S'il y a quelque chose de très difficile à traduire par des mots, c'est cette prise en compte spécifique du réel, de la situation présente, sans le moindre artifice, sans le moindre écart, sans la moindre affectation. A chaque fois, l'attitude témoigne justement de ce qui n'est plus une attitude.
C'est frais, c'est neuf, c'est sans intention. Persiste seulement, cette intimité avec le réel, tellement fine, diaphane, délicate, subtile, que cela force un infini respect. Voici la trace laissée par Hirano Katsufumi Rôshi, maître zen sôtô, venu du Japon donner un enseignement au Centre Dürckheim.
Cet enseignement nous oblige, non pas à rester fixé sur des mots, il nous oblige dans le sens d'une actualisation de ce que nous avons vu et senti.
Le vent d'automne, les petites fleurs, la nature telle quelle... Le passage d'Hirano Rôshi au Centre a soufflé un vent de simplicité. Pas d'artifice, aucune prétention dans l'usage des mots. Tous les exemples cités sont des références à la nature. La nature, c'est la parfaite coïncidence avec les cycles voulus par la vie, c'est se laisser entraîner dans l'action irréfléchie de tout ce qui constitue le vivant. Les arbres ne luttent pas, la petite violette ne sait pas qu'elle est là, elle coïncide simplement avec son être-là.
L'entraînement (c'est bien le terme utilisé par Hirano Rôshi) consiste justement à se laisser entraîner dans cette participation au courant de la vie et ses multiples changements. Ne rien s'approprier tout en demeurant entièrement concerné (dans le sens de « être touché »), induit un travail incessant relatif à l'implication exercée dans l'assise. Cela nous engage à poursuivre et approfondir l'expression la plus juste qui soit de notre vraie nature, ce qui Est de soi- même, tel que c'est. Nous pouvons retrouver la source de cet enseignement dans le texte du Shôbôgenzô dont Dôgen est l'auteur : « L'enseignement fondamental est transmis grâce à la méditation assise, de cœur à cœur. Sans prêcher la voie avec la bouche, il suffit de montrer la forme avec justesse. »
Ce qui est travaillé, dans cet enseignement, c'est le degré d'implication qui est le juste « ne rien faire ». L'excès d'implication démontre un désir, or la nature est sans désir, le manque d'implication démontre un retrait, or la nature ne se retire jamais de la situation ; elle assume totalement, le printemps comme l'été, l'automne comme l'hiver.
Cette pratique, et c'est ce dont témoigne Hirano Rôshi dans sa manière d'être là, met en exergue un infini respect pour ce moment de vie qui nous arrive tel qu'il est, qu'il n'y a pas d'autre vérité que celle-là et que nous devons l'accueillir telle quelle. La vie, telle quelle, nous arrive maintenant. Le respect, c'est cette attitude intérieure qui fait que l'on ne peut envisager n'importe quelle action, si ordinaire soit-elle, si banale soit-elle, sans s'incliner intérieurement devant l'activité en cours.
Il n'y a là-dedans aucune quête, aucun signifiant, il y a juste cette célébration du moment, tout en nous gardant bien de confondre célébration et sacralisation. A chaque fois que nous entendons un tel enseignement, nous n'avons pas fait l'acquisition d'un savoir, mais nous nous sentons « obligés », c'est-à-dire confrontés à cette responsabilité d'accueillir le naturel nous laisser revenir à ce qu'il y a d'originel, à ce qui n'est pas de notre fait.
Les maîtres ne nous démontrent pas la logique d'un cheminement, ils dévoilent une manière d'être. Lorsqu'ils répondent à la question d'un disciple, ils le font par le biais d'une histoire qui témoigne d'une attitude devant une situation. C'est cela qui nous touche au plus profond et nous ramène de ce fait à une mise en pratique immédiate à travers l'exercice. Nous devons démontrer la simplicité, « montrer la forme avec justesse ».
Hirano Rôshi le dit et le répète : « Ne cessez jamais l'entraînement ».
Dominique Durand
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