« Toute petite, je vivais à la campagne dans un monde merveilleux. Je ne quittais pas ma mère qui était peintre. Je la voyais comme une fée qui d’un geste pouvait tout transformer. Sa peinture était alors surréaliste. Sous sa main évoluait un monde étrange fait de corps humains avec des têtes d’animaux. Ma mère était tantôt fusionnelle, tantôt complètement indisponible, aussi ai-je grandi entre le trop et le pas assez d’amour.
À 7 ans, je dus commencer l’école. La perte de la protection absolue de la fée signa l’effondrement de mon monde. Heureusement, pour m’y rendre, je devais arpenter les prés et chaque jour j’étais séduite par la poésie de la nature et attentive à cette vie secrète et magique.
Mes parents étaient deux personnalités fortes, toujours en opposition. De guerre lasse, ils se sont séparés. Je n’ai jamais vraiment eu de conversation avec mon père, qui ne me prenait pas très au sérieux. Ma mère, issue d’une famille de grande indépendance spirituelle – elle était la sœur de Jacques-Yves Le Toumelin, le premier des navigateurs en solitaire –, plaçait la barre très haut.
J’AIME LES GENS QUI CHERCHENT L’AMOUR
Quant à mon frère Matthieu (1), brillant élève, il était plutôt sauvage et déjà très ascète.
Contrairement à eux trois, je ne suis pas une intellectuelle, j’aime les gens qui cherchent l’amour et plus particulièrement les enfants qui en manquent. C’est pourquoi, dans mon métier d’orthophoniste, je me suis si longtemps occupée des enfants d’immigrés, que leurs parents, trop démunis, ne pouvaient pas aider.
J’étais une jeune femme romanesque, mais le péril de la maladie m’a imposé un autre regard, comme s’il donnait raison à ma mère qui a toujours vu en moi un corps malade. Pour comprendre ce qui avait fait de moi une candidate à la maladie de Parkinson, j’ai suivi une longue analyse. Cela m’a permis d’évacuer la colère et tous ces sentiments négatifs qui vous étouffent et vous enferment. À mon père et à ma mère, je laisse les ombres du soir et je garde l’extravagant, qui a parsemé mon histoire de magie et de beauté !
MA MÈRE EST DEVENUE UNE NONNE BOUDDHISTE
Ma mère ne m’a jamais regardée comme une personne autonome, séparée d’elle. D’ailleurs, elle aurait bien aimé que je la suive au Népal. J’étais âgée de 18 ans lorsqu’elle est partie en Inde. Au bout de longs mois, je suis venue la chercher à l’aéroport. Je la guettais le cœur battant, angoissée parce que je ne la voyais pas quand, tout à coup, elle se planta devant moi, drapée de rouge, les pieds nus, le crâne entièrement rasé. Ma mère était devenue une nonne bouddhiste ! Alors que, stupéfaite, je m’approchais pour l’embrasser, elle recula en me disant :”On n’embrasse pas le clergé.”
Le choc fut d’autant plus brutal qu’il était inattendu. Son engagement même redéfinissait nos relations mère-fille. Ma mère avait choisi de fuir ainsi sa souffrance de femme délaissée. Elle avait alors 43 ans. Et moi, coïncidence ? C’est à 43 ans que s’est annoncée furtivement, puis de manière implacable, la maladie. Mais c’est aussi à ce moment-là que j’ai rencontré Yann avec qui je vis aujourd’hui. Grâce à lui je comprends intimement ce que l’on dit quand on parle d’un amour plus fort que la mort.
LA FOI M’ACCOMPAGNE, ELLE EST POUR MOI UNE ÉVIDENCE
Si je suis atteinte par la maladie, je ne me sens pas parkinsonienne. J’ai toujours refusé que la maladie empiète sur la vie de mes enfants et de mes petits-enfants. J’aide mon corps à trouver chaque jour des ajustements. La foi m’accompagne. Elle est pour moi une évidence, je ne pourrais vivre sans elle. Mais pour faire un chemin spirituel il faut d’abord ”se nettoyer”. Ce livre (2), c’est une façon de dire que, si on ne peut pas changer les faits, notre vison du monde, elle, peut changer et que l’on peut repousser les murs de la maladie. La vraie maladie, c’est de perdre le goût du monde. »
Fille de Jean-François Revel et de Yahne Le Toumelin, Eve Ricard vient de publier "Une étoile qui danse sur le chaos" (Albin Michel), un livre dans lequel elle évoque la relation avec ses parents et son frère Matthieu, le moine bouddhiste.
(1)Le moine bouddhiste Matthieu Ricard.
(2) Une étoile qui danse sur le chaos (Albin Michel, 2015, 128 p., 13,50 €), préfacé par Matthieu qui écrit que sa sœur a su tirer de son expérience « une mélodie émouvante et sublime ».
À 7 ans, je dus commencer l’école. La perte de la protection absolue de la fée signa l’effondrement de mon monde. Heureusement, pour m’y rendre, je devais arpenter les prés et chaque jour j’étais séduite par la poésie de la nature et attentive à cette vie secrète et magique.
Mes parents étaient deux personnalités fortes, toujours en opposition. De guerre lasse, ils se sont séparés. Je n’ai jamais vraiment eu de conversation avec mon père, qui ne me prenait pas très au sérieux. Ma mère, issue d’une famille de grande indépendance spirituelle – elle était la sœur de Jacques-Yves Le Toumelin, le premier des navigateurs en solitaire –, plaçait la barre très haut.
J’AIME LES GENS QUI CHERCHENT L’AMOUR
Quant à mon frère Matthieu (1), brillant élève, il était plutôt sauvage et déjà très ascète.
Contrairement à eux trois, je ne suis pas une intellectuelle, j’aime les gens qui cherchent l’amour et plus particulièrement les enfants qui en manquent. C’est pourquoi, dans mon métier d’orthophoniste, je me suis si longtemps occupée des enfants d’immigrés, que leurs parents, trop démunis, ne pouvaient pas aider.
J’étais une jeune femme romanesque, mais le péril de la maladie m’a imposé un autre regard, comme s’il donnait raison à ma mère qui a toujours vu en moi un corps malade. Pour comprendre ce qui avait fait de moi une candidate à la maladie de Parkinson, j’ai suivi une longue analyse. Cela m’a permis d’évacuer la colère et tous ces sentiments négatifs qui vous étouffent et vous enferment. À mon père et à ma mère, je laisse les ombres du soir et je garde l’extravagant, qui a parsemé mon histoire de magie et de beauté !
MA MÈRE EST DEVENUE UNE NONNE BOUDDHISTE
Ma mère ne m’a jamais regardée comme une personne autonome, séparée d’elle. D’ailleurs, elle aurait bien aimé que je la suive au Népal. J’étais âgée de 18 ans lorsqu’elle est partie en Inde. Au bout de longs mois, je suis venue la chercher à l’aéroport. Je la guettais le cœur battant, angoissée parce que je ne la voyais pas quand, tout à coup, elle se planta devant moi, drapée de rouge, les pieds nus, le crâne entièrement rasé. Ma mère était devenue une nonne bouddhiste ! Alors que, stupéfaite, je m’approchais pour l’embrasser, elle recula en me disant :”On n’embrasse pas le clergé.”
Le choc fut d’autant plus brutal qu’il était inattendu. Son engagement même redéfinissait nos relations mère-fille. Ma mère avait choisi de fuir ainsi sa souffrance de femme délaissée. Elle avait alors 43 ans. Et moi, coïncidence ? C’est à 43 ans que s’est annoncée furtivement, puis de manière implacable, la maladie. Mais c’est aussi à ce moment-là que j’ai rencontré Yann avec qui je vis aujourd’hui. Grâce à lui je comprends intimement ce que l’on dit quand on parle d’un amour plus fort que la mort.
LA FOI M’ACCOMPAGNE, ELLE EST POUR MOI UNE ÉVIDENCE
Si je suis atteinte par la maladie, je ne me sens pas parkinsonienne. J’ai toujours refusé que la maladie empiète sur la vie de mes enfants et de mes petits-enfants. J’aide mon corps à trouver chaque jour des ajustements. La foi m’accompagne. Elle est pour moi une évidence, je ne pourrais vivre sans elle. Mais pour faire un chemin spirituel il faut d’abord ”se nettoyer”. Ce livre (2), c’est une façon de dire que, si on ne peut pas changer les faits, notre vison du monde, elle, peut changer et que l’on peut repousser les murs de la maladie. La vraie maladie, c’est de perdre le goût du monde. »
Fille de Jean-François Revel et de Yahne Le Toumelin, Eve Ricard vient de publier "Une étoile qui danse sur le chaos" (Albin Michel), un livre dans lequel elle évoque la relation avec ses parents et son frère Matthieu, le moine bouddhiste.
(1)Le moine bouddhiste Matthieu Ricard.
(2) Une étoile qui danse sur le chaos (Albin Michel, 2015, 128 p., 13,50 €), préfacé par Matthieu qui écrit que sa sœur a su tirer de son expérience « une mélodie émouvante et sublime ».