La prière consiste à tourner son esprit et son âme vers Dieu, mais elle n'est pas réservée aux croyants : le besoin de prier existe aussi chez les non-croyants. Lorsqu'on est bouleversé par l'inquiétude ou par la gratitude, lorsqu'on est confronté à l'indicible et l'illimité ; à chaque fois que nous nous trouvons face à des phénomènes qui nous dépassent, nous essayons de nous soulager de la charge de leur mystère par la prière, qu'elle soit adressée à un dieu que nous connaissons ; à un autre, plus incertain ; ou encore à des équivalents laïques : destinée, providence, principes régissant l'univers...
Voici ce qu'écrivait magnifiquement sur ce thème Romain Rolland, dans son cycle Jean-Christophe : « Un soir, dans sa chambre, les larmes le prirent ; il se jeta désespérément à genoux devant son lit, il pria. Qui priait-il ? Qui pouvait-il prier ! Il ne croyait pas en Dieu, il croyait qu'il n'y avait point de Dieu. Mais il fallait prier, il fallait se prier. Il n'y a que les médiocres qui ne prient jamais. Ils ne savent pas la nécessité où sont les âmes fortes de faire retraite dans leur sanctuaire. Au sortir des humiliations de la journée, Christophe sentit, dans le silence bourdonnant de son coeur, la présence de son Être éternel. »
Le carême est toujours une occasion de remettre la prière au cœur de son existence.Pour certains, il va s'agir de se remettre à prier au quotidien. Pour d'autres, de prier davantage. Mais dans tous les cas, on peut aussi se proposer de prier différemment. J'ai hésité à écrire « prier mieux », mais non : toute prière, même malhabile, est émouvante, et de nature à être entendue. Ce dont nous parlons ici, c'est du souhait de prier de manière plus accomplie, dans la mesure de ce qui nous est possible.
Dans la prière, il y a un double mouvement : celui de l'esprit, puis celui de l'âme.
Pour ne pas être qu'un rituel, que l'on accomplirait l'esprit absent, la prière suppose aussi d'avoir établi un lien sincère et attentif à soi-même. D'où son importance pour la vie intérieure des humains, depuis toujours. Dans la prière, il y a un double mouvement : celui de l'esprit (prise de conscience, réflexion, tension) ; puis celui de l'âme (abandon, lâcher-prise).
La prière, même laïque, est un acte de foi, une confiance sans certitude. Nous offrons nos espérances, nos craintes, nos remerciements, sans avoir la preuve que nous sommes entendus, et encore moins qu'une réponse viendra. C'est enfantin et magnifique. D'où l'observation iconoclaste et subtile de Claude Nougaro dans sa chanson Plume d'ange : « La foi est plus belle que Dieu. »
Quels liens la prière a-t-elle avec la vie dite « intérieure » ? À première vue, elle est tournée non pas vers l'intérieur, mais vers le supérieur. Pourtant, toutes les traditions religieuses rappellent que Dieu réside dans le cœur même de l'être humain... Ainsi, les moments de prière sont des espaces où l'on expose sa vie intérieure à une lumière particulière : celle de Dieu, ou celle des grandes forces qui régissent ce monde. Ce sont des introspections tournées vers le Ciel ! Et donc baignées par les sentiments d'humilité et d'appartenance. De gratitude aussi : nous sommes dépositaires de qualités qui nous dépassent, que nous n'avons ni mérité ni demandé : la vie, la conscience, l'intelligence... Comment ne pas être bouleversé par cela ? Et comment ne pas avoir envie de prier pour remercier ?
Attention et méditation
Chacun sait que l'on prie mieux dans un corps stable, agenouillé ou assis. Mais il y a une autre stabilité importante, celle de notre attention : on ne peut pas prier avec l'esprit dispersé. D'où l'importance de poser son attention, en se focalisant sur son souffle, ou sur la répétition d'un mot ou d'une phrase brève : les Orientaux parlent alors de mantra, les chrétiens de prière monologique (du grec monos-logos « une seule parole »). C'est sans doute pour cela que la philosophe Simone Weil écrit : « L'attention absolument pure est prière. » La méditation dite de « pleine conscience », qui consiste entre autres à centrer son attention sur sa respiration et l'expérience de l'instant présent, ne s'oppose donc pas à la prière, mais en représente un intéressant temps préalable.
Chacun sait que l'on prie mieux dans un corps stable, agenouillé ou assis. Mais il y a une autre stabilité importante, celle de notre attention : on ne peut pas prier avec l'esprit dispersé. D'où l'importance de poser son attention, en se focalisant sur son souffle, ou sur la répétition d'un mot ou d'une phrase brève : les Orientaux parlent alors de mantra, les chrétiens de prière monologique (du grec monos-logos « une seule parole »). C'est sans doute pour cela que la philosophe Simone Weil écrit : « L'attention absolument pure est prière. » La méditation dite de « pleine conscience », qui consiste entre autres à centrer son attention sur sa respiration et l'expérience de l'instant présent, ne s'oppose donc pas à la prière, mais en représente un intéressant temps préalable.