Dans le mystère des Saints innocents, Charles Péguy prête à Dieu la parole que voici : « Je n'aime pas l'homme qui ne dort pas. Celui qui brûle, dans son lit, d'inquiétude et de fièvre. Je suis partisan que tous les soirs on fasse son examen de conscience. C'est un bon exercice. Mais enfin il ne faut pas s'en torturer au point d'en perdre le sommeil. À cette heure-là la journée est faite, et bien faite (...). Il n'y a plus à y revenir. » Péguy peut, ici, donner le ton de l'examen de conscience qui clôture la journée. Il ne doit pas tenir de la torture de soi, du remords ou de la tristesse. Si, en effet, relire le quotidien permet de tirer mille et un enseignements, quelle meilleure voie, pour le faire, qu'exercer la gratitude.
Dire « merci », c'est repérer l'empreinte des dons reçus dans la journée. La spiritualité, ici, est reconnaissance, lucidité, attention à ce qui est. Loin d'accumuler les expériences, ce qui compte, c'est goûter ce que ce jour m'a apporté. L'art de la joie réside dans cette ouverture et cet accueil. La gratitude ose un « oui » à l'existence, un « oui » à ce que je suis. Elle sait nous ouvrir à la nouveauté. Il y a dans le « oui » et le « merci » un acte profondément religieux. Sans eux, nul -contentement n'est accessible. Sans eux, je ne reçois rien. Même un plaisir matériel devient spirituel pour l'esprit reconnaissant. Maître Eckhart donne une indication qui élargit encore cette pratique. Il invite à bénir le Seigneur pour les dons récoltés aussi bien que pour les prières non exaucées. Parce qu'il ne s'agit pas de réduire la gratitude au simple règne de l'intérêt. Précisément la reconnaissance tient aussi de la confiance : je rends grâce pour la journée et ses épreuves que je ne comprends pas. J'ose ce saut dans l'abandon.
Je bois un café, je réalise combien de personnes ont œuvré pour que cette boisson me rassasie. Je pense à Jean-Sébastien Bach, qui l'a célébré par une de ses œuvres, je songe aussi à l'ami qui me l'apporte, à l'employée qui me l'a vendu. Loin d'un optimisme béat, la gratitude nous convie à un hyperréalisme. Je regarde mieux. Ce que je suis, je le reçois. Le concret de l'existence comme les dons les plus spirituels me sont offerts gratuitement. Par l'action de grâce, je m'ouvre, je dilate mon individualité pour chanter les merveilles de toute la Création. Saint François d'Assise ne louait-il pas notre « sœur » la Mort ? Dire « merci » pour ce qui nous reste caché, pour ce qui nous fait du mal, ce n'est pas tomber dans un masochisme et nier la souffrance. Mais, au contraire, affirmer avec force que le mal n'a pas le dernier mot et que précisément la confiance et l'abandon peuvent donner sens au tragique et renouveler nos forces. La gratitude, c'est donc cet acte de dessaisissement.
Je ne comprends pas tout, je ne saurais saisir le mystère de la vie, j'assiste à des injustices qui me blessent et j'adhère à cette vie. Je ne suis pas son juge. Ainsi, l'exercice qui clôture la journée peut se résumer par un verbe : remercier. Je ne lutte plus, je ne me pose pas en justifiable devant l'existence mais je m'abandonne et je fais activement confiance. Et Péguy nous aide : « "Celui qui est dans ma main comme le bâton dans la main du voyageur, celui-là m'est agréable", dit Dieu. »
Un exercice spirituel avec Maître Eckhart
Bénissez le Seigneur pour les dons récoltés aussi bien que pour les prières non exaucées. Parce qu'il ne s'agit pas de réduire la gratitude au simple règne de l'intérêt.
Dire « merci », c'est repérer l'empreinte des dons reçus dans la journée. La spiritualité, ici, est reconnaissance, lucidité, attention à ce qui est. Loin d'accumuler les expériences, ce qui compte, c'est goûter ce que ce jour m'a apporté. L'art de la joie réside dans cette ouverture et cet accueil. La gratitude ose un « oui » à l'existence, un « oui » à ce que je suis. Elle sait nous ouvrir à la nouveauté. Il y a dans le « oui » et le « merci » un acte profondément religieux. Sans eux, nul -contentement n'est accessible. Sans eux, je ne reçois rien. Même un plaisir matériel devient spirituel pour l'esprit reconnaissant. Maître Eckhart donne une indication qui élargit encore cette pratique. Il invite à bénir le Seigneur pour les dons récoltés aussi bien que pour les prières non exaucées. Parce qu'il ne s'agit pas de réduire la gratitude au simple règne de l'intérêt. Précisément la reconnaissance tient aussi de la confiance : je rends grâce pour la journée et ses épreuves que je ne comprends pas. J'ose ce saut dans l'abandon.
Je bois un café, je réalise combien de personnes ont œuvré pour que cette boisson me rassasie. Je pense à Jean-Sébastien Bach, qui l'a célébré par une de ses œuvres, je songe aussi à l'ami qui me l'apporte, à l'employée qui me l'a vendu. Loin d'un optimisme béat, la gratitude nous convie à un hyperréalisme. Je regarde mieux. Ce que je suis, je le reçois. Le concret de l'existence comme les dons les plus spirituels me sont offerts gratuitement. Par l'action de grâce, je m'ouvre, je dilate mon individualité pour chanter les merveilles de toute la Création. Saint François d'Assise ne louait-il pas notre « sœur » la Mort ? Dire « merci » pour ce qui nous reste caché, pour ce qui nous fait du mal, ce n'est pas tomber dans un masochisme et nier la souffrance. Mais, au contraire, affirmer avec force que le mal n'a pas le dernier mot et que précisément la confiance et l'abandon peuvent donner sens au tragique et renouveler nos forces. La gratitude, c'est donc cet acte de dessaisissement.
Je ne comprends pas tout, je ne saurais saisir le mystère de la vie, j'assiste à des injustices qui me blessent et j'adhère à cette vie. Je ne suis pas son juge. Ainsi, l'exercice qui clôture la journée peut se résumer par un verbe : remercier. Je ne lutte plus, je ne me pose pas en justifiable devant l'existence mais je m'abandonne et je fais activement confiance. Et Péguy nous aide : « "Celui qui est dans ma main comme le bâton dans la main du voyageur, celui-là m'est agréable", dit Dieu. »
Un exercice spirituel avec Maître Eckhart
Bénissez le Seigneur pour les dons récoltés aussi bien que pour les prières non exaucées. Parce qu'il ne s'agit pas de réduire la gratitude au simple règne de l'intérêt.
Source : La vie magazine 2009