Ouf ! Les courses de la semaine sont terminées.
Mon mari, ma fille et moi sortons de l'un de ces immenses supermarchés.
Mais, après l'effort, le réconfort ! De quoi j'ai envie ?
Qu’on se fasse un resto en famille. Tout le monde est d’accord à l’unanimité, parfait ! Il y en a un. juste là.
Nous voilà attablés, prêts à déguster ce moment tous les trois. Quand, tout à coup, des hurlements d'enfant envahissent mes oreilles! Des cris, des pleurs... Bref, un caprice comme on les aime bien! Les cris s'amplifient, et j’ai la très désagréable impression que ce n'est que le début de l’opéra de la petite Castafiore capricieuse !
Aux cris de « l’emmerdeuse ». je sens monter en moi une grande violence, car, à ce niveau sonore, ce n’est plus d’une enfant dont il s’agit, mais bien d’une « emmerdeuse » ! Dans les coulisses de ma tête, en apparence plus ou moins contenu, se trame un meurtre : « Elle va la fermer ou quoi ! Ce n’est pas croyable, ça ! Et sa mère, qu’est-ce quelle fout ? Elle ne voit pas que sa gamine gêne tout le monde ! Pas moyen d’être tranquilles » !
Cette mélodie secrète de haine prend corps en moi et, de la pensée aux gestes, les kilomètres se font courts !
À ce moment-là, j’entends la maman hurler à son tour: « Th veux rester là ? OK. Nous, on part. Je te laisse ici, je t’abandonne. Reste toute seule ! ».
À ces mots « je t’abandonne », les commentaires tueurs qui se déroulaient dans ma tête cessent immédiatement. Un point de la situation se fait en moi.
Quoi ? Je suis prête à tuer un enfant du regard, juste parce qu'il pleure, pour des cris ? Mais je ne veux pas ça, moi ! J’ai mal tout à coup d’avoir eu ces pensées !...
Mais, qui suis-je à cet instant précis ?
Quelque chose se retourne en moi ; quelque chose s’apaise, se pose.
Ce «je t’abandonne» résonne dans ma tête... Je le connais, ce goût de moi en bouche, je le reconnais !
En une seconde, je revois mes caprices d’enfant et ma pauvre maman qui menaçait de m’abandonner sur place. Je revis, dans l’instant, toute ma souffrance d’enfant qui voulait juste un câlin de sa maman et qui, pour être vue par elle, devenait la petite Castafiore capricieuse.
Je sens même ma maman, du haut de ses 19 ans, désespérée de ne savoir que faire pour que j’arrête de hurler et extrêmement gênée de ce caprice en public.
Non! Elle n’est pas capricieuse cette petite, et non, sa maman n’est pas une mauvaise maman.
Combien elle a mal, cette petite fille ! Mon Dieu, combien elle est désemparée, cette petite maman !
Mon corps pivote sur ma chaise en direction de la petite fille. Je vois ses deux petits yeux remplis de larmes de désespoir, perdue, ayant tout tenté pour attirer l’attention de sa maman.
Elle est si touchante cette petite fille ! On n’a qu’une envie, la serrer dans ses bras.
Elle tient son doudou dans sa main et là, je m’entends lui dire avec une délicatesse infinie : « Tu es fatiguée, ma chérie ? Comme il est beau, ton doudou ! ».
La petite s’arrête net de pleurer. Elle me regarde, elle me voit. Oui, on se voit toutes les deux. Plus aucun jugement dedans. Quelle tendresse !
Puis, je croise le regard soulagé de sa maman.
Sa petite copine de 2 ou 3 ans, qui a assisté à la scène, s’approche et me dit :
« T’as vu ? Z’en ai deux de doudous, moi. Ze peux te faire un bisou ? ».
Et elle me fait un bisou sur la joue.
Je suis un peu sonnée sur ce qui vient d’avoir lieu !
« Pas grand-chose en apparence » direz-vous ; mais un véritable miracle en moi a eu lieu.
Je suis lavée de ce vieux scénario.
Je me sens aimée... tellement aimée !
Marie
(source : Revue Reflets)
***