Votre regard tendre sur l’humanité, d’où vient-il ?
Je recherche ce qu’il y a de grand dans les petits êtres que nous sommes. Je déteste les gens qui cherchent ce qu’il y a de petit. En plus, je ne vois que ça. Aujourd’hui, avec le sarcasme, un certain humour, une ironie constante, une dépréciation absolue, une critique permanente, c’est le règne de la grimace et du sarcasme, c’est le règne du crachat. Je trouve que le monde médiatique est encombré par les crachats. Soit le cirage de pompes indécent, soit, pour avoir l’air intelligent, le crachat. C’est plus intelligent d’admirer que de cracher.
Je cherche toujours ce qui s’ouvre à un être. Je n’arrive pas à réduire un être à un seul de ses actes. C’est cela, le pardon. Pardonner, c’est dire : non, la personne que j’ai en face de moi ne se réduit pas à cet acte mauvais qu’elle a fait un jour. Dans sa vie, il y a d’autres éléments. L’étoffe est plus riche que ce que j’en ai vu à un moment et qui a pu scandaliser ou choquer, ou faire du mal.
Maintenant j’ai pris conscience que c’était aller contre le courant dominant. Il y a dix ans, à l’époque où j’ai parlé de mon optimisme, je me suis pris une volée de bois vert du milieu « intellectuel » autodéclamé. Ils sont moins diplômés que moi, mais bon, ce sont eux les intellectuels, si ça leur fait plaisir. Là, je me suis aperçu qu’il y avait un combat. Je me suis dit : « Eh bien, ce sera l’un des miens ! ».
J’étais en profonde résonance, en profond accord, en disant : plutôt cultiver la joie que la tristesse. Il faut plutôt aller chercher ce qu’il y a de grand dans ce qu’il y a de petit que ce qu’il y a de petit dans ce qu’il y a de grand. Tout d’un coup, quand je vois que cette position est inaudible pour beaucoup de gens, je me dis : « Alors, cela doit être un combat ». Ce sera un combat. À ce moment-là, les choses deviennent plus claires.
C’est ce qui explique votre discrétion par rapport aux '' people '', vous n’y êtes jamais, c’est de l’humilité ?
Non, j’ai la chance que les télévisions, les radios m’aiment bien, puisqu’on dit que je suis un bon client. Mais je n’y vais jamais sans avoir à délivrer un contenu, parce que je ne vais pas me mettre à faire partie d’un jeu télévisuel ou à aller à une émission sans fond. Si j’y vais, c’est toujours pour apporter un contenu, relatif au dernier livre que j’ai écrit ou à la pièce. Jouer le V.I.P., la very impossible personne - je bénéficie d’un traitement de V.I.P. parce que j’ai vendu des millions de livres et parce que je fais partie du paysage culturel -, en tant que tel, cela ne m’intéresse pas. Être connu ne m’a jamais intéressé. Ce que je veux, c’est qu’on me lise, qu’on voie mes pièces. J’ai toujours refusé de servir aux médias un personnage ; parce que souvent ils veulent un personnage pour faire le show. J’ai toujours pensé que
c’est par le contenu que je devais être présent quelque part. Alors, avec le temps, cela finit par rendre. Et puis, la discrétion dont vous parlez, c’est aussi tout simplement une impossibilité, parce que j’ai une carrière dans 50 pays. Vous imaginez donc, pour qu’on me voie un petit peu partout, j’en fais beaucoup. À l’arrivée, vous en voyez peu parce qu’il y a plein de pays. Je dois garder du temps pour ma vie privée, pour le ressourcement intérieur et pour l’écriture car j’écris beaucoup.
Avez-vous un objectif avant la fin de votre vie ? Intérieur peut-être ?
Forcément, des volontés de perfectionnement intérieur, bien sûr. J’aimerais, avec le temps, devenir plus contemplatif qu’actif. Je me demande si j’ai raison de vouloir cela. C’est quelque chose que je cultive en me disant : « Ce serait bien de rendre cet hommage à la nature, au monde, à la vie, d’être un peu plus contemplatif ». Je suis un suractif. Parfois cette suractivité m’effraie, mais pas longtemps. Autrement, j’ai des projets intellectuels et artistiques. Je pense d’ailleurs très naïvement que ma vie sera calibrée à ces projets, c’est-à-dire aussi longue que mes projets me porteront. Je pense vraiment que quand mes projets ne me porteront plus, cela voudra dire que mon temps sera fait. J’ai cette conception-là. Le temps, pour moi, c’est le pouvoir de faire. Je n’ai pas du tout une conception passive du temps comme étant ce qu’on subit. Le temps, c’est notre action, c’est notre pouvoir d’agir. Avoir du temps, c’est pouvoir faire ceci ou cela. J’ai une conception positive : je conçois le temps comme un feu, comme un feu qui brûle, pas un feu qui me consume, mais un feu qui produit de l’énergie, un feu qui produit des objets, un feu qui réchauffe, un feu qui cuit, un feu qui construit.
C’est une conception active du temps, du temps comme un pouvoir et pas une conception passive du temps, qu’on subit.
La contemplation n’est-elle pas une activité, active d’une autre manière ?
La contemplation, c’est une autre façon d’habiter le temps. Ce n’est pas le subir non plus. C’est chercher l’éternité dans le présent. C’est chercher l’éternel qu’il peut y avoir sur l’éphémère, donc c’est encore autre chose. C’est se connecter à quelque chose d’important. Quand je dis : « J’aimerais être plus contemplatif », c’est cela, parce que cela ne m’arrive que par éclairs.
N’est-ce pas le propre de la vieillesse ?
Non, parce que je me souviens qu’enfant j’étais comme ça. Ce n’est pas une question d’âge. Dans ma vie adulte, j’ai des moments comme ça, mais ils sont assez peu nombreux parce que je ne leur laisse pas la place d’arriver. Ces moments-là me prennent par surprise.
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