Tout être humain est tendu entre deux réalités
« L'homme est tendu entre deux réalités : sa réalité
existentielle au cours de laquelle il se sent menacé — la durée de son
existence dans le monde — par le chaos des événements extérieurs ET sa réalité
essentielle, qui n'est autre que sa vraie nature, ce que j'appelle son être
essentiel. » (K.G. Dürckheim)
"L'homme se sent menacé — la durée de son existence —
dans le monde" ! Cela a toujours été et l'est encore aujourd'hui.
Aujourd'hui comme hier la menace relève de la puissance de
la Nature. Ici un tremblement de terre ; là un tsunami. Ici une sécheresse ; là
une inondation. Aujourd'hui plus qu'hier des dangers relèvent de la prétention
de l'être humain. Exemple : identifié à son ego la vanité de l'homme est telle
qu'il pense vivre – dans – la nature et qu'il peut donc dominer, contraindre,
ce quelque chose à quoi il fait face. En réalité, comme tous les êtres vivants,
l'homme vit – de – la Nature.
La vraie nature de l'être humain, sa réalité essentielle,
est de la même Nature que la Nature.
La Nature est notre propre essence, notre réalité
essentielle. Pour se libérer de cette menace le devoir de l'homme est de se
mettre au service des lois de la Nature. Je crains que l'obsession de
l'intelligence artificielle l'en dispense plus encore.
Lorsque, au début de mon séjour à Rütte (1967), j'ai dit à
Graf Dürckheim que je n'arrivais pas à comprendre la relation entre ce qu'il
désigne comme étant notre être essentiel et ce qu'il appelle le moi
existentiel, il a souri et m'a dit "Je vous comprends ! Parce qu'on ne
peut pas comprendre cette relation. Mais vous pourriez commencer par lire un
récit qui me donne l'impression d'être une véritable clé de compréhension de la
souffrance qui est propre à l'être humain. Cette allégorie attire notre
attention sur la relation de la vague avec l'Océan".
Quel est ce récit ?
Le lendemain, sous la porte de ma chambre, s'était glissée
cette métaphore qui répond à la question : « Qui suis-je ? »
LA VAGUE ET L'OCEAN.
« La vague n'est pas un objet différent de l'Océan, quelque
chose qu'il serait possible de séparer de l'Océan. Le sentiment qui anime la
vague tout au long de son parcours en surface, dans ce qu'on appelle le monde,
est le sentiment de sécurité.
La sécurité ! Comment se fait-il ? Parce que la vague se
sent UNE avec l'Océan.
Si la vague se différencie de l'Océan en pensant il y a moi
et en dessous de moi il y a quelque chose, l'Océan, son parcours en surface est
animé par l'angoisse et les états qui l'accompagnent. »
Cette allégorie reprend ce qui est commun à la plupart des
voies de sagesse qui ont leurs racines en Orient et en Extrême-Orient.
Tout enseignant du Yoga, du Tai-Chi-Chuan, du tir à l'arc
(Kyudo), de l'art du thé (Chado), de l'art du combat au sabre (Kendo), de l'art
de la calligraphie (Shodo) devrait lire et relire ce qui est la clé de
compréhension du fondement des ces pratiques à la fois différentes et
identiques.
L'affirmation qui est commune à tous ces enseignements est
que profondément, dans son essence, l'homme est réellement libre, calme,
confiant. Comme la vague je peux envisager un parcours dans le monde dans la
... sécurité.
L'Océan est la matrice de chaque vague. De l'Océan s'extrait
chaque vague. Chaque vague n'est autre que l'Océan. Il serait prétentieux de
dire "Je suis l'Océan...!" Mais j'ai le droit de dire que
"Jesuis un paquet d'Océan!"
Dans les années 1930, Graf Dürckheim pratique l'exercice
appelé zazen et le tir à l'arc (Kyudo) depuis quelques mois. À D.T. Suzuki, qui
lui a conseillé de ne pas aborder le Zen à travers son entendement de
philosophe mais en entrant dans la pratique d'un exercice, il dit "Si je comprends
bien, le Zen ouvre sur l'expérience d'être comme un poisson dans l'eau ?"
Réponse immédiate de Suzuki :"Non. Le Zen ouvre sur
l'expérience d'être comme l'eau ... dans l'eau".
La Voie tracée par Graf Dürckheim, le Zen dans ce que cette
tradition recèle d'universellement humain, me libère de l'illusion que la Vie
est – dans - le vivant, me libère de l'illusion que l'Être est – dans -
l'étant.
Le vivant, le corps vivant que je suis (Leib, IchLeib)
"EST" la vie qui d'instant en instant prend forme existentielle.
Le corps n'est pas le contenant d'un contenu ... la Vie. De
même que la vague n'est pas le contenant d'un contenu ... l'Océan.
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Jacques Castermane
A suivre.