dimanche 6 mars 2016

Marie-Eve Thomas. Transcendée par l'icône

Cette catholique diplômée des Beaux-Arts s'est formée, à l'aube de la quarantaine, à la peinture d'icônes. Un art, adossé à la tradition orthodoxe, qui a renforcé sa quête spirituelle.

Moscou, Vladimir, Novgorod, Saint-Pétersbourg... depuis deux semaines, j'arpente églises et monastères russes. Au fil de ma « route des icônes », je peux enfin contextualiser ces oeuvres jusqu'alors contemplées et travaillées à partir de livres. Comprendre leur sens profond au travers des liturgies et du rite. Je suis émerveillée face à la Très Sainte Trinité de Roublev, comblée de vivre la Pâque orthodoxe, impressionnée par la ferveur des gens. Durant ce voyage, un objectif me taraude : visiter un atelier d'icônes. Formée à cette pratique en France, je suis dans le doute : suis-je à ma place dans ce métier en tant que catholique ? J'ai besoin de l'assentiment d'un homme d'Église pour être confirmée dans ce savoir-faire.

Munie d'un petit papier contenant ma requête traduite en russe, j'essuie refus sur refus. Jusqu'à ce jour béni, où, au monastère de Serguiev Possad situé à 70 km de Moscou, je rencontre par hasard une élève iconographe parlant le français. Elle obtient l'autorisation de me montrer les ateliers nichés dans de petites cahutes en bois, à l'abri des regards. Mais aussi de me faire rencontrer l'higoumène (supérieur du monastère) Lucas afin que je reçoive sa bénédiction. Cette « validation » de mon travail - à l'issue d'un dialogue avec lui sur les canons et règles inhérents à cet art, d'un point de vue technique mais aussi spirituel - est essentielle pour moi. Dès lors, je sais que je peux rentrer sereine en France. C'est comme si, après avoir parcouru seule le désert, j'étais autorisée à continuer sur ce chemin. À répondre à cette vocation, que je considère comme une mission.

L'image a toujours été une respiration dans ma vie. C'est par elle que je communique. Quand j'étais petite fille, un immense mur de ma chambre me servait de toile. Ma mère avait installé une tapisserie spéciale que je pouvais enduire de blanc à l'infini. C'était merveilleux. Plus tard, j'ai travaillé pendant 15 ans dans le milieu artistique, mais l'insatisfaction m'habitait.

Jusqu'au jour où, feuilletant une revue, je suis tombée sur une icône. En la contemplant, j'ai repensé à toutes les icônes et fresques qui avaient marqué ma jeunesse, de celle accrochée au-dessus de mon lit de petite fille à celle de Giotto découverte à l'âge de 17 ans dans la chapelle des Scrovegni (à Padoue). Submergée par l'émotion, je m'étais cachée pour pleurer.

J'ai ainsi décidé de me former en France auprès d'une femme, maître en iconographie, qui était l'épouse d'un prêtre orthodoxe. Trois années durant, j'ai suivi un enseignement exigeant, ainsi que des cours de théologie chrétienne. Et trouvé ce qui manquait à ma vie artistique : la dimension spirituelle. Ensuite j'étais censée retourner dans mon labo photos. Finalement, touchée au coeur, j'ai ouvert mon atelier et suis partie en Russie. Alors que j'avais toujours tout prévu dans ma vie, c'était comme si un Autre la maîtrisait à ma place.

Aux Beaux-Arts, j'avais tendance à travailler de manière impulsive, rapide. De la même façon que l'icône est contenue dans un cadre, cette pratique m'impose une rigueur proche de la tradition monastique. Elle me canalise et régule tout mon être. La préparation d'une série de planches nécessite par exemple sept jours de rituels précis. Douze couches de levkas, l'enduit blanc du fond de l'icône - le nombre 12 renvoyant aux apôtres -, toutes les 12 heures, selon une technique d'essuyage spécifique, un temps de séchage et une manière de faire précise. Cet art, qui a été pensé depuis des siècles, est une école de patience et de respect des règles. Et ce cadre, cette discipline me font accéder à une liberté intérieure. Dans le christianisme, j'aime cette idée qu'il y a un temps pour tout. En iconographie, il y a un temps pour chaque élément. Lorsque j'écris une icône, je m'enracine dans le réel, dans le temps présent, tout en rejoignant un hors-temps au parfum d'éternité.

Je vis ma foi de manière très intime. J'aime entrer dans les églises, seule... Je m'y sens comme aimantée. J'ai besoin de transcendance, d'une dimension verticale. Mon travail ne va pas sans une vie de prière, sans silence, sans labeur, sans rigueur. S'il me manque un de ces ingrédients, je ne peux créer d'icônes, tout comme il ne peut y avoir de plénitude au sein de leur cadre. Je crois que l'intention de l'artiste est fondamentale. La mienne est de rendre gloire à Dieu. Je ne peux donc pas créer sans démarche spirituelle. Sans une lecture régulière des Écritures, essentielle pour nourrir mes images.

Les pleins et les déliés, tracés par mon pinceau le matin, ne vont pas sans inspir et expir au travers desquels souffle l'Esprit saint. Cette gymnastique corporelle crée une ouverture dans le geste et dans le coeur au service d'une unification du corps et de l'âme. Sans être thérapeutique, ce canal m'a permis de faire la paix avec Dieu. Il a été un soutien vertical qui m'a ancrée dans la terre. Qui m'a aidée à dire « oui » à la vie, après la perte de ma fille, au bout de quatre mois de grossesse. Pendant des années, j'ai été habitée par le doute, par les remises en question. Tout en « écrivant » mes icônes, je n'ai cessé de Le questionner, de Le tester, pour finalement réaliser qu'Il n'était pas responsable de sa mort.

L'iconographie m'a réconciliée avec l'art : contrairement au milieu artistique où l'ego est souvent roi, dans l'iconographie, on s'efface derrière l'image : les icônes ne sont pas signées. Elles ne nous appartiennent pas. En lien avec les Écritures, notre main perpétue une tradition au fil des siècles.

Je me sens investie d'une responsabilité vis-à-vis du Créateur. Celle de témoigner de ma foi en représentant le visage de la Sainte Face, celui de saints ou encore des scènes bibliques. Il s'agit de les faire vivre en les incarnant. Je ne suis pas toute seule dans ce travail : c'est un dialogue entre terre et ciel, avec Dieu, et avec la personne ou la paroisse qui me passe une commande. La notion « d'oeuvrer pour », prend alors son sens.


Les étapes de sa vie
1965 Naissance à Villefranche-sur-Saône (71).
1994 Diplômée des Beaux-Arts.
1998 Mariage dont naîtront trois enfants.
2003-2006 Formation auprès d'un maître iconographe.
2006 Ouverture de son atelier.
2008 Voyage en Russie.
2013 Création d'un retable pour l'église de Lissieu (69).
2015 Création iconographique sur les 12 grandes fêtes de l'année liturgique.




Des stages d'initiation
Marie-Eve Thomas propose quatre fois par an un stage de peinture d'icônes. Chaque session dure cinq jours et se déroule soit dans son atelier à Morancé (69) - hébergement proposé dans un monastère tout proche -, soit à l'abbaye de Boscodon (05). Ces cours, transmis selon la tradition russe, ont pour objet d'aider à approfondir et à comprendre l'écriture de l'icône dans le souffle de l'Esprit créateur. Le prochain stage aura lieu du lundi 18 au vendredi 22 avril 2016, à Morancé.
Plus d'informations : 06 18 55 29 75. www.atelier-iconographie.com

source : La Vie