Veuve depuis 40 ans, cette arrière-grand-mère force l'admiration par sa jeunesse d'esprit et ses engagements. Reportage dans le Vieux-Lille, à la maison Madeleine-Delbrêl où elle prend ses quartiers chaque mercredi soir.
Ce mercredi soir, Ginette nous a donné rendez-vous à la maison Madeleine-Delbrêl, située au 27 rue Négrier, dans le Vieux-Lille. N'allez pas croire que nous nous rendons dans un Ehpad tenu par une congrégation. Non, il s'agit d'un foyer d'étudiants et jeunes professionnels, ouvert en 2014, dans lequel la centenaire tient un rôle majeur. Elle fréquente le lieu assidûment depuis quatre ans, chaque mercredi soir, jour où la messe est célébrée à 19 heures, suivie d'un dîner. Elle s'est liée d'amitié avec ses résidents. « Ginette, c'est un peu notre mascotte, explique très sérieusement Arthur, un étudiant breton qui se fait un plaisir de raconter sa première rencontre avec l'intéressée, devenue « sa troisième grand-mère » ! « Quand je suis arrivé pour la première fois, j'ai cru que Madeleine Delbrêl, c'était Ginette ! »
La centenaire, née le 6 novembre 1918, vit dans le quartier. Elle s'intéresse depuis toujours à l'oeuvre de cette poétesse et assistante sociale (1904-1964), convertie au christianisme à l'âge de 20 ans. Cette dernière, devenue une grande mystique et initiatrice d'une première petite communauté avec deux amies scoutes, a donné naissance aux équipes Madeleine Delbrêl. Est-ce à force de lire ses livres ou grâce à la sagesse acquise au fil des ans que Ginette a appris à vivre simplement, au coude-à-coude avec ceux qu'elle côtoie ? Elle participe aux diverses réunions des jeunes, les accueille parfois chez elle, et lorsqu'il y a des sorties s'y fait conduire. « J'ai compris que j'aidais les autres en leur donnant l'occasion de rendre service, d'être charitables et fraternels. Ça m'a aidée à mieux accepter (la dépendance, ndlr), confie-t-elle. En rajoutant : « Car ce n'est pas facile tous les jours, c'est même de plus en plus difficile. J'ai les oreilles appareillées, une cataracte à un oeil, certains jours je me dis que j'en ai assez, que c'est dur de continuer. Alors je demande au Seigneur : "Donne-moi la force, autrement il faut venir me chercher". »
« Quel risque court-on à croire ? »
Au quotidien, elle vit seule dans un appartement de deux étages et refuse de s'installer au rez-de-chaussée, comme ses enfants l'y invitent. « Cet escalier m'entretient », assure la centenaire. Au moment de sortir dans le jardin pour être photographiée, elle demande qu'on l'accompagne en lui tenant le bras, mais dédaigne la chaise installée à son intention. « Je suis croyante, et c'est ce qui me tient !, fait-elle valoir. La mort ne me fait pas peur, je l'imagine comme un long tunnel et j'ai la certitude que ce sera mieux qu'ici. Et si j'ai été roulée, je ne le saurai pas. Quel risque court-on à croire ? » Elle a creusé ce chemin de confiance dans le scoutisme, et raconte avec fierté qu'elle a été une des premières jeannettes à Lille. « Sa présence est rassurante, elle a une expérience de vie que nous n'avons pas. Elle a le talent de nous faire oublier nos soucis, elle nous recentre sur l'instant présent, précise Arthur, qui s'improvise porte-parole des colocataires du foyer. Elle nous apporte beaucoup sur nombre de sujets par ce qu'elle est, ce qu'elle véhicule et incarne comme espérance et optimisme. »
À 100 ans la voici connectée au XXIe siècle dans une société en pleine mutation. Autour d'elle, tous connaissent le secret de sa forme : « Je mange tous les jours du gingembre, confirme-t-elle, je vais une heure par semaine dans un cours de yoga du quartier... Et je prie chaque matin pendant 20 minutes. » C'est après le décès de son mari que, se retrouvant seule chez elle, elle a commencé à pratiquer le yoga, à partir marcher sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, et à entreprendre de grands voyages tout en menant une vie associative très riche. Autant d'activités ouvertes sur le monde et les autres que cette experte en vieillesse conseille.
Être là où il y a de la vie
L'heure de la messe approche... Une dernière question : comment rester confiant face à ce qui peut nous arriver une fois passé le seuil des 75-85 ans ? « En s'appuyant sur le Seigneur, en ne s'enfermant pas sur soi, car il y a de la vie à être avec les autres. Il faut savoir appeler, proposer de faire des choses ensemble. Le Seigneur passe à travers eux. À nos âges, il faut continuer à faire des efforts, lâcher le moins de choses possible, car on ne retrouve plus ce qu'on a lâché », observe-t-elle. 19 heures, la voilà, ponctuelle, installée au premier rang dans la chapelle. Le temps n'a pas de secret, décidément, pour Ginette...
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Source : La Vie