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source : magazine La Vie
[...] je suis convaincu qu'avec un entraînement régulier il est tout à fait possible de transformer son esprit dans un sens positif, en cultivant les pensées, les attitudes et les tendances qui sont bénéfiques à nous-mêmes et aux autres, et en réduisant celles qui sont nuisibles.
Extrait résumé et adapté de Les Voies spirituelles du bonheur, Presses du Châtelet, Paris, 2002; Points Sagesse, Seuil, 2004.
FOURTEENTH DALAI LAMA, TENZIN GYATSO (B. 1936)
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Souvent, il est intéressant d'observer nos pensées et de les prendre à rebours. En faisant cela, on prend conscience de leur inconsistance. Et on fait, peu à peu ou immédiatement, tomber le voile qui nous empêche de voir qui nous sommes vraiment ! Sortons de nos scènes répétitives…
Tentons de repérer quelques pensées dans cette journée et de les inverser… et sourions de leur mise en scène.
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J'ouvre les yeux. Je suis devant ce qui n'est à personne, ne sera à personne. Je ne peux plus imaginer de barrières ni de murs. Je suis en contact avec l'air, je suis dans la beauté immédiate.(…)
Tant d'hommes, tant d'animaux ont vu cela, jour après jour. Mais leur regard n'a pas laissé de traces. Ils étaient seulement dans l'histoire de la vie, pour bouger, pour aimer, pour mourir. C'était cette beauté, ici même, nette et précise, la beauté que l'on voit et qui vous voit, la seule vérité dans la lumière qui ne peut s'éteindre…
(...) Tout se rencontre et se touche. Le regard qui vient du monde trouve le regard de mes yeux, éclaire avec le soleil. Le regard n'est pas mon regard, il ne m'appartient pas. C'est un regard unique, où sont joints tous les regards du monde…
La beauté est ailleurs. Elle est là, simplement, offerte aux sens, libre et sans limites comme le ciel, transparente aussi. Pour voir cela il n'est pas nécessaire d'être en ascèse ni en religion. Pour voir cette clarté, il suffit de regarder. Mais il faut que le regard se libère de ses habitudes, et que l'esprit s'ouvre vraiment, sans rien qui retienne ou protège (…)
Parfois on rencontre ceux qui sont simples. On voit leur lumière, on sent la pureté de leur souffle, la netteté de leur regard. Alors c'est comme si quelque chose cédait enfin dans ce réseau infini de protection et d'interdiction qui nous entoure, comme si une brèche s'ouvrait enfin dans ce mur compact qui nous isole...
Extraits d'un livre de Le Clézio - "Un inconnu sur la terre".
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Un paysage en noir et blanc : les champs, terre sombre avec ça et là des coulées de neige ; les sapins, de leur vert si foncé qu'ils semblent de noires silhouettes bordées de blanc sur le ciel gris : traits de fusain et hachures à l'encre. Comme un de ces dessins dans lequel le vide remplit davantage l'image que le plein, un vide dans lequel rien n'a disparu mais où tout se tient en-dessous, un peu caché, protégé des regards pour mieux se déployer plus tard. Ce vide n'est pas perte, mais au contraire un vide plein de promesses, un vide qui nous appelle à la patience et à l'espoir.
Un paysage épuré, réduit à l'essentiel : comme si la nature nous proposait l'espace lui-même comme sujet, nous rappelant que même nos lourdes maisons de pierre, nos toits de lauzes, ne sont pas grand-chose face à elle ; que nous sommes acceptés, certes, tant de générations se sont succédé ici, transformant la terre, traçant les limites et les sillons, construisant des abris, mais seulement aussi longtemps que nous lui laisserons la première place.
Les bruits aussi se sont effacés : les oiseaux sont partis vers le chaud, les arbres sans feuillage ne bruissent plus, même le petit ruisseau chantonne d'une voix toute frêle, comme s'il n'était plus qu'un souvenir de l'été... Dans la maison également le silence s'installe et les pièces en semblent moins encombrées ; au centre de ce calme, nous nous déplaçons plus doucement, comme si une grâce nouvelle nous emplissait.
Le bruit des pas diminue et pourtant nous avons l'impression de marcher sans effort particulier ; c'est un allègement, corps détendus et cœurs paisibles. Nous avançons dans nos journées avec une nouvelle aisance. L'espace du dehors s'invite au dedans : à l'aube et au crépuscule, la salle de méditation se déploie sans limites d'une respiration ample et profonde, la grande respiration de l'univers, que nous accompagnons sans même y penser. Nous sommes participants du monde, parties prenantes de cette nature qui nous entoure ; ici même, tout effort est aboli, nous sommes à notre juste place.
Moi qui d'ordinaire remplis les murs de couleurs et de soleil, en ce creux de l'hiver, je me laisse flotter dans ce blanc, je me laisse porter par le silence. Nous n'avons pas besoin de parler, sans pourtant retenir nos paroles ; nous vivons en harmonie dans un espace familier et pourtant changé par l'hiver, par la brume, par cette grâce fragile et forte à la fois qui nous enveloppe et nous guide dans des journées pleines mais tranquilles.
« Soyez sans affaires », a dit un moine chinois, il y a longtemps : peut-être avait-il lui aussi contemplé cet espace sans trace où tout se fait sans heurts et sans bruits ; où aucune chose n'est plus séparée de nous, car nous ne sommes plus séparés du monde. Alors rentrer le bois, méditer, cuisiner ou marcher dans la forêt deviennent de petits miracles, tout en joie et en douceur.
C'est vrai, cela ne durera pas : demain le monde nous bousculera, l'orage grondera, le poêle refusera de prendre et l'une de nous commencera à grommeler : c'est toujours moi qui... Le bruit, l'agitation, mais aussi les rires, l'odeur du plat qui cuit dans le four, les chants du matin empliront à nouveau le lieu. Ce sera différent, ce sera bien. Mais aujourd'hui, et tous ces jours passés si larges, si spacieux, nous auront apporté tous ces petits miracles que nous garderons dans nos cœurs aussi tranquilles que les grandes forêts, là-bas, dormant sous la neige.
Joshin Luce Bachoux
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"Puissé-je être assez réceptif pour me modifier et faire de réels progrès. Puissé-je être capable de développer la force et le courage de combattre les aspects illogiques de ma nature. Puisse ma volonté devenir plus forte pour intégrer les différents éléments d’une vie harmonieuse. Puisse mon caractère être celui de la sagesse, de la pureté et de la sainteté."
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Un chat ne sourit pas quand il est en télétravail !
"La déception est juste l'action de votre cerveau qui se réajuste à la réalité après avoir découvert que les choses ne sont pas comme vous le pensiez."
-Brad Warner
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Quand je photographie, je suis ici et maintenant, présente à ce qui m'est donné de voir et de goûter. Il est bon de prendre des temps de respiration, de se préserver des moments dans la journée où l'on s'arrête. Même dans un quotidien surchargé, c'est possible. Dans une file d'attente, par exemple, on peut soit attendre passivement, soit regarder ce qu'il y a autour de soi. Cette présence au présent était pour moi un combat quand mes enfants étaient petits : en leur donnant le bain, j'avais envie d'être avant ou après, partout sauf là, devant la baignoire ! Mais c'est un combat qui mérite d'être mené.
Reprenons l'exemple de la file d'attente : ce temps mort qui agace, comment peut-on le vivre autrement ? À quoi peut-on s'ouvrir dans cette situation qui ne nous convient pas ? Comment opérer cette bascule vitale ? Choisir de voir le verre à moitié plein, plutôt qu'à moitié vide, est un véritable choix qui demande de la volonté. Je sais de quoi je parle puisque je suis une râleuse née !
Finalement, c'est une question de conversion du regard. Tout l'enjeu est de voir au-delà de ce que l'on voit. Une poubelle, par exemple, est un objet qui est a priori moche et repoussant. Mais l'on peut repérer les couleurs, les lignes et les ombres. Ou une tache sur le sol : elle peut avoir une forme de coquillage ou de visage. Cette capacité d'émerveillement permet de trouver l'extraordinaire dans l'ordinaire. Voir le beau dans le quotidien, c'est aussi ne pas perdre la foi dans les temps d'épreuve, de souffrance et de difficultés. C'est une grâce à demander que de croire qu'il existe du beau et du bon dans chaque homme et dans chaque situation, que Dieu est toujours là, à nos côtés.
Il est difficile, voire impossible, de voir la beauté autour de soi si nous restons centrés sur nous-même. Selon moi, il n'y a pas de meilleure école pour se décentrer que la louange, cette attitude qui consiste à s'émerveiller des merveilles de Dieu et des autres.
Marine de Villepin
(source : La Vie)
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qu’il appelle : « la Voie de l’action ». Il s’agit d’une
introduction à la connaissance du Zen.
Graf Dürckheim ne voit pas le zen comme étant un phénomène
historique culturel asiatique. Il
voit le zen comme étant la source d’expériences
universellement humaines.
La sobriété de la pratique de zazen, l’attention portée au
corps que l’homme EST (IchLeib), lui
semblent particulièrement bénéfiques pour l’homme
occidental.
Son premier ouvrage, Le Japon et la culture du silence (1),
édité en 1947, a connu un succès
d’autant plus étonnant que l’Allemagne, comme la plupart des
Etats européens, sortait à peine et
avec peine de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans cet
ouvrage, qui résume son
expérience japonaise, l’expression le silence intérieur
évoque un état d’être délié de l’inquiétude
latente, de la peur souterraine qui avaient gouverné le vécu
intérieur de millions d’être humain
tout au long de ce conflit.
Si je rappelle cette tragédie c’est parce qu’aujourd’hui, la
pandémie étendue sur la terre entière
plonge une multitude de personnes dans la même détresse
intérieure : l’angoisse et les états qui
l’accompagnent. Et que, aujourd’hui, le Kanji « zen » a pris
place dans la plupart des
dictionnaires (ce qui était loin d’être le cas dans les
années 1950).
L’exercice appelé zazen ne doit pas être entendu comme
pouvant prendre place dans l’ensemble
des thérapies pragmatiques dont le but est de guérir LE moi
qui souffre. Par contre, zazen est un
exercice qui a pour but de guérir DU moi, de
l’identification au seul niveau d’être qu’est l’EGO,
laquelle est la cause de bien des souffrances, physiques et
psychiques, dont l’angoisse. La visée
centrale du zen est la découverte empirique de notre vraie
nature en tant qu’être humain, notre
nature essentielle, laquelle n’est pas l’ego. Notre vraie
nature est le domaine du calme, du silence
intérieur, de la paix intérieure que les représentants des
écoles de sagesse, tant en Orient qu’en
Extrême-Orient et en Occident envisagent comme étant le plus
grand bien auquel l’homme
puisse accéder.
Afin d’assumer, au mieux, ce qui aujourd’hui trouble l’âme,
nous sommes donc invités à nous
efforcer ; par exemple à pratiquer l’ascèse qu’est zazen
quotidiennement. C’est ce que Graf
Dürckheim nous propose. C’est ce que le maître zen Hirano
Katsufumi Roshi, qui nous fait
l’honneur de venir au Centre depuis plusieurs années, nous
propose : « Faites confiance à
zazen »
Une difficulté, de nos jours, est l’amalgame qui est fait
entre zazen et méditation. Zazen est
différent de ce que nous entendons ordinairement par
méditation.
Tout d’abord « Il y a 1000 et une façons de méditer mais il
n’y a qu’une façon de faire zazen ! »
Lorsque vous avez la chance de voir un maître zen pratiquer,
le questionnement mental —de
quelle façon faire zazen— laisse place à cette réponse
qu’est le témoignage. Le maître de
l’exercice, à travers sa manière d’être là, assis, devient
le modèle d’un chemin que chacun se doit
de tracer lui-même ; parce que zazen n’est pas un chemin à
suivre mais un chemin à tracer
corporellement (Leiblich).
« Lorsque vous pratiquez zazen, le corps prend la forme du
calme ».
Autre difficulté pour l’homme occidental qui s’identifie à
l’idée ... Moi je crois, que je suis, ce
que je pense que je suis... est d’apprendre que « On ne
pratique pas zazen avec le mental ! » et
que « zazen est un exercice corporel !»
Dans son Dictionnaire philosophique (2), André
Comte-Sponville décrit l’exercice appelé zazen
comme étant « Jouer le corps (qu’on est) contre l’ego, la
respiration contre le mental,
l’immobilité contre l’agitation, l’attention contre
l’emportement ».
C’est un bon abrégé de ce qui vous est proposé au Centre
Dürckheim depuis quarante ans.
Arriver à assumer plus calmement, plus sereinement, les
événements qui se présentent n’est pas
une fuite du réel mais participe au processus de maturation
qu’est notre vie en tant qu’être
humain.
Jacques Castermane
(1) Le Japon et la culture du silence —K.G. Dürckheim —Ed.
Le courrier du livre
(2) Dictionnaire Philosophique —A. Comte-Sponville —Ed. Puf
; page 620
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Prendre de la hauteur
En fidèle complice de Sylvain Tesson qui est de ses amis, il a sillonné le Caucase, roulé en 2 CV jusqu'au Viêt Nam, marché vers Jérusalem, traversé caméra à l'épaule les crêtes et les vallées d'Afghanistan. Un matin, sur les bords de la Loire, il se voit offrir un boulot saisonnier de berger. Le pâtre y trouve du bonheur et décide alors, avec son épouse Mathilde, de faire le grand saut du retour à la nature : le nomade s'enracine dans le Périgord, où il élève bientôt une centaine de brebis caussenardes. Mais l'affaire tourne mal, soucis administratifs, dettes et découragement. La « tentation de la corde », comme il le dit abruptement, lui obscurcit l'esprit. En un dernier sursaut, il tente le retrait : prendre de la hauteur dans sa cabane. Et la voici qui apparaît, cette arche immobile, dans le fouillis des ramures dénudées par l'hiver, aussi modeste, évidente, accueillante et poétique que celui qui l'a construite. Une échelle de corde rafistolée, un solide plancher à 6 m du sol, et des vitres qui ouvrent à 360° sur l'océan des bois. Délicieux vertige. Au gré des bourrasques, le radeau tangue, mais on s'y sent en toute sécurité... La bouilloire chante sur le vieux réchaud à gaz, Édouard Cortès s'affaire tout en parlant comme un livre, hisse des baluchons aux cordes, prépare le thé, craque des noix. Les bois d'un cerf font office de patères. Un minuscule oratoire à David le Dendrite, un saint des forêts chez les orthodoxes, a été déposé sous le toit par l'écrivain. Sur les coffres fabriqués de ses mains et réchauffés des peaux de ses moutons, on s'assoit et devise joyeusement tandis que la buée des vitres ne laisse plus entrevoir que les mousses phosphorescentes des branches alentour. L'hiver rend les animaux discrets - nous apercevrons tout de même cinq chevreuils et un vol de palombes...Comment vit-on trois mois seul dans une cabane perchée ?
É.C. J'ai ici un balcon sur les arbres, un avant-poste sur la beauté du monde. Le recours aux forêts rend possible le réveil de la vie intérieure. Car ce ne sont pas les merveilles qui manquent, mais notre regard qui manque à la merveille. Le lichen pousse là, il attendait mes yeux. La beauté est bien présente : il suffit que les humains décrochent de leur écran. Je me suis retrouvé avec une interrogation : si je ne peux plus tenir sur mes semblables, sur moi-même, sur une foi, que reste-t-il ? Le retour en forêt permet d'échapper à la vanité des hommes. J'ai vécu dans ma cabane l'une des plus grandes formes de la liberté, loin du regard des autres, à vaquer et à me doucher nu sur ma branche à 6 m du sol - les arbres ne jugent pas notre côté animal. J'ai tenu un journal de cabane, mon écriture y a aussi gagné une forme de nudité. Auparavant, j'avais quelques espoirs humains et quelques espérances divines, et j'ai perdu les deux. Même si je pense souvent que Dieu a continué de croire en moi quand je ne croyais plus en lui. Je citerai mon compagnon de route Bernanos : « La foi, c'est 24 heures de doute, moins une minute d'espérance » À un moment, il y a une cassure, une traversée des forêts sombres comme on en trouve chez Dante. Autrefois, on parlait d'acédie, cet épuisement du sens de la vie - notre burn-out contemporain - qu'ont connu aussi les Pères du désert ou les stylites sur leur colonne, saisis d'une grande nuit. J'ai essayé d'apprivoiser cette obscurité-là et d'y trouver l'étincelle d'un devenir. Les arbres m'ont permis la trouvaille.Vous évoquez votre « enforestation » : en quoi consiste-t-elle ?
C'est un terme ancien issu des Eaux et Forêts - une administration dont La Fontaine fut d'ailleurs un maître - qui désignait le reboisement d'une parcelle en jachère. Chateaubriand a utilisé le mot comme une allégorie pour l'homme - j'ai eu ce désir de ré-enforester mon esprit et mon intelligence. Le recours aux forêts est vieux comme l'humanité. Il y a le Wanderer dans la culture germanique, le wild à l'américaine magnifié par Thoreau. Nous avons assez de racines latines et grecques pour avoir notre propre vocabulaire de sauvages ! Je suis lié au petit peuple traditionnel des forêts, bûcherons, colporteurs, charbonniers, mérandiers (qui façonnaient les tonneaux), feuillardiers (qui les cerclaient avec du châtaignier). Je ne me sens pas dans la forêt mais de la forêt. J'aime la sylve, du latin sylva (le bois), qui a aussi donné « sylvestre ». Je souhaite apporter le néologisme « ensylvaner » : ce qui pourrait nous offrir des perspectives dans ce moment un peu tragique de notre histoire, où la pandémie s'étend. Ou comment retrouver en forêt une respiration, éviter d'abîmer son regard dans le puits des réseaux sociaux : se noyer dans le vert plutôt que dans le sombre. Les coffres de ma cabane garantissaient des pâtes et des rillettes. Mais, dans mon adversité, j'ai eu recours à ce qui a été scandaleusement étiqueté « non essentiel » : j'ai posé mon regard sur l'écorce du chêne, tendu l'oreille vers le chant du loriot. J'ai accepté un peu d'inconfort et de froid, comme une manière de vivifier la vie, d'en retrouver la sève. Il m'a fallu arriver à 40 ans pour faire de mon enforestation un rite initiatique. J'avais toujours vécu dans le mouvement. Le défi de la stabilité au creux d'un chêne a été d'autant plus grand. J'ai été augmenté par l'immobilité : elle m'a permis, en étant un peu aux arbres, de retourner aux hommes.Mais vous avez apporté la preuve que le retour vers la nature peut aussi comporter des risques...
Ayant vécu une enfance au rythme des déménagements continuels de ma famille - mon père était banquier -, j'ai trouvé un port d'attache entre le Périgord et les causses du Quercy, d'où sont originaires mes grands-parents des deux lignages. Dans cette forêt, je me sens de quelque part, j'ai le sentiment d'être chez moi, d'où la sensation du retour. Mais l'expérience d'y devenir berger a été le grand naufrage : mon idéalisme d'aller à la vie rurale - pour retrouver harmonie et unité - s'est heurté aux exigences administratives, au système indigne des prix bas compensés par les subventions, sans oublier l'énorme charge de travail qui pèse nuit et jour. Il m'est arrivé de dormir au milieu du troupeau à l'heure du premier agnelage, ça faisait partie de l'aventure. Seulement, quand il a fallu emprunter à nouveau pour construire la bergerie, le ressort a cédé, tout s'est effondré. Le sort actuel des paysans est dramatique. Leur dur labeur n'est pas récompensé, j'ai expérimenté le mépris social sournois qu'ils subissent. Et je partage l'analyse de Houellebecq sur cet énorme plan social invisible qui est à l'œuvre dans la paysannerie française. Le même sort guette désormais les forestiers : même processus d'industrialisation et de rendement à tout-va, au pays de Philippe le Bel, Colbert et Napoléon III, qui a longtemps eu une belle politique de préservation des forêts. Il faut relire l'Argent de Péguy ou la France contre les robots de Bernanos : le système a sa logique, celle du veau d'or qui pousse à la prédation et à la destruction. Or, l'homme n'est pas dans la nature mais de la nature. Des générations de paysans ont su ne pas scier la branche sur laquelle ils étaient assis. Ici, dans le Périgord noir, la forêt a repris du terrain : c'est un pays qui a peu souffert de l'agrochimie, sa relative pauvreté agraire l'a sauvé et permettra désormais de valoriser son or vert.Comment la fréquentation des livres et la littérature complètent-elles la fréquentation des arbres ?
Diriez-vous que vous avez vécu dans votre cabane une forme de renaissance, une rédemption ?
J'ai vécu un hiver d'où tout à coup la sève a rejailli, un printemps sur mon âme et sur mon cœur. Pourtant, même si j'ai choisi la lumière, mon fil de funambule reste précaire. J'affectionne le mot rédemption, mais il est trop fort pour moi, je ne suis pas prêt à me l'accorder. J'ai souhaité au contraire apprivoiser ma fragilité, apprendre à être plus souple avec la vie. La Fontaine ou Hugo partent du minuscule pour aller vers l'universel. Grâce aux hannetons qui entrent la nuit dans la cabane, on peut sentir que l'arbre est enraciné.Vous écrivez : « J'ai été profondément consolé par mon arbre. Mais le bonheur, n'est-ce pas accepter de n'être jamais absolument consolé ? »...
Je m'étais sans doute trompé sur la manière d'atteindre le bonheur. La beauté, pour le chatoiement qu'elle amène à l'âme, on en crève : on en veut toujours davantage ! La corde que je voulais me passer autour du cou il y a quelques années, j'en ai finalement fait une balançoire pour mes enfants... Il faut revenir à cette balançoire de temps en temps, à l'arbre pour s'y ressourcer. Je ne suis plus à la poursuite du bonheur. Dans la cabane a commencé à poindre une forme de quiétude. Je suis un rescapé du désespoir, qui a lutté pour trouver la terre ferme. Je crois à la « viridité » dont parlait sainte Hildegarde de Bingen, cette force et cette verdeur qui sont des cadeaux de la vie. Au digital, je préfère le végétal. Quand on a du chagrin avec soi-même, on peut s'en remettre à ce compagnon merveilleux qu'est l'arbre qui s'enracine, se tient droit et jaillit dans la lumière. Il est loin des algorithmes qui nous asservissent aux écrans et à l'immédiateté, qui détournent et volent notre attention : lui nous la rend ! Il est le plus fabuleux des antidotes. Une manière somme toute de reprendre le pouvoir.À lire Par la force des arbres, d'Édouard Cortès, Équateurs, 18 euros. (source : La Vie)
A écouter : Vivre dans une cabane: le rêve d'enfant d'Edouard Cortès
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