Un palais orné de joyaux. Telle fut mon impression visuelle lorsque je m'ouvris au monde de la pleine conscience. Avant, je ne goûtais pas, je restais dans le mental. Accompagnée par mon maître, très visionnaire et pédagogue, j'ai tout réappris, tel un enfant s'ouvrant à la vie : à marcher, à manger, à me tenir... Dans toutes les écoles bouddhistes, la méditation, voie d'unification entre le corps et l'esprit, est pratiquée, mais chaque tradition l'adapte différemment. Au Village des Pruniers, nous l'orientons vers la pleine conscience. En prenant le temps, en donnant de l'espace, de la profondeur, à chaque geste, chaque réaction, chaque parole, notre existence prend une tout autre dimension.
Nous ne sommes pas des morceaux de pierre. Le bouddhisme zen n'a pas pour but de supprimer nos affects ni nos émotions, mais de les accueillir. Il m'arrive bien sûr de surréagir à la moindre phrase de travers de mon mari, alors que je sors tout juste de retraite ! Mais je dois reconnaître qu'avec le temps je suis moins tributaire de mes passions. Plutôt que de me laisser emporter par la frustration, l'agressivité, la colère, je donne un temps à ma réaction : je regarde d'abord cette énergie négative, respire profondément, l'accueille, et lui souris. Le fait même de prendre conscience de son existence lui fait perdre en intensité. Or, si elle perd en intensité, elle m'affecte moins. Longtemps j'ai ressenti de la colère envers mon père. Marquée par une éducation à la confucéenne, je la gardais enfouie. En outre, le bouddhisme nous inculque la reconnaissance envers nos parents, vecteurs de vie. C'est grâce à la pratique, aux entraînements et aux retraites, que mon regard a changé sur cette énergie négative. Le jour où le Vénérable Thich Nhat Hanh nous a expliqué que les gens malheureux faisaient souffrir, j'ai eu comme un flash intérieur : c'était le cas de mon père. Dès lors, je suis entrée dans la compassion.
L'avidité, l'ignorance, et la colère sont trois poisons dans le bouddhisme. Le zen nous fait travailler notre terrain qui n'est pas toujours sain : nous ôtons les mauvaises herbes, bêchons la terre, et y faisons pousser les fleurs. Ce travail passe par la connaissance de soi, elle-même menant à la compassion. Plus je me connais, plus je comprends les autres. Plus je souffre, plus je fais souffrir les autres. C'est ce que nous appelons « interdépendance ». Je ne suis pas un moi séparé mais un avec mon environnement : mon identité unique existe mais évolue, au gré du temps, des rencontres, et des événements de ma vie. Pour la représentation, oui, j'ai une carte d'identité, un passeport. Deux dimensions existent : l'une horizontale, historique : je suis née en 1949 à Dalat. Je suis vice-présidente de l'Union bouddhiste de France. L'autre dimension est appelée « ultime », et est le prolongement de mon cheminement de vie. La Minh Tri d'aujourd'hui est-elle la même qu'il y a 20 ans ou même deux jours ? Oui et non. Celle d'il y a 50 ans n'a pas la France en elle. Et celle d'aujourd'hui ne cesse d'évoluer au fil des jours. L'éthique de vie dans le bouddhisme est fondamentale : nous devons veiller à notre Karma, grande loi de causes à effets : toutes nos actions, pensées, paroles, ont des conséquences sur notre être et, par résonance, sur les autres, dans une temporalité nous dépassant. En en prenant conscience, nous contribuons à une énergie collective positive.