Un point me différencie de beaucoup de mes contemporains. Quand je parle de la planète et de l'humanité, ce n'est pas avec une vision lointaine et vague, mais au contraire très concrète. Je les vois, l'une comme l'autre, sous toutes leurs composantes. J'ai constaté de mes propres yeux les dégradations formidables de cette Terre. Et je connais le fossé gigantesque, en partie irrationnel, qui sépare le Sud du Nord ; j'enregistre maints signes de cette incompréhension entre l'Occident et le reste du monde, dont l'islamisme le plus dur a récupéré une large part en se constituant comme la seule réponse probante et légitime aux arrogances occidentales, singulièrement américaines. Cette guerre des cultures surgit dans un contexte particulièrement tendu, où les tentations de repli sur soi se multiplient, alors que les civilisations devraient s'ouvrir les unes aux autres. C'est pourquoi nul ne peut plus jouer avec la violence et le sectarisme des mots, ce que le président Obama a compris. Les affaires de la planète sont trop graves pour que l'on pratique le schématisme et l'exclusion entre bons et méchants. Car nous vivons une situation sans précédent où les menaces qui s'accumulent au-dessus de nos têtes sont sans aucune comparaison avec celles que l'humanité a connues par le passé. Tout cela multiplie les occasions d'affrontement qui risquent de mobiliser des armes d'une puissance inouïe.
Cessons donc de nous mentir à nous-mêmes.
Cessons de toujours dénoncer les actes des autres ou les scandales les plus criants d'une planète qui n'en est pourtant pas avare. Ces violences, ces injustices et ces gaspillages généralisés, nous en sommes nous-mêmes les agents. Car, lorsque nous regardons dans quel état nous avons mis la planète, nous pouvons - sans vouloir offenser qui que ce soit - nous poser la question de savoir si nous sommes civilisés en profondeur. Toute la nature proteste contre la barbarie de l'homme et nous nous obstinons à étouffer ce cri de détresse. Si l'on estime que l'évolution est une compétition, compte tenu de son arrivée récente à la surface de la planète, l'humanité n'est pas loin de triompher en éliminant peu à peu chaque espèce animale et végétale qui l'a précédée.
Le problème, répétons-le encore et toujours, est que nous risquons fort de ne pas avoir le temps de savourer notre succès. Cette idée que nous pourrions couper indûment notre branche de l'arbre de la création et faire cavalier seul dans ce chaos que nous aurions provoqué, est probablement l'ultime vanité dont l'homme sera capable - mais aussi la pire.
La vie a commencé par une coopération entre atomes, puis entre molécules, et ce principe immuable de solidarité a accompagné toute l'évolution. Et nous voudrions, nous les hommes, rompre ce principe immuable ? Tant d'aveuglement ne peut que nous conduire à l'abîme.
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Extrait de "Le syndrome du Titanic 2 de Nicolas Hulot
Que cela ne nous empêche pas d'apprécier notre petite planète !