Selon le Dr Louis Masquin, neuropsychiatre et ancien chef de clinique à la faculté de Marseille, la dépression est comme une expérience de mort à soi-même pour renaître autrement. Une croix qui ouvre sur l’espérance de Pâques.
Comment comprenez-vous l’augmentation des cas de dépression ?
En France, on estime que près d’une personne sur cinq a souffert ou souffrira d’une dépression au cours de sa vie. Il s’agit bien d’un phénomène de société, que le Covid a en quelque sorte exacerbé. J’insiste toujours sur la complexité de cette maladie dont l’origine est multifactorielle. Le premier facteur de vulnérabilité à la dépression est sans doute la fragilité psychologique actuelle. Je note par exemple chez nombre de jeunes une absence de point d’ancrage. Ensuite, notre monde est difficile, marqué par un bouleversement radical des repères familiaux et sociaux ainsi que des valeurs.
L’homme étant fait pour être en communion avec d’autres, il peut être écrasé par l’impératif contemporain d’affirmation individuelle et d’autonomie absolue. Et puis, dans une société qui s’accélère à un rythme effréné, l’individu passe d’une chose à l’autre sans prendre le temps de s’arrêter. Il vit à la surface de lui-même, laissant de côté le besoin d’intériorité.
Le vide spirituel serait-il à prendre en compte ?
Je pense en effet que l’augmentation de fréquence de la dépression vient, tout au moins en partie, de la crise spirituelle que traversent nos sociétés modernes, de la perte des idéaux noyés dans le matérialisme et le consumérisme. Les avoirs, les pouvoirs et les jouissances ne nourrissent pas un homme, si j’ose dire ! Sa soif et sa faim vont bien au-delà car les aspirations spirituelles, qu’on le veuille ou non, sont le propre de l’humain. Pour preuve, l’émergence des nouvelles religiosités et spiritualités.
Le psychiatre viennois Hans Lenz décrivait la dépression comme « la maladie des manques » : manque d’intérêt, de plaisir, d’énergie vitale, de sommeil… Et nous pourrions ajouter : manque de Dieu, ou, plus largement, de vie spirituelle. Je me pose donc la question : la dépression ne serait-elle pas un appel au secours de l’âme qui n’en peut plus ?
D’où votre insistance à ne pas la réduire à la seule dimension de la maladie ?
Certains psychiatres ont une vision très biologique des problèmes de la vie psychique. Ils les abordent comme s’ils étaient déconnectés de la vie spirituelle. Ils rêvent d’un médicament miracle qui sortirait la personne du tunnel de la dépression. Mais c’est oublier que l’homme est indissociablement corps, âme et esprit.
Comme l’écrivent le Dr Yves Prigent et le père Stan Rougier, dans la Dépression, une traversée spirituelle (DDB) : cette maladie « se trouve au carrefour du social, du psychologique, du biologique, du culturel et du spirituel, elle est comme le révélateur d’une identité globale de l’homme ». C’est cette vision-là qu’il faut envisager.
N’y a-t-il pas là un risque de confusion entre le psychologique et le spirituel ?
Il est nécessaire de ne pas psychologiser le spirituel ni de spiritualiser le psychologique, c’est indéniable. La dépression est une maladie, qu’il faut traiter en tant que telle, et traiter correctement – le risque de suicide est réel. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’un travail psychologique, d’une psychothérapie ni du recours aux antidépresseurs lorsqu’ils sont nécessaires.
Cela étant dit, il ne faut pas s’arrêter à la dimension médicale, mais aller plus loin, et ce, au rythme du patient. À lui de se mettre à l’écoute de ce que cette épreuve vient lui dire. Oui, la souffrance dépressive est terrible, torturante, mais elle n’est pas exclusivement négative. Quelque chose de positif peut en sortir. Ce blocage peut être une réaction de sauvegarde, et l’effondrement dépressif pourrait se comparer au compteur qui disjoncte pour sauver le circuit électrique.
« Il y a un message dans la dépression », écrivez-vous. Quel est-il ?
Ces questions essentielles de l’existence que la personne avait refoulées, mises de côté ou qu’elle n’avait pas voulu affronter, voilà qu’elles surgissent très directement et radicalement à l’occasion d’une dépression : quel est le sens de ma vie (direction et signification) ? Quelle est la hiérarchie de mes valeurs et de mes finalités (solidarité, générosité, justice, vérité) ? Comment suis-je présent au monde et aux autres ? Quid de mon ouverture à un Au-delà de moi, au Tout Autre, à la transcendance, de ma relation avec le divin ? Et Dieu dans tout ça ?
J’ai accompagné plusieurs trentenaires qui ont changé d’orientation professionnelle. Leur dépression leur avait fait prendre conscience d’un manque de cohérence entre leur métier et leurs valeurs. « Je ne peux pas continuer ainsi », disaient-ils.
La dépression est donc une invitation au changement ?
Oui, et nous avons souvent bien du mal à l’accueillir ! La première étape est d’accepter la maladie, le diagnostic et le traitement, et ce n’est pas le plus facile. D’une certaine façon, la dépression est une expérience de mort à soi-même pour renaître autrement. Elle est une croix, qui peut être lourde à porter, mais qui ouvre sur l’espérance de Pâques. Encore faut-il entendre cet appel au changement et y consentir, s’y engager.
Il n’y a pas de guérison magique ou passive. Le Christ nous pose la question, comme à l’asthénique de la piscine de Bethesda : « Veux-tu être guéri ? » (Jean 5, 6), et aussitôt il lui adresse un triple impératif : « Lève-toi, prends ton brancard et marche » (5, 8). Il ne dit pas : « Ne bouge pas, je vais te guérir. »
Dans cet Évangile, Jésus ne va-t-il pas encore plus loin ?
Être en bonne santé physique et psychologique n’est pas suffisant. Pour les croyants, la guérison (c’est-à-dire la santé, en latin salus, c’est-à-dire le salut) est aussi spirituelle. Jésus invite ainsi l’asthénique à s’engager à se convertir : « Te voilà guéri : ne pèche plus de peur qu’il ne t’arrive pire encore » (Jean 5, 14). La guérison n’est pas un état, mais bien un chemin, un chemin de conversion. Guérir, c’est se mettre en route et avancer dans la vie sous le regard de Dieu et dans sa main.
Source : La Vie (Par Alexia Vidot)
À savoir. La Dépression. Vers une nouvelle aurore ?, de Dr Louis Masquin, Éditions des Béatitudes,
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