Il invite à entrer dans cet appartement des hauts de Lausanne où il vient d’emménager avec sa famille. S’excuse avec un sourire amical pour les valises et les cartons non déballés dans le couloir. «On est rentrés depuis trois mois mais on n’est ici que depuis deux semaines», explique l’auteur de Vivre sans pourquoi.
Alexandre Jollien a passé trois ans à Séoul avec Corine, son épouse, Victorine, Augustin et Céleste, 12, 10 et 6 ans, dont la joyeuse trace est visible au gré des pièces traversées. On lui demande tout de go pourquoi il est rentré. Il nous avait pourtant avoué vouloir rester encore un ou deux ans en Corée du Sud. «Je reviendrai quand j’aurai trouvé la paix», confiait-il à un média. Alors c’est ça? C’est un homme profondément en paix qui nous revient? Il tempère, le regard facétieux. «N’exagérons rien. Corine et les enfants seraient bien restés encore un an ou deux, mais la vie à l’étranger coûte cher et nous songions aussi à la scolarité des enfants. Il était temps de rentrer. J’aime bien la culture suisse française. Tout bêtement, parler français me manquait. La langue, c’est quand même un truc important!»
L’enseignement qu’il a reçu durant ses trois ans en Corée a été fortifiant pour son âme.
Aujourd’hui, à 41 ans, il se réjouit de revenir à l’écriture et à ses conférences publiques.
Une petite joie enfantine qui monte aux yeux lorsqu’il évoque ses amis, sa famille, la fondue, tout ce qui lui a manqué à des milliers de kilomètres du Pays de Vaud, même si ce grand saut entre deux continents ne fut pas facile, dans un sens comme dans l’autre. «Les enfants ont heureusement réintégré l’école sans trop de problèmes. Dans notre quartier, au centre de Séoul, ils étaient les seuls étrangers, du coup traités un peu comme des petits princes. Les deux aînés doivent rattraper l’allemand mais cela se passe bien. Ils continuent à regarder tous les jours la TV coréenne par satellite et à prendre des cours via Skype. Eux sont bilingues, Corine et moi beaucoup moins.» Victorine et Augustin, qui viennent juste de rentrer, confirment joyeusement, embrassant tendrement leur père avant d’aller faire leurs devoirs.
Diverses voies pour accéder à la paix
Mettre en pratique les leçons de sagesse des grands esprits, de Jésus à Bouddha, Jollien nous y avait déjà habitués à travers ses nombreux livres. Il nous a aussi bluffés depuis longtemps par ce parcours d’un enfant opiniâtre qui, malgré son handicap et un placement en institution, va obtenir un master en philo, épouser une fille épatante et devenir père de trois enfants. Mais il lui fallait encore partir à l’autre bout du monde pour suivre l’enseignement d’un père canadien maître de zen, un homme-pont entre l’Asie et l’Occident. «C’était nourricier, fortifiant. La rigueur très zen et jésuitique de père Bernard m’a donné une architecture intérieure, une confiance en moi plus grande. Et puis le fait d’être aimé inconditionnellement a nourri mon regard sur l’autre. Oui, ma foi chrétienne a été influencée par son enseignement, je sais maintenant qu’il y a diverses voies pour accéder à la paix!»
La bibliothèque, dans le salon, qui fleure bon le bois neuf, accueille les livres qui ont fait le voyage aller-retour avec lui. Sénèque, Nietzsche, Spinoza et tant d’autres qui l’ont aidé à accomplir son «métier d’homme». Et qui vont nourrir ce cycle de conférences qu’il vient d’entamer au CHUV* sur le thème de la joie et de l’abandon. Parlant de l’abandon, il évoque l’image du toboggan chère à Pierre Constantin, l’ami de toujours. Et pose la question. Dans le pack de l’existence, il y a la joie et la tristesse, la maladie et la santé, les grincements en tous genres accouplés aux petits bonheurs. Pourquoi, au fond, ne pas considérer la vie comme un toboggan? Et s’y laisser glisser pleinement. «On peut s’accrocher à ses parois, résister ou bien se laisser aller. Le lâcher-prise passe par des actions concrètes. Poser des actes. Partir en Corée, c’était grimper sur le toboggan!»
Agressé au restaurant
Il s’anime. Son enthousiasme est contagieux. Quelle glissade que ces trois ans passés au pays de Samsung à apprivoiser la langue (ah, comment s’écrit «dentifrice» en coréen, tous ces objets dans les supermarchés qu’on ne peut identifier?) Il a été ému par le regard bienveillant, sans jugement ni préjugés, des Coréens. «Les bains publics me manquent énormément, c’était pour moi le lieu de l’acceptation, le regard sur le corps là-bas est très différent d’ici.»
Ici, le pays romand, mais en gros tout l’Occident, où la violence sociale et l’intolérance l’ont particulièrement choqué après ces trois ans d’absence. «L’autre jour, un homme m’a interpellé très violemment dans les toilettes d’un restaurant: «Jollien, t’es pas très viril, on est en guerre, on est dans un pays en guerre et on en a marre des Bisounours, marre de la gentillesse!»
Un regard neuf
Bisounours. Le mot le fait réfléchir. Il accepte qu’on ne partage pas son opinion, pas qu’on déverse sa rancœur aussi férocement. Lui, sans déroger depuis trois ans, continue à pratiquer la méditation une heure par jour à raison d’une demi-heure le matin et une autre le soir. Il a aussi partagé récemment une petite retraite avec ses deux copains, stars comme lui du rayon spiritualité des librairies, que sont Matthieu Ricard et Christophe André avec qui il a cosigné en 2015 Trois amis en quête de sagesse. Déjà un best-seller!
Il songe à faire du sport en équipe pour bâtir d’autres liens sociaux et envisager son corps autrement. A peur, un peu, de perdre cet émerveillement, ce regard neuf sur le monde rendu possible par le déracinement temporaire. Veut à tout prix préserver la qualité de sa vie de famille qui s’est renforcée durant cet exil. «J’étais parti aussi pour échapper un peu à ma vie devenue trop dispersée».
La morale de cette histoire? Un peu qu’il faut oser parfois un autre mode de vie, sans forcément traverser la planète, pour déjouer l’engluement des émotions négatives. Lui était un angoissé de première, assure- t-il en riant. «J’aime la notion de grande santé chère à Nietzsche. Elle intègre tout, y compris la maladie, les blessures, les traumatismes. La maladie n’est pas le contraire de la santé, il y a mille manières d’être en grande santé, accessibles à tous! On ne guérit pas forcément de ses blessures mais on peut faire en sorte qu’elles ne deviennent pas tyranniques!» L’écrivain-philosophe a ses petites recettes concrètes pour le bonheur. Par exemple, noter tous les jours son niveau de félicité sur une échelle de 1 à 10. Cela vous rappelle les sondages à tout va qui veulent jauger à tout moment votre satisfaction? Sachez que la méthode a fait ses preuves sur un plan scientifique. A Harvard, où il existe une chaire du bonheur, le professeur demande à ses élèves de noter chaque soir leurs petites joies de la journée. Il paraît que cela a un impact réel et mesurable sur le fonctionnement de notre cerveau.
Smartphone psy
Autre petit truc pour «dégommer les passions tristes», pour reprendre le titre d’une de ses conférences: utiliser son smartphone comme un psy de poche. «Chaque soir, avec quelques amis, chacun d’entre nous dépose un message de cinq minutes sur KakaoTalk (la version coréenne de WhatsApp) pour faire le point, déposer ce qui nous fait avancer, ou ce qui nous a choqués, comme l’autre jour avec cet homme qui m’a agressé verbalement. Cela aide, ça permet de s’alléger; tout le monde devrait le faire, c’est salutaire. Moi, ça m’a changé la vie!»
On prend congé, justement, alors qu’il s’apprête à écouter le message du jour de son ami l’acteur Bernard Campan. Une banane se dessine sur son visage. On quitte un homme heureux. Et manifestement en paix.
source : L'illustré
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Alexandre Jollien a passé trois ans à Séoul avec Corine, son épouse, Victorine, Augustin et Céleste, 12, 10 et 6 ans, dont la joyeuse trace est visible au gré des pièces traversées. On lui demande tout de go pourquoi il est rentré. Il nous avait pourtant avoué vouloir rester encore un ou deux ans en Corée du Sud. «Je reviendrai quand j’aurai trouvé la paix», confiait-il à un média. Alors c’est ça? C’est un homme profondément en paix qui nous revient? Il tempère, le regard facétieux. «N’exagérons rien. Corine et les enfants seraient bien restés encore un an ou deux, mais la vie à l’étranger coûte cher et nous songions aussi à la scolarité des enfants. Il était temps de rentrer. J’aime bien la culture suisse française. Tout bêtement, parler français me manquait. La langue, c’est quand même un truc important!»
L’enseignement qu’il a reçu durant ses trois ans en Corée a été fortifiant pour son âme.
Aujourd’hui, à 41 ans, il se réjouit de revenir à l’écriture et à ses conférences publiques.
Une petite joie enfantine qui monte aux yeux lorsqu’il évoque ses amis, sa famille, la fondue, tout ce qui lui a manqué à des milliers de kilomètres du Pays de Vaud, même si ce grand saut entre deux continents ne fut pas facile, dans un sens comme dans l’autre. «Les enfants ont heureusement réintégré l’école sans trop de problèmes. Dans notre quartier, au centre de Séoul, ils étaient les seuls étrangers, du coup traités un peu comme des petits princes. Les deux aînés doivent rattraper l’allemand mais cela se passe bien. Ils continuent à regarder tous les jours la TV coréenne par satellite et à prendre des cours via Skype. Eux sont bilingues, Corine et moi beaucoup moins.» Victorine et Augustin, qui viennent juste de rentrer, confirment joyeusement, embrassant tendrement leur père avant d’aller faire leurs devoirs.
Diverses voies pour accéder à la paix
Mettre en pratique les leçons de sagesse des grands esprits, de Jésus à Bouddha, Jollien nous y avait déjà habitués à travers ses nombreux livres. Il nous a aussi bluffés depuis longtemps par ce parcours d’un enfant opiniâtre qui, malgré son handicap et un placement en institution, va obtenir un master en philo, épouser une fille épatante et devenir père de trois enfants. Mais il lui fallait encore partir à l’autre bout du monde pour suivre l’enseignement d’un père canadien maître de zen, un homme-pont entre l’Asie et l’Occident. «C’était nourricier, fortifiant. La rigueur très zen et jésuitique de père Bernard m’a donné une architecture intérieure, une confiance en moi plus grande. Et puis le fait d’être aimé inconditionnellement a nourri mon regard sur l’autre. Oui, ma foi chrétienne a été influencée par son enseignement, je sais maintenant qu’il y a diverses voies pour accéder à la paix!»
La bibliothèque, dans le salon, qui fleure bon le bois neuf, accueille les livres qui ont fait le voyage aller-retour avec lui. Sénèque, Nietzsche, Spinoza et tant d’autres qui l’ont aidé à accomplir son «métier d’homme». Et qui vont nourrir ce cycle de conférences qu’il vient d’entamer au CHUV* sur le thème de la joie et de l’abandon. Parlant de l’abandon, il évoque l’image du toboggan chère à Pierre Constantin, l’ami de toujours. Et pose la question. Dans le pack de l’existence, il y a la joie et la tristesse, la maladie et la santé, les grincements en tous genres accouplés aux petits bonheurs. Pourquoi, au fond, ne pas considérer la vie comme un toboggan? Et s’y laisser glisser pleinement. «On peut s’accrocher à ses parois, résister ou bien se laisser aller. Le lâcher-prise passe par des actions concrètes. Poser des actes. Partir en Corée, c’était grimper sur le toboggan!»
Agressé au restaurant
Il s’anime. Son enthousiasme est contagieux. Quelle glissade que ces trois ans passés au pays de Samsung à apprivoiser la langue (ah, comment s’écrit «dentifrice» en coréen, tous ces objets dans les supermarchés qu’on ne peut identifier?) Il a été ému par le regard bienveillant, sans jugement ni préjugés, des Coréens. «Les bains publics me manquent énormément, c’était pour moi le lieu de l’acceptation, le regard sur le corps là-bas est très différent d’ici.»
Ici, le pays romand, mais en gros tout l’Occident, où la violence sociale et l’intolérance l’ont particulièrement choqué après ces trois ans d’absence. «L’autre jour, un homme m’a interpellé très violemment dans les toilettes d’un restaurant: «Jollien, t’es pas très viril, on est en guerre, on est dans un pays en guerre et on en a marre des Bisounours, marre de la gentillesse!»
Un regard neuf
Bisounours. Le mot le fait réfléchir. Il accepte qu’on ne partage pas son opinion, pas qu’on déverse sa rancœur aussi férocement. Lui, sans déroger depuis trois ans, continue à pratiquer la méditation une heure par jour à raison d’une demi-heure le matin et une autre le soir. Il a aussi partagé récemment une petite retraite avec ses deux copains, stars comme lui du rayon spiritualité des librairies, que sont Matthieu Ricard et Christophe André avec qui il a cosigné en 2015 Trois amis en quête de sagesse. Déjà un best-seller!
Il songe à faire du sport en équipe pour bâtir d’autres liens sociaux et envisager son corps autrement. A peur, un peu, de perdre cet émerveillement, ce regard neuf sur le monde rendu possible par le déracinement temporaire. Veut à tout prix préserver la qualité de sa vie de famille qui s’est renforcée durant cet exil. «J’étais parti aussi pour échapper un peu à ma vie devenue trop dispersée».
La morale de cette histoire? Un peu qu’il faut oser parfois un autre mode de vie, sans forcément traverser la planète, pour déjouer l’engluement des émotions négatives. Lui était un angoissé de première, assure- t-il en riant. «J’aime la notion de grande santé chère à Nietzsche. Elle intègre tout, y compris la maladie, les blessures, les traumatismes. La maladie n’est pas le contraire de la santé, il y a mille manières d’être en grande santé, accessibles à tous! On ne guérit pas forcément de ses blessures mais on peut faire en sorte qu’elles ne deviennent pas tyranniques!» L’écrivain-philosophe a ses petites recettes concrètes pour le bonheur. Par exemple, noter tous les jours son niveau de félicité sur une échelle de 1 à 10. Cela vous rappelle les sondages à tout va qui veulent jauger à tout moment votre satisfaction? Sachez que la méthode a fait ses preuves sur un plan scientifique. A Harvard, où il existe une chaire du bonheur, le professeur demande à ses élèves de noter chaque soir leurs petites joies de la journée. Il paraît que cela a un impact réel et mesurable sur le fonctionnement de notre cerveau.
Smartphone psy
Autre petit truc pour «dégommer les passions tristes», pour reprendre le titre d’une de ses conférences: utiliser son smartphone comme un psy de poche. «Chaque soir, avec quelques amis, chacun d’entre nous dépose un message de cinq minutes sur KakaoTalk (la version coréenne de WhatsApp) pour faire le point, déposer ce qui nous fait avancer, ou ce qui nous a choqués, comme l’autre jour avec cet homme qui m’a agressé verbalement. Cela aide, ça permet de s’alléger; tout le monde devrait le faire, c’est salutaire. Moi, ça m’a changé la vie!»
On prend congé, justement, alors qu’il s’apprête à écouter le message du jour de son ami l’acteur Bernard Campan. Une banane se dessine sur son visage. On quitte un homme heureux. Et manifestement en paix.
source : L'illustré
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