Tous les mandala ne sont pas éphémères. La plupart sont
peints sur du tissu avec de vraies couleurs. Ils ne comportent aucune référence
au monde phénoménal et demeurent enfouis dans la nuit des monastères. Cet art
naît entre le VIIème siècle, époque où le bouddhisme pénètre le Tibet, et le
XIème siècle. Terme sanskrit qui signifie «disque» ou «cercle», diagramme où
les couleurs et les figures sont déployées autour d'un axe central, le mandala
est destiné à la méditation. Lui seul réunit toute la gamme des déités du
panthéon tibétain.
Le chiffre cinq gouverne le mandala. Dans son disque, dominent
tour à tour cinq ères, cinq enceintes, cinq Bouddhas ou Jinas : vainqueurs.
Cinq couleurs rythment ce diagramme : le bleu foncé, le jaune, le rouge, le
vert et le blanc. A chacune, correspond une passion. Au bleu, la colère, au
jaune, l'orgueil, au rouge, la concupiscence, au vert, la jalousie, au blanc,
les ténèbres mentales. Cette peinture recèle un enseignement qui annonce la
psychanalyse, la physique des particules élémentaires, la notion de patrimoine
génétique ! Certains ont parlé à son propos de «gymnastique mentale».
Lire un mandala, c'est le parcourir du regard en tournant dans le sens des aiguilles d'une montre, en traverser des yeux les aires
colorées, en franchir les différentes enceintes, pour finalement en atteindre
le centre. Mais non sans s'être au préalable délesté de nos passions, non sans
avoir réalisé que ce «moi», à la fois acquis et inné, dont nous sommes si fiers
en Occident, tout compte fait, n'est qu'une illusion. Au centre, figure la
conscience claire et supérieure à laquelle on doit s'identifier. Des initiés
parlent d' «extinction du moi», d'«éveil». Alors, le monde phénoménal qui nous
entoure, et dont l'existence devait à nos sens à présent domptés, apparaît à
son tour comme une illusion. Mais la physique des particules élémentaires ne
nous enseigne-t-elle pas que la matière, en apparence immobile, solide, est en
réalité composée d'atomes, de neutrons, d'ondes ? Ainsi la roue du temps
n'est-elle pas destinée à flatter notre sens esthétique.
Au Tibet, l'art pour l'art n'existe pas. Ces couples en
union disent le mariage de la connaissance et de la sagesse. Ces Jinas
harmonieux, la route qu'il faut emprunter. Ces démons vigoureux, qu'il est
dangereux de s'abandonner à ses passions. Cette sensualité à l'œuvre est
d'abord au service de l'esprit, du vide. Et du bien. Car celui qui parvient à
cette «extinction du moi», celui-là devient plus disponible aux autres ; la
pratique du vide annonce celle de la compassion. Art millénaire, éminemment
canonique, respectueux des règles, art utile, le mandala n'en fait pas moins
appel aux artistes les plus doués. Plus les démons font peur ou plus les
étreintes sont fortes, ou les Bouddhas songeurs, ou les couleurs intenses, en
somme plus l'indicible s'inscrit dans le mandala, et plus cette œuvre gagne en
richesse spirituelle.