer mon regard là-dessus. Je ne peux pas dissoudre ça.
Suyin : Tu ne peux pas dissoudre la croyance que c’est injuste ?
Annick : Non. Et même si je pouvais je ne le voudrais pas.
Suyin : Et bien, si tu ne souhaites pas la dissoudre, il n’y a pas de nécessité à le faire. On est libre de dissoudre nos croyances, et on est libre aussi de ne pas le faire. Je veux juste dire qu’on en a la possibilité. Tout dépend comment on veut se sentir par rapport au monde.
Si je suis très mal à l’aise avec ça au point de ressentir de la haine ou d’avoir des envies de suicide, ça peut être intéressant pour moi d’investiguer cette croyance plutôt que de souffrir de cette façon.
Sinon, il n’y a pas de problème. La croyance que c’est injuste n’est pas plus fausse que la croyance que c’est juste. On peut penser que c’est juste, on peut penser que c’est injuste, les deux sont faux dans l’absolu. Car dire que c’est juste, c’est croire qu’il y a une volonté derrière, que la vie a voulu que ça arrive. Or je ne suis pas sûre du tout de cela. Je pense plutôt que ce sont des phénomènes qui échappent à toute volonté. Et c’est en cela que je ne peux pas juger la vie. Comme je ne peux pas juger un banc de sauterelles qui va tout détruire sur son passage. Quand c’est des sauterelles, on ne les juge pas, elles font un véritable génocide mais personne ne dit que c’est injuste ! Mais dès qu’il s’agit de l’être humain on trouve cela injuste car on prête à l’humain une volonté personnelle et une responsabilité vis-à-vis de l’humanité. Or, l’humain, comme les sauterelles, ne fait que répondre à un conditionnement, plus élaboré certes, et basé sur l’idée que nous sommes des individus séparés, ce qui entraîne toutes les souffrances que nous voyons dans le monde.
Et la seule chose qui pourrait véritablement mettre fin à ces souffrances, ce serait de cesser de croire à cette idée, de cesser de vivre selon cette perspective, cette croyance en la séparation. Ce serait de réaliser que nous sommes Un.