samedi 9 septembre 2023

Apprivoiser le temps

Par Jean-Marc Bastière

La question d’habiter le présent, nos heures, nos jours se pose avec acuité en ce mois de rentrée. Prendre soin de cette dimension essentielle de notre existence, est nécessaire. Voici quelques points d'attention à cultiver.


Notre condition est de vivre dans le temps. Il nous semble parfois être prisonnier de son cours implacable comme si nous étions emportés dans un fleuve impétueux, jamais loin de nous noyer. Comment rompre avec ce sentiment d’impuissance et d’inquiétude qui nous saisit alors pour retrouver un sentiment de liberté et de gratuité ? Comment habiter le temps de façon à donner à nos vies densité et plénitude, reflets de la joie et de la paix éternelles ? Ce sont des questions cruciales.

S’ouvrir au mystère

« Qu’est-ce que le temps ?, s’interroge saint Augustin dans ses Confessions. Si personne ne me le demande, je le sais bien ; mais si on me le demande et que j’entreprenne de l’expliquer, je trouve que je l’ignore. » Avant d’être une abstraction mesurée par les horloges, le temps est un mystère. Mais il n’existe vraiment qu’incarné, peuplé de visages et de paysages, de voix humaines et de sons familiers, de poisson grillé sur la plage et de moments d’oraison silencieuse… Le temps, je le perçois mes sens ouverts et mon cœur réceptif.

Cultiver la reconnaissance

Le temps n’est pas un dû mais un don, comme de l’eau pure qui nous est offerte ou une grâce qui nous est octroyée. ­L’attitude première que nous avons à cultiver est ainsi la reconnaissance pour ce temps qui nous est offert afin que notre vie s’y déploie. Nous pouvons en faire notre malheur si nous cherchons à l’accaparer comme un trésor, si nous nous cramponnons à lui de façon désespérée et cherchons à retenir de façon fébrile son écoulement inexorable, entre un passé qui n’est plus, un présent qui s’évapore et la mort qui se rapproche ! Un peu de confiance et de reconnaissance suffisent au contraire pour que le temps prenne un goût de bonheur.


S’imposer un régime du temps

Pour ne pas le subir, un emploi du temps réfléchi, sinon médité, a une grande vertu. Quand nous avons l’impression de ne plus rien maîtriser, tout remettre à plat et s’imposer un « régime du temps » drastique peut être salutaire. Avec des renoncements, des allégements. Savoir dire non à une sollicitation, ne pas précipiter une décision pour que la clarté se fasse et surtout pouvoir respirer à pleins poumons grâce à des moments de rafraîchissante gratuité.

D’où l’importance des offices liturgiques qui remettent tout en perspective. Pour goûter pleinement un rendez-vous, nous pouvons prendre un peu d’avance. A contrario, quand nous arrivons en retard, en particulier à la messe, nous ne sommes pas dans les meilleures dispositions.

Écouter sa voix intérieure

Quand je dois décider d’engager de mon temps, il peut être judicieux d’interroger quelle puissance de vie recèle mon choix. C’est une question d’oreille, non pas interne, mais intérieure. Ou de ressenti subtil. Est-ce de la joie et de la paix que je ressens ? C’est alors bon signe. Ou du trouble, une dissonance qui devrait me conduire à être prudent ? C’est une façon d’exercer le « discernement des esprits » évoqué par saint Ignace de Loyola dans ses Exercices spirituels.

Pour autant, il ne s’agit pas de renoncer, loin de là, à tout ce qui est rébarbatif, mais il faut alors mettre cela en perspective en fonction de notre but. Tenir ses engagements nous stabilise intérieurement. La vie n’est pas qu’une succession d’instants ; elle s’inscrit dans une durée qui lui confère son unité.


Habiter le présent

Le passé a été et l’avenir n’est pas encore. Seul le présent existe, mais quel est-il ? Le présent, en tant que succession d’instants toujours divisibles, n’est jamais présent, il se dérobe toujours. C’est pourquoi le présent véritable transcende l’instant, il l’englobe dans une réalité supérieure. Quand je suis avec quelqu’un, cette présence qui nous fait oublier le temps forme un tout – presque un tiers entre nous. Elle se trouve, sous sa forme la plus parfaite, dans le cœur-à-cœur avec Dieu, la « porte de notre chambre » refermée. D’où l’importance, si cela nous est possible, de ne pas mettre à la dernière place ces temps de prière silencieuse, comme nous en avons tous la tentation.

S’ouvrir à l’éternité

La voici donc, la porte dérobée de l’éternité : cette présence insistante qui se signale dans une douceur de brise. Nous la ressentons par intermittence, mais elle est toujours là, par-delà le temps. Pour l’accueillir, la disponibilité du cœur suffit. Comme si, occupé dans une maison de famille, nous apercevions par la fenêtre, sans nous y attendre, la merveilleuse nuit étoilée. Elle apparaît toujours par surprise, cette jeune éternité. Même son absence est présence. Car elle laisse dans son sillage un parfum de tendresse et d’amour.

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source : magazine La Vie