Depuis que je vis à Séoul, j’ose une autre approche du corps, pour m’apercevoir une nouvelle fois qu’un art de vivre, une hygiène de vie impeccables sont le berceau de la joie, de l’amour et de la paix, ces lumineux dons de la vie dans l’esprit. La vie dans l’esprit justement commence aussi par l’attention au corps. Celui-ci détendu, l’esprit se crispe moins, ne se ratatine plus et peut enfin être grand et large. Travailler à être une femme ou un homme libre, c’est se dégager des passions tristes, se sortir de l’affaire des projections, des illusions, des désirs désordonnés, de la mauvaise humeur pour avancer main dans la main avec les autres.
Je n’ai jamais autant transpiré qu’ici, en Corée du Sud. Un ami dans le bien m’a dit un jour : « Arrête de m’envoyer des SMS avec des citations philosophiques. Va plutôt faire du sport et deviens un homme ! » Puis il a imité ma démarche et m’a promis que si je faisais quelques exercices, je pourrais marcher beaucoup mieux. Et bien soit ! Tous les jours, je fonce à la salle de gymnastique la plus proche, quitte tous mes vêtements et arbore la tenue officielle. Je me suis inscrit dans un fitness, lieu que mon esprit méprisait cordialement. Et pourtant, depuis que je m’y rends quotidiennement, les progrès, les enseignements et la liberté fleurissent. Trente minutes durant, je commence par piquer un sprint sur un tapis roulant, un casque sur les oreilles avec de la musique à plein tube. Leçon magistrale : quand j’écoute un morceau entraînant, je cours presque sans effort, mais dès qu’une rengaine assommante vient à entrer dans mes oreilles, une chape de plomb s’abat sur mes jambes et je m’époumone. On ne dira jamais assez l’importance du mental et combien nous sommes influencés par les 1 000 pensées qui traversent un esprit.
Quel air mon mental me joue chaque matin ? Est-ce une musique qui me porte à la joie, ou un brouhaha cauchemardesque qui ne m’incline qu’à la tristesse et au pessimisme ? Le mental, c’est également lui qui m’éloigne du corps et qui me fait souvent lorgner les athlètes qui s’exercent autour de moi. « Tiens, cette belle fille court trois fois plus vite que moi, je vais passer à la vitesse maximum du tapis roulant… » Et ça ne manque pas, je glisse et je finis dans le décor. Tandis que si je me concentre et fais un pas après l’autre, je peux avancer dans l’allégresse. Mais dès que mes yeux se braquent sur le compteur kilométrique, je me décourage devant son affligeante lenteur.
La vie spirituelle n’est pas coupée des sens et du physique. Précisément, elle doit faire corps avec la chair. Depuis peu, j’essaie de constituer une sorte de petit décalogue pour une vie plus saine. Par exemple : Au lit tôt, tu iras ; Avec plaisir et sobriété, tu mangeras. Peu à peu, pierre par pierre, je construis un art pour mieux habiter le temple de l’esprit.
En Corée, il y a une institution qui m’est chère, les bains publics. Après l’effort, je m’y rends avec mon fils. À chaque fois, je suis étonné de voir combien les habitués consacrent de temps à se nettoyer. Comme si le corps devait être purifié. Des pères lavent leur enfant, des fils lavent leur père. Augustin, mon fils, m’a dit un jour : « Papa, regarde les épaules des gens, il y en a peu qui sont totalement détendues. Pourtant, on va tous au même endroit ! »
Depuis, j’essaie de ralentir, de f aire exactement les mêmes choses qu’avant, mais avec détente. Le corps est un sacré don, l’idolâtrer est un vice, le négliger, un grave tort. Tandis que je me lavais nu sur un tabouret, comme c’est l’usage ici, un vieux monsieur est venu avec une éponge et m’a frotté vigoureu sement de la tête aux pieds. Soudain, un commandement de mes entrailles a fusé : de ton cœur et de ton corps, tu prendras grand soin !
source : La Vie