jeudi 31 mai 2018

Réalité de l'expérience d'être...


Oui, il est possible d'être... le paysage de l’expérience.




Le travail que l'homme peut faire sur lui-même, je l'appelle le chemin initiatique. Il commence avec une expérience. Cette expérience nous fait connaître notre Être essentiel. Une telle expérience efface une fois pour toutes le doute qu'il s'agirait du résultat d'une recherche métaphysique, d'une pieuse spéculation ou d'une projection psychologique. 
L'Être essentiel est une réalité dont on peut vraiment faire l'expérience."

extrait de "Le Centre de l'être" de Karlfried Graf Dürckheim

mercredi 30 mai 2018

Certitude du doute...

Intéressante citation même si les mots (et les maux peut-être aussi) viennent aussi du cerveau (et c'est encore une localisation)


Le doute n’existe pas dans mon corps parce qu’il ne pourrait pas vivre s’il avait des doutes. Si mes poumons commençaient à douter du fait qu’ils peuvent inspirer et expirer, la vie s’arrêterait. Mes émotions non plus ne peuvent pas vivre dans le doute. C’est la partie mécanique du cerveau qui touche la partie mécanique du centre émotionnel qui introduit le doute : “Est-ce que je sais aimer ? Est-ce que je peux faire ceci ou cela ?”
Mais la partie en vous qui aime aime sans douter.
« Tous les doutes proviennent du cerveau parce que c’est dans le cerveau que le doute est né. C’est terrible, cet aspect. Si le doute est né dans le cerveau, c’est parce que le cerveau sait dans les tréfonds de lui-même qu’il n’est pas réel. La pensée n’est pas une réalité, elle est un bruit.

 

Luis Ansa

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mardi 29 mai 2018

Entrer en saveur avec François Malespine


Un extrait du livre de François Malespine pour goûter l'instant


...
« Est-ce que “je” et “moi” sont la même chose ? »

« Est-ce que vivre implique obligatoirement “moi ?” »

« Quel goût avait Je avant que moi ne se soit formé ? »

« Quelle est la saveur de la vie à partir de “Je” » ?

« Quel est le sens de la vie à partir de moi ? »

« Quel est le sens de la vie à partir de Je ? »

Ici je parle bien de saveurs.

Entrer en conscience, c’est entrer en saveurs.

Entrer en saveurs, c'est connaître au lieu de juger ou croire comprendre à partir de l'intellect. Cette chute en cet abîme correspond à la phrase d’Amma :

« Tomber de la tête dans le cœur »

C'est goûter et par ce goût connaître dans un premier temps la saveur « moi » à travers ses ressentis, ses perceptions, ses j aime, j aime pas, mais aussi goûter cette saveur à travers les actes qui en découlent, qu'ils soient bons, bien, mauvais ou mal. Cette saveur « moi » nous montre que seule l’origine de l'acte le qualifie. Soit il est la manifestation du moi, soit il est la manifestation de l’Origine/vacuité « Je Suis ».
Ici, je ne parle pas d'actes exceptionnels. Se moucher peut prendre son origine en « moi » ou en « Soi ». À nous d’être présent pour le voir et surtout pour en découvrir la saveur.

Si ces saveurs sont difficiles à regarder en face, puis à vivre au plus profond du cœur, c’est qu’on ne peut les voir sans se voir. C’était tellement confortable d’être à travers nos actes, soit du côté blanc, soit du côté noir ! Et voilà que cette référence qui est aussi le socle de nos jugements sur autrui, s'effondre. Nous faisons la dure expérience qu’entrer en connaissance, naître avec, implique qu’il y ait mort afin qu’il puisse y avoir naissance. Jésus appelle ces instants : « la mort du vieil homme ». Vouloir voir le Soi, Dieu, est la preuve que l’Origine nous appelle, mais le chemin d’accès, lui, consiste à voir comment « moi » le recouvre, même quand il prétend le chercher.

Alors notre ancienne croyance à partir de laquelle tel comportement nous rapproche de Dieu tandis que tel autre nous en éloigne, laisse la place à une présence qui détecte à chaque instant où « moi » trouve sa gloire. Il est alors vu que « moi » peut se nourrir d’actes répréhensibles autant que de comportements vertueux. Cela entraîne un changement radical dans la perception que nous avons de nous-même et par conséquence de l’autre.

Le « péché » n’est plus d’ordre moral. Comme en son sens originel, il nous apparaît comme « ce qui nous fait manquer la cible ». Il est vu qu’une seule chose nous fait manquer la cible : « moi », quels que soient les habits dont il se pare.

Un nouveau champ de perception s’ouvre car nous ne cherchons plus à changer un comportement pour un autre mais à connaître à l’instant même, avant même qu’il ne s’actualise en acte, d’où ce comportement survient. Cela ne signifie pas que cesse l’effort d’un comportement plus altruiste. Simplement tout comportement est vu en sa source...

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lundi 28 mai 2018

Je suis né... et maintenant ?


Je souhaite mettre en exergue un livre qui vient de paraître aux éditions Accarias l'Originel. 
Il permet de toucher le "Je" et, notamment pour les personnes qui ont suivi l'enseignement d'Arnaud Desjardins, de goûter à cette pratique de l'instant...
Voici la quatrième de couverture :


Depuis que nous sommes nés, le monde que nous observons, le monde que nous vivons, et le monde que nous sommes, ont peu à peu pris forme à partir du regard, du perçu, du ressenti et du penser des autres.

Le « Tu ES Cela » écrit en majuscules et désignant l’Origine, est devenu : « tu es cela/corps/psychisme » en minuscule. 

« Je » impersonnel, vierge de toute histoire, sans contour donc sans limite, sans plus ni moins, est devenu «je suis moi », en s’identifiant à une forme, à une histoire, en agrégeant toutes sortes d’influences sociales, religieuses, raciales.

« Je suis moi » est aujourd’hui notre identité, notre point de vue sur (opinions, croyances, appartenance). De cette «conscience/je suis moi» surgit le monde de la dualité, ce monde « de pleurs et de grincements de dents » que nous connaissons.
Le défi pour chacun est de sortir de cette paresse d’un monde formaté, accepté et transmis, de démasquer « moi » jusque dans ses repères les plus secrets afin de découvrir que « Je » n’est pas « moi ». Que « Je » est simple « espace/énergie/Conscience », contenant tout sans avoir besoin de rien, source « de tout » et n’étant « rien ». 

Vacuité fraîche et lumière en soi-même.

Alors, parfois, la vie toute simple et humaine, au lieu d’être avidité et consommation, devient dans tous ses aspects : célébration.
 


Né en 1948, François Malespine fait les Beaux-Arts. Professeur en collège et lycée, il fait plusieurs expositions en France et aux Etats-Unis. En 1970, il effectue un voyage en Inde du nord. De 1975 à 1995, il suit l’enseignement d’Arnaud Desjardins. En 1997, long séjour à Arunachala. Il a déjà publié plusieurs livres.

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dimanche 27 mai 2018

Une pratique réaliste avec Arnaud Desjardins.


Je vous invite à lire ce qu’Arnaud a écrit dans son dernier ouvrage "La Paix toujours présente" – Voici quelques extraits du dernier chapitre: Pour une pratique réaliste.

« On l'a toujours dit, il existe différentes voies. Vous êtes engagés sur une voie qui ne vous demande pas, dès le départ, de vous consacrer uniquement à la recherche de l’Absolu. Vous aurez donc à développer une habileté par rapport à vous-même, tel que vous êtes situés aujourd’hui […].

Ne soyez pas tantôt orientés vers Dieu seulement, l’amour infini, l’Au-Delà, l’Eternel, puis complètement engloutis dans vos activités. Il faut mener les deux ensemble : votre ambition – un accomplissement professionnel ou amoureux – et votre pratique spirituelle. 
C’est toute votre existence très concrète qui devient le point de votre progression sur la Voie, de votre traversée vers « l’autre rive ». Ne soyez pas divisés entre un idéal irréaliste, donc mensonger pour vous aujourd’hui, et votre vérité actuelle. Autrement dit, lorsque vous voulez quelque chose, agissez mais en évitant de faire du mal à d’autres. Et si vous faites du mal à d’autres, ayez le courage de le voir. La vérité, rien que la vérité […] 

Il vous incombe de tout voir honnêtement, lucidement. Votre vérité d’aujourd’hui est votre plus grande motivation pour progresser (Aucun déni sous quelque forme que ce soit). Vous menez les deux fronts : l’existence dite ordinaire et la recherche du Royaume intérieur. C’est ce monde de l’éphémère qui devient le point d’appui de votre progression vers l’Eternel. Si vous n’arrivez pas à cette réconciliation, votre démarche est sans issue […] 

Vous vous exercez à transformer votre relation avec les autres – et avec vous-mêmes. Mais avez-vous vraiment l’intention d’être à l’écoute des autres ou est-ce qu’en fin de compte vous n’en avez pas réellement envie et vous préférez demeurer enfermés dans vos pensées ?
Être à l’écoute des autres fait partie de l’ouverture du cœur et de l’intellect: inclure, comprendre…la non-séparation […] 

L’ego se dissout en accueillant et en s’élargissant. Si vous voulez vraiment être en « non-dualité » avec l’autre ici et maintenant – ce qui vous permettra de vous libérer de vos propres limitations et de progresser sur la voie – exercez-vous comme s’il n’y avait pas d’empêchement […] 
Suivez le thème « être à l’écoute de l’autre » dans votre vision d’ensemble du chemin. Évidemment, lui ou elle se sentirait heureux ou heureuse de se sentir accueilli(e) avec attention et amour. Mais vous le faites aussi pour vous. Tout ce que vous faites pour l’autre, vous le faites pour vous – pas dans le sens de le faire pour l’ego mais pour transcender l’ego. Vous ne pouvez pas être à l’écoute de l’autre si vous êtes trop préoccupés par vos propres difficultés […] 

Toute la Voie vous conduit vers l’autonomie et la non dépendance. En trouvant au cœur de vous-mêmes la plénitude, la joie et la paix, vous devenez de plus en plus libres de l’asservissement aux désirs et aux peurs. Mais je sais combien ce détachement absolu peut paraître à l’ego plus inhumain que supra-humain. N’en rejetez ni l’idée ni la possibilité – ni surtout, une approche progressive. Il ne s’agit pas de renoncement ou de sacrifice mais de dépassement […] 

Mais je dois quand même vous dire que « quelque chose » - et quelque chose qui n’est pas anodin - continuera à « vous » concerner même si le « moi » s’est dissipé: la souffrance des autres. 
Que contribuer à diminuer le malheur autour de vous devienne une aspiration pour votre victoire personnelle sur votre propre souffrance. Ne soyez pas impatients. Soyez fidèles à vous-mêmes jour après jour, étape après étape. Regardez très loin à l’horizon vers quoi vous allez et regardez de très près où vous posez les pieds pas après pas. » 

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samedi 26 mai 2018

Pose. La petite châtelaine


L'été, un long convoi de silences traverse le ciel, un train de marchandises aux portes bleu délavé. Des étincelles de cigales jaillissent de ses roues. Il ne freine qu'à l'automne, dans un crissement pourpre. Tu as disparu un mois d'août. Tu es montée dans un de ces wagons. J'ignore où tu es descendue. Je fraie mon chemin dans le bleu avec des mouvements d'épaules. La joie est la terrible tenue de rigueur. Une rumeur, très loin : la forêt se trouve sous un couloir aérien. L'avion fait le bruit étouffé d'un fer à repasser sur un drap bleu. Une photo où tu portes une veste de cuir. C'est plus fort que toi : la méchanceté du cuir fond sur tes épaules, ta bonté éclate comme une neige au soleil.
Ton front nu est semblable à celui de La Petite Châtelaine « aux cheveux tout à jour » : le soleil s'y fracasse en anges. Camille Claudel sur les photographies est frappée d'absence. Ses yeux sont des marais dormants. La Petite Châtelaine, au dernier coup porté dans le marbre, est montée au paradis. Elle ne pesait pas un gramme. J'ai besoin d'une seconde pour voir, après c'est fini. Le petit menton qui tremble à l'idée de trembler. Ce courage ramassé dans la bouche. Ce relief des os sous les joues : c'est la famine de l'amour. Ces yeux, revenus de quel monde que notre monde ignore ? On ne sait s'ils vous pillent ou s'ils vous enrichissent. J'ai volé la châtelaine. Je l'ai prise dans les bras de mes années vécues et je suis parti en courant.
Les gardiens du musée ne m'ont pas attrapé, ni les diables policiers. Elle est en moi, la gamine, avec le marbre souple de ses cheveux. Le petit menton de Dieu qui tremble. Le front d'où les anges se jettent comme d'une falaise. Une poupée. Une grosse poupée pour consoler de l'inconsolable. Si ce buste n'a rien de spectaculaire, c'est parce qu'il dit les racines de la douleur et que les racines sont invisibles pour les distraits. La tragédie remonte du fond de la terre. La forêt cogne aux fenêtres. La main délicate du vent sur les chardons fait honte à la main des mères. La petite fille s'appelait Marguerite. Elle avait 6 ans quand Camille l'a sculptée.
La vie nous fait asseoir pour une pose qui dure des années. À la mort nous nous levons et sortons de l'atelier. Notre visage reste gravé dans quelques cœurs - tirage limité. Toute écriture, même la plus désespérée, est un acte de foi dans la vie. Les yeux griffés de ronces, monter. Cœur arraché, monter encore. Résumé des derniers chapitres : je suis vivant, tu l'es aussi comme les rois et les reines qui dorment dans les palais que nous allons machinalement fleurir à la Toussaint. Il n'y a pas de mort, il n'y a que le passage au chapitre suivant, mais nos yeux ne savent pas le lire. 
Christian Bobin  
(source : Le monde des religions)
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vendredi 25 mai 2018

Chemin initiatique...




Chacun doit s’initier soi-même. 
Les systèmes et les écoles peuvent indiquer les méthodes et les voies, mais aucun système, aucune école ne peut faire pour l’homme le travail qu’il doit faire lui-même. 
Une croissance intérieure, un changement d’être, dépendent entièrement d'un travail qu’il faut faire sur soi. 

 
Georges Ivanovitch Gurdjieff


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jeudi 24 mai 2018

Pourquoi la naisance, pourquoi la mort ?

A la cérémonie du crématorium, on m'a demandé de lire un texte que je vous partage.


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mercredi 23 mai 2018

A la pointe du chemin


« J'ai accompagné jusqu'au bout amer ma propre solitude, mon propre abandon. Il est bon et juste d'accompagner jusqu'au bout tout ce qu'on ressent, d'aller au plus aigu de la pointe. Pour être délivré de quelque chose, surtout le rejoindre de si près, de si près qu'on sente le souffle du dragon dans la nuque ! Oui seulement si je suis capable d'accompagner ma misère, de l'admettre, de la reconnaître, elle prendra fin; mais si je tente de surmonter, de succomber à l'héroïsme ou à la seule indignation « c'est horrible », alors tout se durcit et se prolonge. En prenant dans notre responsabilité ce que nous vivons, ce que nous faisons, ce que nous disons, nous avançons sur un chemin de paix. »
 
Christiane Singer

 Derniers fragments d'un long voyage  



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mardi 22 mai 2018

Etre arbre





"Etre arbre. 
Un arbre ailé. Dénuder ses racines
Dans la terre puissante et les livrer au sol
Et quand, autour de nous, tout sera bien plus vaste,
Ouvrir en grand nos ailes et nous mettre à voler."

P. Neruda

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lundi 21 mai 2018

Ekhi et l'étoile...


Ma fille avait pour objet, durant cette année, dans son école de communication visuelle, de réaliser un court métrage d'une minute. Il a été sélectionné parmi les 5 premiers. Je vous laisse le temps et l'espace d'y goûter. 
(en mode "plein écran" c'est encore mieux)




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dimanche 20 mai 2018

Regarder de l'autre côté avec Joshin Luce Bachoux


« J'ai tant de colère en moi... », me dit-il d'une voix étranglée, cet ami assis là dans ma cuisine, poings serrés posés sur la table, front plissé, regard tourné vers l'intérieur comme s'il ne voyait plus que cette colère et pas la tasse de thé que j'ai posée devant lui, ni le bouquet de tulipes multicolores... Il ne vit que dans la colère, sa colère : « Je cherche, poursuit-il, je réfléchis, d'où vient cette colère, et comment je pourrais la faire disparaître... Je pense que cela va me rendre malade, une si grande colère. »
Par la fenêtre, j'aperçois les cadeaux du printemps : les arbres aux minuscules petits bouts de feuilles vertes encore froissées et le cerisier, blanc et majestueux qui domine la cour. Que répondre ?
Le Bouddha parle de la colère comme d'un poison, qui se répand dans notre esprit et étouffe tous les autres sentiments ; qui nous rend aveugle et sourd à tous ceux qui nous entourent. Un feu qui brûle faisant terre rase de tous nos sentiments. La colère est certainement un sentiment partagé, tôt ou tard, plus ou moins, par nous tous. La colère instantanée provoquée par l'impatience, par le mot de trop, mais, plus grave, la colère rentrée, la colère sans cause, juste que non, ça ne devrait pas être comme ça, ça n'aurait pas dû se passer de cette façon... Quoi donc ? On ne sait pas exactement, c'est flou, vague et pourtant cela étouffe et empêche de respirer.
Faut-il creuser son passé, répertorier les injustices subies, revenir sur nos ratages, nos rancunes ? « Je ne peux pas vivre dans cette colère, et pourtant je garde les yeux fixés dessus, je la remâche, j'y passe mes jours et souvent mes nuits. » Il semble enfermé, se cognant aux murs qu'il a lui-même construits.
Que faire de cette colère ? J'ai envie de proposer un autre point de vue, totalement différent. Celui de n'y plus penser, de regarder ailleurs que vers ce feu qui nous détruit. Se détourner de ce qui risque de devenir fascination dangereuse, comme les flammes lorsqu'on les regarde trop longtemps et que l'on s'y perd. Comment ne plus penser à quelque chose ? En pensant à autre chose à la place ! On pourrait commencer par regarder autour, regarder le monde : chercher une étincelle de beauté, où que l'on soit, un reflet de lumière, un instant de joie sur le visage d'une autre personne, un éclat dans les yeux, ou un beau caillou, parfaitement rond, veiné de brun et de blanc. 
On pourrait continuer par respirer et laisser ses épaules revenir sous les oreilles, peut-être avec une amorce de soupir de se voir si recroquevillé. On pourrait regarder - vraiment regarder - la personne qui est en face de nous. Et l'écouter, l'interroger. Et aussi la personne de la pièce d'à côté, de l'immeuble d'en face, ou la dame qui fait la queue derrière nous à la poste. On pourrait sourire, même un peu crispé. En fait, on pourrait faire plein de choses sauf rester là à contempler sa colère. Cela ne la fera pas partir ? Eh bien, pourquoi pas, qu'elle ait un coin en nous tant qu'elle laisse de la place au reste, tout le reste, le monde, le rire, les autres, le soleil... Faire complètement l'expérience de la vie, et alors, peut-être, devenir assez vaste pour avoir aussi de la colère en nous ; lui offrir une chaise près du poêle, et surtout arrêter de la combattre. Rien ne la nourrit plus, il me semble, que notre attention, notre colère après notre colère !
Oui, le monde est imparfait, il est juste de le voir, mais regardons aussi ce petit bout de soleil qui nous donne forme et lumière...

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samedi 19 mai 2018

Paroles d'arbres...

ARBRES
À Georges Ribermont-Dessaignes
En argot les hommes appellent les oreilles des feuilles
c’est dire comme ils sentent que les arbres connaissent la musique
mais la langue verte des arbres est un argot bien plus ancien
Qui peut savoir ce qu’ils disent lorsqu’ils parlent des humains
Les arbres parlent arbre
comme les enfants parlent enfant
 
Quand un enfant de femme et d’homme
adresse la parole à un arbre
l’arbre répond
l’enfant entend
Plus tard l’enfant
parle arboriculture
avec ses maîtres et ses parents
Il n’entend plus la voix des arbres
il n’entend plus leur chanson dans le vent
Pourtant parfois une petite fille
pousse un cri de détresse
dans un square de ciment armé
d’herbe morne et de terre souillée
      Est-ce... oh... est-ce
la tristesse d’être abandonnée
qui me fait crier au secours
ou la crainte que vous m’oubliiez
arbres de ma jeunesse
ma jeunesse pour de vrai
Dans l’oasis du souvenir
une source vient de jaillir
est-ce pour me faire pleurer
J’étais si heureuse dans la foule
la foule verte de la forêt
avec la crainte de me perdre
et la crainte de me retrouver
N’oubliez pas votre petite amie
arbres de ma forêt.

Jacques Prévert,
Histoires
(1968).

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vendredi 18 mai 2018

"nous avons tous à revoir notre définition de la paix"

Mercredi 16 mai a été célébré la première journée internationale du vivre-ensemble en paix, une journée décrétée par l’ONU à l’initiative de la confrérie soufi Alawiyya

A l’approche du Ramadan, c’est également l’occasion d’évoquer la foi des musulmans et leur place dans la société française. Une place qu’occupe également le soufisme. "Le soufisme est une école ésotérique, qui enseigne l’intériorité. Comment vivre la religion en harmonie par la pratique extérieurement, mais aussi par une quête spirituelle à l’intérieur. Le soufi, c’est celui qui cherche le sens" explique le cheikh Khaled Bentounès, responsable spirituel de la confrérie soufi Alawiyya.

(interview par RCF :14 min.)

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Poésie avec Francine Carrillo


Trop rares, à mes yeux, sont les poètes qui font entendre une parole authentiquement spirituelle. Francine Carrillo, théologienne et poète protestante reconnue, est de ceux-là.

Dans le recueil "L'Imprononçable", le lecteur peut ressentir à la fois l'amour du texte hébraïque et de son caractère intraduisible, pour cette raison toujours fascinant. Quant aux vers de Francine Carrillo, ils sont réduits à la plus simple expression possible : un ou deux mots, pas plus. Rien qui puisse troubler l'eau limpide et profonde du silence intérieur d'où surgissent les poèmes. C'est un espace lointain, situé sous la surface, "en dessous des maux" et des "mots", qui laisse ici résonner les traces impalpables d'une Présence paradoxale, dans une simplicité déconcertante, à l'écoute de l'essentielle Lumière.





Sabine Dewulf










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mercredi 16 mai 2018

Lumière de l'attention... avec Simone Weil

« RÉFLEXIONS SUR LE BON USAGE DES ETUDES SCOLAIRES »
 
Texte de Simone Weil (1909 – 1943) Philosophe, Humaniste, Ecrivaine et Militante politique, (à ne pas confondre avec Simone Veil (1927 – 2017), ancienne déportée et ministre de la santé), 
Communiqué prononcé lors des Rencontres Nationales en 1942.

Tous les exercices qui font vraiment appel au pouvoir d’attention sont intéressants au même titre et presque également. (…/…)
N’avoir ni don ni goût naturel pour la géométrie par exemple, n’empêche pas la recherche d’un problème ou l’étude d’une démonstration de développer l’attention. C’est presque le contraire. C’est presque une circonstance favorable.
Même, il importe peu qu’on réussisse à trouver la solution ou à saisir la démonstration, quoiqu’il faille vraiment s’efforcer d’y réussir. Jamais, en aucun cas, aucun effort d’attention véritable n’est perdu. Toujours, il est pleinement efficace spirituellement, et par suite aussi, par surcroît, sur le plan inférieur de l’intelligence, car toute lumière spirituelle éclaire l’intelligence.
Si on cherche avec une véritable attention la solution d’un problème de géométrie, et si, au bout d’une heure, on n’est pas plus avancé qu’en commençant, on a néanmoins avancé, durant chaque minute de cette heure, dans une autre dimension plus mystérieuse. Sans qu’on le sente, sans qu’on le sache, cet effort en apparence stérile et sans fruit a mis plus de lumière dans l’âme. (…/…)
S’il y a vraiment désir, si l’objet du désir est vraiment la lumière, le désir de lumière produit la lumière. Il y a vraiment désir quand il y a effort d’attention. C’est vraiment la lumière qui est désirée si tout autre mobile est absent. Quand même les efforts d’attention resteraient en apparence stériles pendant des années, un jour une lumière exactement proportionnelle à ces efforts inondera l’âme. Chaque effort ajoute un peu d’or à un trésor que rien au monde ne peut ravir.
(…/…)
Vingt minutes d’attention intense et sans fatigue valent infiniment mieux que trois heures de cette application aux sourcils froncés qui fait dire avec le sentiment du devoir accompli : « J’ai bien travaillé. » (…/…)
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dimanche 13 mai 2018

Gouttes d'amour




Il y a partout, mélangées aux particules de l'air que nous respirons, des particules d'amour errant. Parfois elles se condensent et nous tombent en pluie sur la tête. Parfois non. 
C'est aussi peu dépendant de notre volonté qu'une averse de printemps. 
Tout ce qu'on peut faire, c'est de rester le moins souvent à l'abri.

Christian Bobin

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samedi 12 mai 2018

Cessez de chérir des opinions

(extrait d’un livre en cours ...)
GILLES FARCET, ·LUNDI 16 AVRIL 2018

Un célèbre dicton zen, souvent cité par Arnaud, affirme : « la voie consiste en ceci : cessez de chérir des opinions ». Voilà bien une phrase qui mérite que l’on s’y attarde.

Tout être humain n’a-t-il pas nécessairement des conditionnements et donc des opinions ?

Toute forme est relative, donc conditionnée. En ce sens, un être humain, en tant que forme relevant par définition du monde relatif, est nécessairement conditionné. Parler d’une forme conditionnée est en vérité une manière de pléonasme. Donc, oui, le plus accompli des sages, en tant qu’ être humain, reste dans une certaine mesure conditionné. Cela se traduit par toutes les formes que prend sa manière de se manifester. Ramana Maharshi , vêtu été comme hiver d’un simple pagne, ne l’était pas à la manière d’un soufi , d’un moine chrétien ou d’un Tibétain. Hindou, qui plus est d’une certaine époque, il s’exprimait , outre la langue elle même, selon les concepts, images et usages de sa tradition, même s’il a contribué à la renouveler. Il était végétarien, ne buvait pas d’alcool … En était il pour autant identifié à son monde ? Toutes ces apparences participaient bien de conditionnements relatifs, à moins que, comme le font les intégristes de toute religion ou tradition, on attribue une valeur absolue à telle ou telle observance et coutume et c’est précisément là que les choses se gâtent. Par exemple, un hindou strictement orthodoxe considère comme un grave péché le fait de manger de la viande ou de boire de l’alcool. Selon cette logique, nombre de saints chrétiens ou musulmans consommateurs même modérés de viande seront disqualifiés ! Arnaud Desjardins qui, sans jamais en abuser appréciait le bon vin et l’alcool en général ,serait lui aussi recalé à l’examen selon les normes fanatiques, lesquelles ne sont, notons le bien, jamais loin … Je suis moi même aujourd’hui essentiellement végétarien, mais j’ai vu des végétariens militants très perturbés par le fait que tel ou tel témoin a priori convaincant de la sagesse puisse de temps à autre apprécier la bonne charcuterie , voire commander une côte de boeuf au restaurant …

Ce que tu tends à dire, c’est que certains conditionnements sont inévitables , la question n’étant pas les conditionnements mais l’identification et l’attachement aux dits conditionnements …

Bien entendu, sachant qu’on en revient toujours à la question de la communion. Imagine-t-on un sage authentique juger et rejeter quelqu’un au nom de ses habitudes alimentaires ou autres ? Cet exemple pointe vers un point important : le conditionnement en lui même ne relève pas nécessairement du « mental » ; il participe de la culture, de l’éducation, des usages en vigueur qui peuvent et même doivent souvent être respectés (je ne vais pas servir du porc et proposer du vin à quelqu’un que je sais musulman pratiquant !). Ce qui relève du mental, c’est l’identification au conditionnement, c’est à dire le fait de lui attribuer une valeur absolue et universelle plutôt que relative, valeur absolue au nom de laquelle je ne suis plus en mesure d’être en communion avec l’autre dans sa différence. Cette identification aux conditionnements , manifestation notoire du mental, est à la racine de bien des violences , exclusions et autres discriminations. Ma façon de vivre est la meilleure et puisqu’elle est la meilleure, mon devoir est de vous l’imposer « pour votre bien », au besoin par la force ! Telle est la conviction sous jacente à la colonisation par exemple, dont nous autres Occidentaux subissons aujourd’hui le retour de bâton sous la forme de l’intégrisme , notamment musulman, lequel procède en fin de compte d’une conviction exactement identique.

On peut concevoir un, une sage observant des usages et des règles relevant de conditionnements ; ce fut d’ailleurs le cas de la plupart des grandes figures qui font autorité, loin de ceux qui, affectant un « éveil », revendiquent un mépris des conventions. On ne peut par contre concevoir un ou une sage digne de ce nom emprisonné(e) par ces conditionnements, leur attribuant une valeur absolue et de ce fait les plaçant au dessus de la compassion. Un être spirituellement mûr donnera toujours la priorité à la relation.

D’accord pour les conditionnements, mais qu’en est il des opinions ? Un être spirituellement accompli n’a-t-il plus d’opinions ?

Reprenons le proverbe zen : « la voie consiste en ceci : cessez de chérir des opinions. » J’ai beaucoup médité cette phrase. Elle ne dit pas : « la voie consiste en ceci : n’ayez plus d’opinions », ou « cessez d’avoir des opinions", mais "cessez de les chérir. Que veut dire en pratique « chérir mes opinions » ? Là encore leur accorder une valeur universelle et absolue.

Admettons que je ne chérisse plus mes propres opinions : je peux bien avoir, en tant qu’être humain , certaines opinions, à savoir des goûts, des tendances, en matière d’art, de cuisine, d’habillement … Lesquelles opinions sont le fruit de mes conditionnements, des influences auxquelles j’ai été soumis dans ma jeunesse notamment… Je peux les « avoir » sans pour autant les « chérir ».

Un exemple serait bienvenu …

Pour prendre un exemple qui me concerne, ma sensibilité musicale s’ est développée, comme c’est le cas pour pas mal de gens de ma génération, à partir de ce qu’on regroupe aujourd’hui sous le terme générique de « rock ». Sur ce point parmi d’autres, mon monde est différent de celui d’Arnaud Desjardins et proche de celui de Lee Lozowick. Maintenant, est ce que cette « opinion » - j’aime le rock, plus que le jazz- me fait considérer le rock comme intrinsèquement et soi disant « objectivement » supérieur au jazz ? Est ce que cette « opinion » m’interdit d’apprécier la musique classique, le jazz, la musique folklorique, en fait toute autre forme musicale ? Pour ce qui me concerne, Dieu merci, non … Mais je suis souvent frappé de constater par l’observation des uns et des autres, et notamment de mes élèves , que l’identification aux opinions n’est jamais bien loin. Un tel supporte difficilement le rock, sous prétexte que « c’est du bruit » etc etc … Il ou elle ne réalise pas du tout ce que cela traduit concrètement de son identification.

Tu veux dire que cette personne devrait, pour avancer sur la voie, se mettre à aimer le rock sous toutes ses formes ?

Pas du tout et heureusement ! Elle aurait par contre intérêt, si elle s’y trouve exposée ici et là, à s’y ouvrir de tout son cœur, à sincèrement écouter sans de suite se crisper , à chercher à comprendre cette forme au lieu de d’emblée la juger d’après ses critères plus ou moins conscients , justifiés par des arguments esthétiques, quand ce n’est pas spirituels : « mauvaises énergies, violence , blah blah blah … » Je ne nie pas que certaines musiques charrient des énergies plus violentes que d’autres, et je ne parle pas seulement du rock ou du « metal" : quand j’écoute les œuvres de certains compositeurs classiques , je capte une énergie très proche de celle du « metal » - que je ne connais d’ailleurs pas très bien. Dans certains moments de transmission, je passe délibérément des musiques très diverses, de Mozart au rap en passant par du jazz rock, du folk, de la musique dite contemporaine , de l’opéra, de la variété … A mes yeux il s’agit d’un exercice : je demande aux participants de réellement s’ouvrir à chaque morceau , en passant outre les résistances et opinions, d’en goûter l’énergie spécifique , même si jamais ils n’auront ensuite l’idée de se passer certains de ces morceaux chez eux pour le plaisir…

Donc la question n’est pas de tout aimer mais d’être ouvert à tout …

Je dirais même : il ne s’agit pas de tout apprécier mais d’être capable de tout apprécier ! Sur ce point, je vais partager un souvenir. Arnaud Desjardins, né en 1925, ne connaissait rien au rock. Lee Lozowick, lui, en avait été nourri et avait fondé plusieurs groupes de rock et de blues dans le cadre de son travail avec ses élèves. J’ai souvent vu Arnaud assister à des concerts de l’un ou l’autre groupe de Lee avec une totale ouverture qui lui permettait d’en apprécier la qualité et l’intérêt intrinsèque, même s’il n’aurait a priori pas eu idée d’écouter ce type de musique. Ses goûts et tendances ne l’empêchaient nullement d’être « un avec » et donc d’apprécier, ce qui ne signifiait pas forcément « aimer » ce genre musical.

Laissons l’exemple de la musique , pertinent mais spécifique. Quid des opinions politiques , sources de tant de conflits, jugements, réactions …

Ce que je viens de dire s’applique bien entendu aux opinons politiques, étant entendu que la posture qui consiste à prétendre ne pas du tout s’intéresser à la politique est aussi une opinion à laquelle beaucoup peuvent s’identifier …

Rien de tel que le témoignage direct : tu as des opinions politiques ?

Je suppose que oui, puisque je vote et me tiens raisonnablement informé.

En tant que citoyen, je considère normal de m’intéresser quelque peu à la politique. J’ai dit que je votais, j’ai bien par conséquent certaines « opinions » même si elles ne sont pas arrêtées - de fait je n’ai pas toujours voté du même côté. J’ajoute que si j’ai des opinions, elles n’ont naturellement rien d’extrême., tout extrémisme étant suspect …

Pourquoi suspect ?

Parce que l’extrémisme, qu’il soit de gauche, de droite, religieux ou athée, participe d’une réaction émotionnelle, réaction sous l’effet de laquelle les choses sont considérées de manière simpliste , réductrice et outrancière. L’athée militant réduit tout élan religieux à une aliénation pour esprits faibles , le catho militant réduit l’athéisme à une déviance d’esprits orgueilleux et égarés, et ainsi de suite …

Revenons à tes opinions politiques qui, ont l’aura compris, ne sont pas extrêmes …

Ces opinions participent nécessairement, que je le veuille ou non, de certains de mes conditionnements, de mon expérience de vie, des influences auxquelles j’ai été soumis au cours de mon existence.

Ne pas les chérir veut dire les considérer comme tout à fait relatives , contingentes pour ainsi dire. Si je ne les chéris pas, je suis capable , si nécessaire, de les mettre en question, voire de les abandonner si il m’est démontré qu’elles sont erronées. Et surtout, je n’éprouve aucun besoin irrépressible de les défendre à tout prix, de les faire triompher, de les imposer au reste du monde qui ne les partage pas et donc se trompe.

Tu n’as plus jamais de discussions alors …

Celui qui ne chérit plus ses opinions ne donnera plus , c’est certain, dans la discussion stérile. Il pourra comme tout un chacun exposer , voire parfois argumenter son point de vue , que ce soit en art, en politique , à propos d’un restaurant … Mais pour le jeu, si j’ose dire, et jusqu’à un certain point. Si Il ou elle sent que la discussion s’enlise, tourne à ce qu’on appelle aujourd’hui la « polémique » , il abandonne très vite.

D’aucuns y verraient une fuite …

Certes. Et à quoi bon « débattre » avec quiconque n’est en aucun cas disposé à modifier son point de vue mais entend juste l’exprimer ? Qu’apporte ce sacro saint « débat » à la relation, si ce n’est encore davantage de crispation, de fermeture, d’incompréhension… Et au fait, qui veut débattre, démontrer, « prouver », "répondre » , sinon l’ego ?

Est ce à dire que tu es toujours d’accord avec tout le monde ?

Pas du tout. Par contre, je discute peu ou arrête de discuter dès que je décèle une impasse émotionnelle. Si quelqu’un exprime en ma présence une opinion tranchée que je ressens comme excessive , je ne vais pas tomber dans le piège consistant à argumenter avec lui ou elle mais m’intéresser à ce que cette opinion chérie traduit, à savoir presque toujours une souffrance. Je vais me brancher sur la personne, sa dynamique, la souffrance et les demandes plus ou moins conscientes qu’il ou elle exprime à travers ces opinions, politiques ou autres. Je ne la contrerai éventuellement que si cela me parait pouvoir constituer un « moyen habile « susceptible de lui être en fin de compte bénéfique. Il m’est arrivé d’écouter sans broncher un élève tenir des propos provocants qui, à la télévision, sur les réseaux sociaux ou au bistrot auraient provoqué la curée … Il était à ce moment là important pour cette personne de sentir qu’elle ne pouvait pas m’entraîner à réagir , au contraire de la plupart des gens. Or, je ne pouvais ne pas réagir que dans la mesure où je n’étais pas identifié à mes propres opinions.

Allons jusqu’au bout : tu laisserais quelqu’un proférer en ta présence des opinions racistes ou xénophobes …

Je ne laisserai jamais quiconque en ma présence commettre un acte raciste , xénophobe, homophobe, que sais-je, à l’encontre d’autrui, y compris en paroles si ces paroles portent atteinte à une ou des personnes. Mais il se peut en effet que je laisse quelqu’un aller jusqu’à un certain point de son expression tant que cela ne cause de tort objectif à personne, sinon à celui ou celle qui profère ces opinions. Se sentir vertueux à peu de frais en s’indignant contre telle ou telle opinion jugée intolérable est beaucoup plus facile que d’écouter la souffrance de la personne dissimulée derrière les opinions en question. La limite étant encore une fois le tort causé à autrui.

Tu en reviens toujours à la relation …

Parce que c’est là ce qui importe vraiment.

Si je ne chéris plus mes opinions, elle ne sont plus un absolu qui vaille que je me crispe, me coupe de l’autre, le condamne, le rejette … En pratique, l’identification à mes opinions, à toute opinion, procède d’une émotion. Je dis souvent que la plupart des discussions apparemment politiques sont en vérité une manière non consciente d’exprimer des émotions infantiles refoulées. Dès qu’il y a polémique, défense acharnée d’un point de vue, on tombe dans le registre de l’émotion. A cet égard, les réseaux sociaux avec leur avalanche de commentaires et polémiques à l’emporte clic ont quelque chose de terrifiant. C’est le café du commerce , mais planétaire et sans frein. Au comptoir du bistrot, c’est avec un être humain de chair et d’os que l’on discutaillait. Devant l’écran, les limites reculent, pour le meilleur parfois mais souvent pour le pire. C’est la fameuse « dictature de l’émotion » , l’effarant « tribunal des réseaux sociaux » …

Revenons au mental …

Autour duquel nous n’avons cessé de tourner !

Il ne s’agirait donc pas tant de « détruire » mon monde que d’y être de moins en moins identifié.

Exactement. De même que, dans l’image traditionnelle, l’ego n’est pas la vague mais l’illusion sous l’effet de laquelle la vague se fantasme autonome par rapport à l’océan, le « mental » n’est pas « mon monde », mais l’identification à mon monde, la confusion entre mon monde et le monde , la prétention égocentrique à ce que mon monde soit le monde. Encore une fois en tant que forme je serai toujours conditionné. Jusqu’à ma mort subsistera donc- dans une certaine mesure, même si bien moins affirmée , « mon monde » : dans mon cas celui d’un Français né à une certaine époque, dans un certain milieu, avec une certaine histoire, une certaine psychologie… La question est : vais je vivre, éventuellement vieillir et finalement mourir , totalement identifié à ce monde et par conséquent incapable de communion, incapable d’ «être un avec » l’autre, selon l’’expression de Swamiji, inapte à accepter et comprendre d’autres mondes que le mien ? Ne plus m’identifier à mes opinions signifie ne plus me confondre avec elles. Or, si la plupart des êtres humains chérissent leurs opinions, c’est bien parce qu’ils les ressentent comme constitutives de leur identité. Ils se définissent en grande partie par leurs opinions, de concert avec leur métier, leur rang social, leur nationalité …

Pour ma part par exemple, je me sens à maints égards très français… Mais en tant que forme! Cette forme humaine temporaire que l’on désigne par mes noms et prénoms est française. Elle en a certaines caractéristiques, à commencer par la langue dite maternelle, le goût du fromage, des vins, l’amour des clochers de village et des rues de Paris … Tout cela est parfaitement légitime si cela reste à sa place, c’est à dire à la périphérie de la personne que je suis. Ce qui est à la périphérie et ressenti comme périphérique ne s’imagine pas central. Or, quantité d’êtres humains , sans en être conscients, prennent pour central et revendiquent comme tel ce qui en eux n’est que périphérique.

Là se situe donc l’erreur ?

L’erreur est toujours essentiellement une erreur de perspective : une perspective faussée fait que l’on ne perçoit pas les choses dans leur vraie dimension et à leur vraie place. « Keep it in its own place » dit Swami Prajnanpad , « laissez les choses à la place qui est la leur. » Le ‘mental » français place la France et ses attributs au centre et au dessus de tout. C’est la caricature d’OSS117 joué par Jean Dujardin … Notons aussi au passage l’existence du « mental non dualiste » qui va mélanger les niveaux, prétendre , « au nom du Soi », qu’être français n’a aucune importance … Et ainsi, là encore, ne pas attribuer leur vraie place aux choses.


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