Il nous faut avouer que nous semblons préférer penser notre vie ou rêver notre vie plutôt que de vivre notre vie d’instant en instant. Se laisser emporter - en pensée - dans le passé qui n’est plus ou dans le futur qui est à venir (peut-être) est la cause première d’une vie intérieure agitée. Lorsque le mental (mind) devient cette puissance autonome qui fabrique sans cesse des idées d’espace et des idées de temps, il devient le domaine du souci, de l’agitation, du stress, de l’inquiétude et de cette angoisse souterraine qui conduit à une consommation abusive d’anxiolytiques.
L’intuition qu’il est possible de guérir, de cette maladie qui est propre à l’être humain, engage aujourd’hui bon nombre de personnes à la pratique de la méditation. Cependant, le sens de la demi-heure quotidienne consacrée à l’exercice de la pleine attention devrait nous inciter à exercer la pratique méditative dans le quotidien.
Il s’agit, comme pour l’exercice appelé zazen, d’une rupture avec notre manière d’être habituelle dans tout ce qu’on fait. Le quotidien comme exercice, c’est apprendre à voir et à vivre la coïncidence de trois évènements. Quelle que soit mon action, elle est réalisée dans l’espace-vécu et le temps-vécu. « Ici et maintenant » je fais le pas qui participe à mon déplacement d’un bureau à l’autre, de mon domicile au parking. « Ici et maintenant » je prépare le café, je beurre la tranche le pain, je lève le bol en direction de mes lèvres.
Ici et maintenant - Hic et Nunc - ! Invitation à, non pas s’ancrer mais à se couler dans la réalité présente. Il n’est rien de statique dans cet adverbe d’espace associé à cet adverbe de temps qui s’adjoint à tout verbe d’action.
Que ce soit au cours de la méditation de pleine attention ou dans la pratique méditative dans le quotidien il faut éviter, à tout prix, de vouloir « fixer » l’attention. L’attention, fonction du corps vivant (Leib) coule ... coule ... comme la respiration coule. Ce qu’on appelle le moment présent, coule... coule ... comme l’eau du ruisseau coule. C’est le mental, la conscience « de », qui fixe ce qui ne peut être fixé. Méditer, c’est demeurer dans le non situé. Voilà encore une rupture avec notre manière d’être habituelle, notre manière de faire habituelle et notre manière de voir habituelle.
Comme quiconque, longtemps j’ai pensé que ma vie commencerait véritablement lorsque la vaisselle sera terminée ... lorsque j’aurai répondu au courrier... lorsque j’aurai fini de tondre la pelouse. Jusqu’au jour où m’a été posée cette question : « Quelle est la richesse du moment présent ? ». Il m’a fallu me poser cette question souvent, très souvent, pour que, tout à coup la réponse fuse du plus profond de moi-même : « La richesse du moment présent ? C’est celle que je lui donne ! ».
Jacques Castermane