• Comment vous présenteriez-vous ?
Dès l’adolescence, ma vie a été dominée par la recherche spirituelle. Je me suis mise en quête d’une voie de transformation, ce qui m’a conduite à Arnaud Desjardins (1) dont je suis devenue l’élève à l’âge de vingt et un ans. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que cette recherche concernerait également ma vie affective et professionnelle. À partir de l’âge de trente-trois ans, je suis devenue la collaboratrice d’Arnaud puis sa compagne et son épouse en 1996. Parallèlement, et pendant dix-sept ans, j’ai dirigé la collection « Les Chemins de la Sagesse » aux Éditions de la Table Ronde, qui publiait les ouvrages de représentants des différentes traditions spirituelles, entre autres le best-seller de Sogyal Rinpoché, Le Livre tibétain de la vie et de la mort.
• Avez-vous vécu une expérience déterminante qui a modifié, changé votre parcours de vie ? Cette expérience vous a-t-elle amenée à prendre des décisions qui orientent encore votre vie ?
J’ai ressenti très tôt le désir de me transformer. Je savais que si je ne changeais pas, j’allais manquer quelque chose d’essentiel. La parole de Gurdjieff, « Votre être attire votre vie », m’avait profondément marquée. La rencontre, le travail, puis la vie en commun avec Arnaud Desjardins ont infléchi toute mon existence. Son décès en 2011 a également été une étape déterminante dans mon propre parcours – étape à la fois très douloureuse mais aussi salutaire. Dans maintes traditions, il est dit que l’ultime cadeau que le maître fait à l’élève, c’est de mourir, car alors l’élève est acculé à tenir sur ses propres jambes et à faire fructifier comme jamais auparavant ce qu’il a appris de son maître. Donc, oui, aussi bien la rencontre d’Arnaud en 1973 - qui m’a amenée à me structurer peu à peu et à envisager l’existence dans une toute autre perspective - que son décès, presque quarante ans plus tard, m’ont conduite à prendre la plupart des décisions qui ont orienté ma vie, entre autres celle de quitter Paris en 1984 et de me rapprocher du centre qu’Arnaud (2) venait de fonder dans le Gard .
Quand nous abordons l’existence, la plupart du temps nous ne savons pas qui nous sommes vraiment, ni ce que nous sommes appelés à devenir. Nous sommes le plus souvent, exilés de nous-mêmes. Si nous ne voulons pas passer à côté de nous-mêmes, et souhaitons que notre vie prenne toute sa dimension, nous devons peu à peu apprendre à nous connaître, à sortir de notre division, à nous structurer. Ce que nous sommes réellement et ce à quoi nous sommes appelés – notre vocation, si l’on peut dire - se précisent avec le temps. C’est quelque chose à découvrir. Cela ne se fera pas sans passer par certaines crises, ne serait-ce que les inévitables épreuves que chacun rencontre tôt ou tard. Mais nous pouvons développer une nouvelle attitude intérieure nous permettant de faire face aux aléas de l’existence. La vie est une succession d’expériences mais c’est à nous d’en faire quelque chose ou non. Le maître d’Arnaud Desjardins, Swâmi Prajnânpad, avait une formule à cet égard : « Tout ce qui vient à vous, vient à vous comme un défi et une opportunité ».
Quelle est votre vision du monde actuel ?
Il est bien difficile de répondre à cette question car une réelle appréciation de l’état du monde actuel supposerait d’être suffisamment libre de ses préjugés, des idées de toutes sortes circulant à ce sujet, et surtout de ses propres peurs et projections qui déforment inévitablement notre vision. Il faudrait prendre tant de facteurs en compte et avoir un recul qui permette d’évaluer à la fois les raisons de s’inquiéter et les raisons d’espérer. Personnellement, je déplore la perte des valeurs spirituelles, le manque d’intégrité qui sévit un peu partout, sans oublier la désintégration de la famille et l’absence de repères dont souffrent tant de jeunes. Nous vivons dans un profond climat d’insécurité engendrant beaucoup d’incertitude et de peur. En même temps, des initiatives très positives voient le jour un peu partout dans le monde, un réveil des consciences semble faire peu à peu contrepoids à la dégradation générale. Si nous devons traverser une crise majeure, comme tant d’experts s’accordent à le dire, chacun dans leur secteur, celle-ci nous obligera à développer une autre manière d’être ensemble, fondée sur l’entraide et la solidarité, pour pouvoir affronter d’éventuels temps difficiles. Nous serons obligés de fonctionner différemment, de redéfinir nos valeurs et nos priorités et sans doute de revenir à un mode de vie beaucoup plus simple et authentique.
Mais, outre ces considérations générales, ce qui me paraît important au niveau individuel, c’est de savoir si nous augmentons la souffrance déjà présente dans le monde par nos comportements ou si au contraire nous contribuons à répandre plus de paix et d’harmonie. Est-ce que nous agissons avec une certaine sagesse ou est-ce que nous cédons à des impulsions destructrices – la colère et la violence, par exemple ? Si nous ne choisissons pas nos états d’âme, nous pouvons au moins veiller à ce qu’ils ne polluent pas l’environnement.
Quelles sont les valeurs auxquelles vous êtes attachée ? De quelle manière les rendez-vous vivantes ?
La détermination. Nous ne faisons rien sans elle. Elle est un fil conducteur, à l’arrière-plan de notre existence, une certitude qui nous permet d’avancer, quelles que soient les épreuves que nous rencontrons. Elle est l’orientation donnée à notre vie, une force qui nous pousse de l’intérieur. La vérité, qui commence par l’honnêteté envers soi-même. Cesser de se mentir et oser voir en face ses contradictions et ses ambivalences. Le sens des responsabilités, qui s’allie à l’intégrité, et nous permet d’assumer notre existence dans tous les domaines, entre autres familial et professionnel. Nous devons avoir la force de ne pas succomber à une certaine mentalité moderne, souvent cynique et désinvolte, quand celle-ci va à l’encontre des valeurs qui nous sont chères. Le respect et l’amour des autres. Je suis sûre que c’est à l’aune de notre capacité à avoir pu aimer que se fera le bilan de notre existence. Je veux parler d’un amour vrai, un amour qui voit au-delà des apparences et qui ne fluctue pas au gré des circonstances. Aimer vraiment requiert beaucoup de force et de courage. C’est au quotidien que j’essaye de rendre ces valeurs vivantes, par exemple en m’interrogeant sur la manière dont je suis située quand j’aborde une difficulté : « Est-ce la meilleure part de moi ou une part réactive qui agit en cet instant ? » Nous possédons un certain pouvoir nous permettant de sortir de notre vieux monde de blessures, de notre infantilisme, mais c’est un travail que nous devons chaque jour recommencer, inlassablement.
À ce jour, que désireriez-vous transmettre ?
Je désire transmettre ce que j’ai reçu d’une pratique spirituelle qui, avec le temps, nous permet d’affronter de mieux en mieux les défis de l’existence et de vivre plus consciemment. Transmettre ne peut se faire qu’en rejoignant chacun exactement là où il en est. Après le décès de mon mari et maître spirituel, j’ai senti le besoin d’un temps de retrait non seulement pour vivre le processus de deuil mais aussi pour digérer et intégrer tout ce qui m’avait été transmis depuis presque quarante ans. Mais il est devenu clair que je devais témoigner dans mon style propre. Pour ma part, j’anime des groupes de femmes dans l’optique d’aider celles qui y participent à devenir plus pleinement elles-mêmes, afin d’assumer qui elles sont et de donner leur véritable potentiel. Il ne s’agit pas seulement d’une réalisation personnelle mais d’une autre manière d’être dans leurs environnements respectifs, avec toutes les personnes qu’elles sont amenées à côtoyer. La plupart d’entre elles ont des blessures particulières qu’il est nécessaire de panser pour qu’elles puissent dépasser certaines de leurs inhibitions et retrouver leur pleine stature. Mon activité d’écrivain fait aussi partie de cette transmission.
À la lumière de votre expérience, que vous inspire cette déclaration : « Nous sommes tous des compagnons de voyage » ?
Qui pourrait prétendre le contraire ? Mais comment faire pour que ces mots ne soient pas juste une jolie formule et qu’ils s’incarnent vraiment dans notre vie ?
Je me souviens d’une expérience toute simple que j’ai vécue il y a une douzaine d’années, et qui m’a fait prendre conscience que nous partageons tous la même humanité. En l’an 2000, à la suite d’un œdème pulmonaire aigu, Arnaud a été transporté d’urgence à l’hôpital. Durant son transfert, je suivais l’ambulance avec ma propre voiture, dans un certain état de choc. À un moment, l’ambulancier tourna à un carrefour, son regard croisa le mien et il me sourit avec gentillesse. Dans l’état de vulnérabilité où je me trouvais alors, ce contact d’être humain à être humain eut un grand impact sur moi. Arnaud a survécu onze ans après cet œdème mais je n’ai jamais oublié cette expérience qui fut un avant-goût de ce qui me soutiendrait le jour où Arnaud disparaîtrait. Depuis sa mort, je pourrais dire qu’en le perdant, j’ai trouvé l’humanité et j’ai découvert, à maintes reprises, ce que signifiait être compagnons de voyage. C’est une réalité vivante dont nous pouvons faire l’expérience au quotidien. Nous sommes tous très différents et, en même temps, nous sommes tous faits de la même pâte humaine, nous connaissons tous la gamme des émotions qu’un cœur humain peut éprouver : espérances, peurs, attentes, désirs … Nous découvrons à quel point nous sommes semblables, le plus souvent grâce aux épreuves qui nous amènent à sortir d’une certaine arrogance, d’un élitisme. L’épreuve nous rassemble, nous fait comprendre que nous partageons une même humanité et que nous sommes tous des compagnons de voyage.
(1) : Arnaud Desjardins (1925 – 2011) était auteur, réalisateur à l'ORTF et l'un des premiers occidentaux à faire découvrir aux Français, au travers de documents télévisés, quelques grandes traditions spirituelles méconnues des Européens : l'hindouisme, le bouddhisme tibétain, le zen et le soufisme (mystique de l'Islam) d'Afghanistan, et ce dès le début des années 1970.
(2) : Actuellement, association « Les Amis d’Hauteville » connus aussi sous le nom d’ashram d’Arnaud Desjardins, à Saint Laurent du Pape en Ardèche.
Note : L'intégralité de cette interview peut être lu dans le livre L'avenir est en nous (Ed. Dangles) - Février 2014.
Dès l’adolescence, ma vie a été dominée par la recherche spirituelle. Je me suis mise en quête d’une voie de transformation, ce qui m’a conduite à Arnaud Desjardins (1) dont je suis devenue l’élève à l’âge de vingt et un ans. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que cette recherche concernerait également ma vie affective et professionnelle. À partir de l’âge de trente-trois ans, je suis devenue la collaboratrice d’Arnaud puis sa compagne et son épouse en 1996. Parallèlement, et pendant dix-sept ans, j’ai dirigé la collection « Les Chemins de la Sagesse » aux Éditions de la Table Ronde, qui publiait les ouvrages de représentants des différentes traditions spirituelles, entre autres le best-seller de Sogyal Rinpoché, Le Livre tibétain de la vie et de la mort.
• Avez-vous vécu une expérience déterminante qui a modifié, changé votre parcours de vie ? Cette expérience vous a-t-elle amenée à prendre des décisions qui orientent encore votre vie ?
J’ai ressenti très tôt le désir de me transformer. Je savais que si je ne changeais pas, j’allais manquer quelque chose d’essentiel. La parole de Gurdjieff, « Votre être attire votre vie », m’avait profondément marquée. La rencontre, le travail, puis la vie en commun avec Arnaud Desjardins ont infléchi toute mon existence. Son décès en 2011 a également été une étape déterminante dans mon propre parcours – étape à la fois très douloureuse mais aussi salutaire. Dans maintes traditions, il est dit que l’ultime cadeau que le maître fait à l’élève, c’est de mourir, car alors l’élève est acculé à tenir sur ses propres jambes et à faire fructifier comme jamais auparavant ce qu’il a appris de son maître. Donc, oui, aussi bien la rencontre d’Arnaud en 1973 - qui m’a amenée à me structurer peu à peu et à envisager l’existence dans une toute autre perspective - que son décès, presque quarante ans plus tard, m’ont conduite à prendre la plupart des décisions qui ont orienté ma vie, entre autres celle de quitter Paris en 1984 et de me rapprocher du centre qu’Arnaud (2) venait de fonder dans le Gard .
Quand nous abordons l’existence, la plupart du temps nous ne savons pas qui nous sommes vraiment, ni ce que nous sommes appelés à devenir. Nous sommes le plus souvent, exilés de nous-mêmes. Si nous ne voulons pas passer à côté de nous-mêmes, et souhaitons que notre vie prenne toute sa dimension, nous devons peu à peu apprendre à nous connaître, à sortir de notre division, à nous structurer. Ce que nous sommes réellement et ce à quoi nous sommes appelés – notre vocation, si l’on peut dire - se précisent avec le temps. C’est quelque chose à découvrir. Cela ne se fera pas sans passer par certaines crises, ne serait-ce que les inévitables épreuves que chacun rencontre tôt ou tard. Mais nous pouvons développer une nouvelle attitude intérieure nous permettant de faire face aux aléas de l’existence. La vie est une succession d’expériences mais c’est à nous d’en faire quelque chose ou non. Le maître d’Arnaud Desjardins, Swâmi Prajnânpad, avait une formule à cet égard : « Tout ce qui vient à vous, vient à vous comme un défi et une opportunité ».
Quelle est votre vision du monde actuel ?
Il est bien difficile de répondre à cette question car une réelle appréciation de l’état du monde actuel supposerait d’être suffisamment libre de ses préjugés, des idées de toutes sortes circulant à ce sujet, et surtout de ses propres peurs et projections qui déforment inévitablement notre vision. Il faudrait prendre tant de facteurs en compte et avoir un recul qui permette d’évaluer à la fois les raisons de s’inquiéter et les raisons d’espérer. Personnellement, je déplore la perte des valeurs spirituelles, le manque d’intégrité qui sévit un peu partout, sans oublier la désintégration de la famille et l’absence de repères dont souffrent tant de jeunes. Nous vivons dans un profond climat d’insécurité engendrant beaucoup d’incertitude et de peur. En même temps, des initiatives très positives voient le jour un peu partout dans le monde, un réveil des consciences semble faire peu à peu contrepoids à la dégradation générale. Si nous devons traverser une crise majeure, comme tant d’experts s’accordent à le dire, chacun dans leur secteur, celle-ci nous obligera à développer une autre manière d’être ensemble, fondée sur l’entraide et la solidarité, pour pouvoir affronter d’éventuels temps difficiles. Nous serons obligés de fonctionner différemment, de redéfinir nos valeurs et nos priorités et sans doute de revenir à un mode de vie beaucoup plus simple et authentique.
Mais, outre ces considérations générales, ce qui me paraît important au niveau individuel, c’est de savoir si nous augmentons la souffrance déjà présente dans le monde par nos comportements ou si au contraire nous contribuons à répandre plus de paix et d’harmonie. Est-ce que nous agissons avec une certaine sagesse ou est-ce que nous cédons à des impulsions destructrices – la colère et la violence, par exemple ? Si nous ne choisissons pas nos états d’âme, nous pouvons au moins veiller à ce qu’ils ne polluent pas l’environnement.
Quelles sont les valeurs auxquelles vous êtes attachée ? De quelle manière les rendez-vous vivantes ?
La détermination. Nous ne faisons rien sans elle. Elle est un fil conducteur, à l’arrière-plan de notre existence, une certitude qui nous permet d’avancer, quelles que soient les épreuves que nous rencontrons. Elle est l’orientation donnée à notre vie, une force qui nous pousse de l’intérieur. La vérité, qui commence par l’honnêteté envers soi-même. Cesser de se mentir et oser voir en face ses contradictions et ses ambivalences. Le sens des responsabilités, qui s’allie à l’intégrité, et nous permet d’assumer notre existence dans tous les domaines, entre autres familial et professionnel. Nous devons avoir la force de ne pas succomber à une certaine mentalité moderne, souvent cynique et désinvolte, quand celle-ci va à l’encontre des valeurs qui nous sont chères. Le respect et l’amour des autres. Je suis sûre que c’est à l’aune de notre capacité à avoir pu aimer que se fera le bilan de notre existence. Je veux parler d’un amour vrai, un amour qui voit au-delà des apparences et qui ne fluctue pas au gré des circonstances. Aimer vraiment requiert beaucoup de force et de courage. C’est au quotidien que j’essaye de rendre ces valeurs vivantes, par exemple en m’interrogeant sur la manière dont je suis située quand j’aborde une difficulté : « Est-ce la meilleure part de moi ou une part réactive qui agit en cet instant ? » Nous possédons un certain pouvoir nous permettant de sortir de notre vieux monde de blessures, de notre infantilisme, mais c’est un travail que nous devons chaque jour recommencer, inlassablement.
À ce jour, que désireriez-vous transmettre ?
Je désire transmettre ce que j’ai reçu d’une pratique spirituelle qui, avec le temps, nous permet d’affronter de mieux en mieux les défis de l’existence et de vivre plus consciemment. Transmettre ne peut se faire qu’en rejoignant chacun exactement là où il en est. Après le décès de mon mari et maître spirituel, j’ai senti le besoin d’un temps de retrait non seulement pour vivre le processus de deuil mais aussi pour digérer et intégrer tout ce qui m’avait été transmis depuis presque quarante ans. Mais il est devenu clair que je devais témoigner dans mon style propre. Pour ma part, j’anime des groupes de femmes dans l’optique d’aider celles qui y participent à devenir plus pleinement elles-mêmes, afin d’assumer qui elles sont et de donner leur véritable potentiel. Il ne s’agit pas seulement d’une réalisation personnelle mais d’une autre manière d’être dans leurs environnements respectifs, avec toutes les personnes qu’elles sont amenées à côtoyer. La plupart d’entre elles ont des blessures particulières qu’il est nécessaire de panser pour qu’elles puissent dépasser certaines de leurs inhibitions et retrouver leur pleine stature. Mon activité d’écrivain fait aussi partie de cette transmission.
À la lumière de votre expérience, que vous inspire cette déclaration : « Nous sommes tous des compagnons de voyage » ?
Qui pourrait prétendre le contraire ? Mais comment faire pour que ces mots ne soient pas juste une jolie formule et qu’ils s’incarnent vraiment dans notre vie ?
Je me souviens d’une expérience toute simple que j’ai vécue il y a une douzaine d’années, et qui m’a fait prendre conscience que nous partageons tous la même humanité. En l’an 2000, à la suite d’un œdème pulmonaire aigu, Arnaud a été transporté d’urgence à l’hôpital. Durant son transfert, je suivais l’ambulance avec ma propre voiture, dans un certain état de choc. À un moment, l’ambulancier tourna à un carrefour, son regard croisa le mien et il me sourit avec gentillesse. Dans l’état de vulnérabilité où je me trouvais alors, ce contact d’être humain à être humain eut un grand impact sur moi. Arnaud a survécu onze ans après cet œdème mais je n’ai jamais oublié cette expérience qui fut un avant-goût de ce qui me soutiendrait le jour où Arnaud disparaîtrait. Depuis sa mort, je pourrais dire qu’en le perdant, j’ai trouvé l’humanité et j’ai découvert, à maintes reprises, ce que signifiait être compagnons de voyage. C’est une réalité vivante dont nous pouvons faire l’expérience au quotidien. Nous sommes tous très différents et, en même temps, nous sommes tous faits de la même pâte humaine, nous connaissons tous la gamme des émotions qu’un cœur humain peut éprouver : espérances, peurs, attentes, désirs … Nous découvrons à quel point nous sommes semblables, le plus souvent grâce aux épreuves qui nous amènent à sortir d’une certaine arrogance, d’un élitisme. L’épreuve nous rassemble, nous fait comprendre que nous partageons une même humanité et que nous sommes tous des compagnons de voyage.
(1) : Arnaud Desjardins (1925 – 2011) était auteur, réalisateur à l'ORTF et l'un des premiers occidentaux à faire découvrir aux Français, au travers de documents télévisés, quelques grandes traditions spirituelles méconnues des Européens : l'hindouisme, le bouddhisme tibétain, le zen et le soufisme (mystique de l'Islam) d'Afghanistan, et ce dès le début des années 1970.
(2) : Actuellement, association « Les Amis d’Hauteville » connus aussi sous le nom d’ashram d’Arnaud Desjardins, à Saint Laurent du Pape en Ardèche.
Note : L'intégralité de cette interview peut être lu dans le livre L'avenir est en nous (Ed. Dangles) - Février 2014.