« La méditation ne se satisfait pas de son simple énoncé, elle veut qu'on la qualifie ; métaphysique chez Descartes, poétique chez Lamartine, transcendentale chez Kant, la méditation est toujours quelque chose. La démarche zazen ne se qualifie pas. »*
Cette dernière assertion nous ouvre au caractère très particulier du zen qui a traversé 2500 ans d'histoire parce qu'il a permis à de nombreuses générations, d'actualiser (et non de dogmatiser) à travers une expérience, l'essentiellement humain. L'humain n'appartient pas au laïque ni au spirituel. Au nom de quoi peut-on s'employer à restreindre une activité qui se déploie à travers le vivant, au cadre d'une laïcité ?
Ce qui touche précisément sur la voie et qui a touché Dürckheim lui-même, puisqu'il parlait du caractère universellement humain de cette pratique, c'est l'expérience de l'au-delà des contraires, l'expérience d'unité. Préconiser une méditation laïque, c'est induire chez le pratiquant qu'il n'est pas concerné par le spirituel. L'expression « méditation laïque » prive la personne d'un processus de reconnaissance de son « moi naturel » qui n'est ni laïque, ni spirituel. Toute définition de la méditation mène à une aporie, il est nécessaire de lui laisser son caractère insaisissable.
La pratique est un moment de reconnaissance de la vie qui nous agit et avec laquelle nous apprenons à entrer en résonance. Une attention privée de cette reconnaissance (qui passe par l'ouverture du corps et une mise à disposition de tout soi-même) resterait une activité auto-centrée.
L'expérience, celle vécue pendant la méditation, c'est le résultat d'une compréhension basée sur cette résonance : on entend et on s'entend ; une certaine manière de se connaître et de se reconnaître participant à un tout dans lequel existentiel et essentiel restent indifférenciés.
Lors d'un congrès de médecins, Dürckheim pose cette question : « Messieurs, si vous m'entendez parler, qu'est-ce que vous entendez ? Mon esprit, mon corps ? » Silence total. « Répondez-moi. Pour vous, hommes de science, une troisième chose n'existe pas... » Quelqu'un dit : « Votre voix... C'est quelque chose de corporel, de matériel. »... « Mais qu'est-ce que vous entendez ? » Quelqu'un a le courage de dire : « VOUS ! » Exactement, répond Dürckheim, et il ajoute : « La personne est autre chose que ce qu'on veut diviser en deux. »
Ce vous, c'est un tout, il implique ce qui est de notre fait et ce qui ne l'est pas. La pratique œuvre dans le sens de cette union. C'est bien ce qui nous touche chez les maîtres, non pas ce qu'ils disent, mais ce qu'ils nous montrent par leur manière d'être, cette mise en acte tout à fait singulière de ce quelque chose qui les anime au plus profond. Et qui pourrait distinguer en eux le laïque du spirituel ?
Comment le spirituel pourrait-il se manifester, si ce n'est dans la transparence de l'humain, et comment ne pas voir à travers certaines exigences qui prennent naissance dans le corps, les « intentions du ciel » ?
La personne a besoin de réaliser que sa présence existentielle est sa propre essence, elle n'a pas d'autre mode d'expression de sa nature profonde. Un crayon n'est dans son essence de crayon qu'à travers le phénomène qu'on appelle écriture. Le crayon en tant que tel n'existe pas, c'est un concept.
La méditation dite « laïque » risque d'enfermer la personne dans une sorte d'auto-suffisance, la laissant à l'écart du mystère de ce qui l'agit en silence : la vie.
Ce VOUS, cette PERSONNE, dont parle Dürckheim, c'est la révélation immédiate d'une indistinction entre « je » et « suis ». Gardons-nous bien de qualifier la méditation et de la réduire à un cadre défini quel qu'il soit, nous risquerions alors de condamner l'humain à une quête éternelle de sa part manquante, très précisément cette part qui ne manque jamais.
Dominique Durand
* Antoine Marcel : « Recueil en mon ermitage »