Vous donnez au musée Rodin une lecture de votre texte « L’homme qui marche »… Qui est cet homme ?
J’ai essayé de parler de quelqu’un, c’est le moins qu’on puisse dire, de mondialement connu, comme on ferait de quelqu’un qui vient de rentrer dans la pièce, dont on ne sait pas le nom, mais dont la présence commence à nous bouleverser. Dans cette vie, nous sommes aveuglés par les connaissances que nous avons. Pour rencontrer vraiment quelqu’un, il faut traverser tous les écrans, tout le dictionnaire, toutes les rumeurs, toutes les opinions. Il s’agit du Christ. C’est un livre très bref sur le Christ, mais il n’est jamais nommé en tant que tel. Je me suis basé sur sa présence humaine, vibrante, mais sans prononcer son nom, car c’était tout de suite faire venir tous les gardes du Vatican, et 2 000 ans d’histoire. C’était beaucoup trop lourd pour moi, cela soulevait beaucoup trop de poussière…
Parler de Dieu, comment fait-on aujourd’hui ?
C’est devenu presque insupportable pour la plupart des gens car ils ont souvent une définition très simpliste de Dieu. Le grand penseur et poète, Jean Grosjean, qui fut aussi prêtre, écrivait : « Dieu, c’est l’abîme intérieur ». Dieu, c’est notre abîme intérieur. Ce n’est pas une autorité qui viendrait nous écraser ou nous culpabiliser. Ce n’est pas non plus quelqu’un qui vient nous dire comment il faut vivre. C’est l’insondable en nous mais qui fait que nous vivons, c’est-à-dire que nous inventons, que nous créons, que nous jouons, que nous rions. Voyez, c’est à peu près l’inverse de tous les intégrismes. C’est une puissance vitale qui traverse la mort mais qui n’en est pas défaite, c’est comme un printemps portatif.
L’inquiétant aujourd’hui, c’est que pour certaines religions, même un mot d’amour peut choquer…
Les religions sont de beaux tombeaux, mais le vivant ne s’y trouve pas. J’aime le pape François, mais je ne suis pas sûr que le Christ habite encore au Vatican.
Lisez-vous des textes religieux ?
Je ne fais pas la démarcation entre les textes religieux et les autres. Je cherche la plaque chauffée à blanc de la vie. Certains vers d’Ossip Mandelstam, un poète russe mort en 1938 dans un camp, me parlent de la vie éternelle aussi bien, et même sans doute mieux, que certains textes dits spirituels. J’aime aussi beaucoup les poètes arabes. Le penseur perse et fondateur du soufisme au XIIIe siècle, Rumi, me touche beaucoup. Il y a chez lui une ivresse des mots qui fait danser la vie autour de cette chose impossible à dire, même le mot de Dieu n’y suffira pas.
...