mercredi 1 avril 2015

Nous sommes aujourd’hui confrontés à un usage intempestif du mot « méditation » par Jacques Castermane



Pendant vingt-six siècles, comme un long fleuve tranquille, la pratique de la médiation sans objet a irrigué les terres de l’Orient et de l’Extrême-Orient. En dépit de ce qui les différencient, les voies de sagesse qui proposent l’exercice de la méditation de pleine attention (Vipassana, Chan, Zen) avouent un seul but : « L’éveil de l’être humain à sa vraie Nature ». Parce que l’accomplissement de - notre nature essentielle – est la meilleure et sans doute la seule approche des qualités d’être qui témoignent de notre état de santé fondamental : La paix du corps, la paix de l’esprit, la paix de l’âme.

Si l’approche intellectuelle de la tradition bouddhiste en Occident date du dix-huitième siècle, la pratique de la Méditation de Pleine Attention est récente. C’est en 1947, à son retour du Japon, où pendant une dizaine d’années il s’est plongé dans le monde du Zen, que K. Graf Dürckheim (docteur en philosophie et en psychologie) va proposer cette pratique méditative jusque-là inconnue en Europe. Voici comment, en 1973, il présente son expérience japonaise et son expérience de la méditation devant un parterre de huit cents psychiatres, psychanalystes et psychothérapeutes lors d’un congrès à Lindau : « Je voudrais d’abord dire que ce que nous entendons jusqu’à aujourd’hui par thérapie n’en est en fait qu’une moitié ! C’est la thérapie pragmatique, utile à l’homme parce qu’elle lui permet de mieux fonctionner dans sa vie existentielle. Mais il existe une autre thérapie, qui n’a rien à voir avec notre fonctionnement dans le monde mais avec notre vie intérieure et notre propre fonctionnement intérieur ; une thérapie qui s’emploie à nous introduire dans un espace jusqu’ici trop souvent ignoré : « notre propre essence (Wesen)! »

Le message est clair. Pour Dürckheim, la Méditation de Pleine Attention est un exercice qui a pour but unique l’éveil de l’être humain à sa vraie nature. Notre vraie nature ? Ce que Dürckheim appelle notre être essentiel, n’est autre que ce qui nous est accordé à la naissance. Notre vraie nature est ce qui nous est le plus familier. Mais combien peu d’attention est accordée à ce champ d’action, ce champ d’expérience, ce champ de conscience qu’est le « Corps vivant (Leib)».

Dans la suite de son exposé au Congrès de Lindau, Dürckheim souligne l’importance qu’il donne au corps que l’homme « est » dans ce qu’il appelle l’autre moitié de la thérapie. C’est au Japon, dans la pratique du tir à l’arc traditionnel qu’il fait l’expérience que « L’être s’accomplit dans les actions du corps ». Autrement dit, « L’être n’est ni dans le corps ni hors du corps ; le corps vivant est l’être qui se réalise et s’accomplit selon ses propres lois, selon l’ordre des choses (Tao). »
A toute personne intéressée par la pratique méditative, Dürckheim va rappeler l’importance donnée à la tenue (expression de cette action de l’être qu’est l’élan vital), à la forme (résultat du juste rapport entre tension et détente), à la libération de la respiration (cette intention de l’être qui — comme la tenue juste et la forme juste — n’est pas du ressort du Moi).

La Méditation de pleine attention mérite mieux que d’être utilisée dans la perspective illusoire de transformer « Je suis Moi » en un autre « Je suis Moi » ! Je suis Moi n’est pas ma vraie nature ! Le moi conscient de lui-même qui sans cesse fait retour sur lui-même par la pensée devient l’obstacle à la réalisation de notre vraie nature et devient la cause de la souffrance qui est propre à l’être humain. L’autre moitié de la thérapie ne s’oppose pas aux thérapies pragmatiques ; elle s’adresse à l’homme qui perçoit qu’une grande part de sa souffrance (qu’il soit malade ou en bonne santé) est due au fait qu’il vit dans l’ignorance de ce qui est le fondement de son existence : sa vraie nature.