À méditer
« Trop souvent, on inverse la perspective qui fut celle de la vie du Christ. On se dit : s'il a souffert en continuant, au cœur de sa Passion, à aimer, c'est que, pour connaître l'amour véritable et s'en montrer capable, il nous faut à notre tour souffrir. Ainsi la religion chrétienne prend-elle ce tour morbide que Nietzsche et bien d'autres ont su dénoncer. D'autant que les souffrances qu'on se choisit n'auront jamais la vérité de celles qui nous arrivent. C'est donc qu'il faut prendre les choses de l'autre côté : en aimant au cœur de la pire souffrance, le Christ nous enseigne que la joie n'a pas de frontières préétablies. L'accent est sur la joie, non sur la souffrance. C'est l'amour qui sanctifie la souffrance, non l'inverse. Il ne s'agit pas d'aspirer à être Etty Hillesum ou Christian de Chergé mais, comme elle et lui, de continuer d'aimer le sourire des enfants et l'innocence des hommes au cœur du martyre. C'est cela qui, dans leur vie et son achèvement, est passage pour la grâce. Jamais Jésus ne nous dit : quittez votre joie quotidienne pour de sombres supplices. Mais plutôt : croyez bien que la joie de votre vie veut se faufiler partout, qu'elle a le pouvoir de ne pas mourir sur les lieux de morts. On rit aussi dans les hôpitaux, dans les prisons et sur les champs de bataille. On y aime beaucoup. Cela doit nous encourager à ne pas imiter la logique du mal, qui veut nous voir fermés, cloîtrés, prisonniers de nos peurs. »
Petit traité de la joie. Consentir à la vie, de Martin Steffens (Marabout Spiritualité)
À écouter : La Passion selon Saint Jean, de Bach
Le Dimanche des rameaux célèbre le souvenir joyeux de l’entrée du Christ à Jérusalem. Mais il entame aussi le compte-à-rebours jusqu’au jour de la crucifixion. Cette liesse déjà endeuillée, Bach l’a superbement exprimée dans le premier chœur de la Passion selon Saint Jean. Les cordes entament un ostinato qu’elles ne lâcheront pas durant la dizaine de minutes que dure le chœur. Sur ce motif de croches répétées « obstinément », qui évoque musicalement la marche lente et pénible du Christ portant sa croix, éclate une invocation au « Seigneur, notre Seigneur dont la gloire règne sur le monde ». L’ostinato va jusqu’à s’emparer du mot « Herr » (Seigneur), en un motif mélodique ascendant : la passion est aussi élévation, nous dit Bach…
Jean-Sébastien Bach, Passion selon Saint Jean, Rias Kammerchor, Akademie für alte Musik Berlin, René Jacobs, Harmonia Mundi, 2016.
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source : La Vie