jeudi 31 août 2023

De l'ordinaire à l'extraordinaire

 

De l’ordinaire « corps que l’on a » à l’extraordinaire « corps que l’on est ».

« L’exercice du matin, Zazen, n’est qu’un modèle pour vivre sa vie quotidienne d’une autre manière. Grâce à l’attitude méditative, nous passons de la rencontre de l’ordinaire avec la rencontre de l’extraordinaire. Nous ne sommes pas assis, une heure chaque matin, pour trouver un silence ou, comme beaucoup l’espèrent, acquérir des facultés supérieures.

Il s’agit de se préparer à un état d’être dans lequel vous préservez le contact avec l’essentiel. Pas seulement dans un exercice de méditation mais dans toute action ». K.G. Durckheim

Que signifient ces termes « ordinaire » et « extraordinaire » ?


L’ordinaire, c’est notre manière habituelle de voir les choses, de tout vivre sur le plan de la pensée, du raisonnement et de l’efficacité existentielle. N’importe alors que le bon fonctionnement du corps, qui se doit d’être maintenu en bonne santé, à notre service et à notre disposition comme le serait un outil performant.

C’est ce que K.G. Durckheim appelle le corps que l’on a, qui « se réfère à la santé, au rendement et au bon fonctionnement existentiel. »

Le corps, vu comme une simple machine, forcément inférieur à l’esprit, est alors au service des lois du mental humain et ne sert qu’une vision rationnelle du monde :

« Si je pratique Zazen régulièrement, il doit se passer ceci … je dois respirer de cette manière … dans 6 mois, j’aurai dépassé cette difficulté … dans 2 ans je serais plus calme…»

« Moi, je pense qu’il est bon de m’améliorer, de maitriser mes pensées, mes émotions, mon sommeil, ma santé … pour une meilleure efficacité dans mon travail, mes relations, ma vie profane et spirituelle.»

Une manière « ordinaire » de pratiquer la méditation serait de rester dans cette vision du corps objet, et de ne voir l’exercice sur le chemin qu’en termes de buts à atteindre, de contrôle, ou d’amélioration des performances.

Pratiquant ainsi, je ne cherche qu’à faire entrer l’exercice dans mon entendement, sans remettre en cause la conscience ordinaire ; je me maintiens sous la dépendance du moi existentiel (petit moi, moi profane, moi fixateur … autres noms pour désigner cette conscience égocentrée), ce qui m’empêche de goûter le contact avec l’Essence, l’Être, ma vraie nature, que je suis depuis toujours.

L’exercice n’est alors qu’un moyen de prolonger ma vision des choses dans une attitude considérée comme spirituelle, mais ne fait qu’affirmer la mainmise du mental, de l’égo sur ma pratique.

« Le moi devient fatal à l’homme qui s’identifie définitivement et exclusivement avec ses positions, et en particulier avec sa conception de la réalité : l’homme est alors arrêté sur un certain échelon de la connaissance … La détresse spirituelle de l’homme vient de ce que, à une certaine étape de son développement, son être véritable est obnubilé par sa conscience objective… Essayons d’avoir le courage d’oublier toutes nos théories pour prendre au sérieux ce que nous vivons, ce que nous sentons, dans l’instant.» K.G. Durckheim

Alors, comment retrouver, entrainer, préserver ce lien à l’essentiel et rencontrer cet extraordinaire dont parle Durckheim ?

En remettant en cause cette manière de tout aborder, de tout vivre, sous la seule vision de la conscience ordinaire qui fait de tout ce qu’elle rencontre un objet. Retrouver ce lien à l’essentiel, c’est avant tout passer de cette vision du « corps que l’on a », au geste vivant du « corps que l’on est ».


Le corps n’est pas quelque chose, mais exprime un geste de la vie.

Le corps est la forme par laquelle se révèle, s’épanouit le geste vivant que nous sommes.

Le corps est la forme par laquelle notre sentiment d’appartenance à la Vie donne sens à notre existence.

Le « corps que l’on est » sert les lois du vivant et n’est plus cet objet aux ordres du mental.

Ce flux de transformation incessant que sont les lois du vivant (interdépendance, changement, différence, impermanence …) redeviennent conscientes lorsque nous retrouvons le contact avec notre centre vital, appelé Hara dans la pratique traditionnelle japonaise des exercices sur la voie du Zen.

Une attitude centrée en Hara nous libère d’une position corporelle focalisée exclusivement dans le haut du corps : attitude souvent crispée, tendue, liée au volontarisme, aux trois prisons du mental : toujours plus d’avoir, plus de savoir, plus de pouvoir.

Retrouver, développer Hara, c’est le retour à un centre de gravité naturel, centré dans le bassin, le bas ventre, qui nourrit une forme plus juste, une tenue plus juste, une respiration plus juste ; une manière d’être plus juste et plus simple, parce que naturelle, en lien avec les lois du vivant, tout comme le bébé l’est par nature.

Pour retrouver ce lien à « l’océan de vie » que nous sommes, il est nécessaire de se mettre en chemin en pratiquant, en reprenant un exercice spirituel non mental qui nous réoriente vers la conscience sensorielle du corps vivant.

C’est le sens de tous les exercices pratiqués, repris, répétés chaque jour sur la Voie de l’action qu’est le zen : la chance de découvrir une action libérée des contraintes égocentrées imposées au « corps que l’on a ».

« Le corps que l’on est » n’est pas quelque chose à obtenir, maintenir, mais un geste qui nous relie au flux incessant de la vie « dans son perpétuel mouvement de régénération et dans sa poussée de transformation créatrice.» K.G.D

La pleine attention au corps en acte, au Geste, est ce lien sacré à l’extraordinaire.

 Joël PAUL

Les citations sont extraites de “L’expérience de la transcendance” et de “Pratique de la Voie intérieure – le quotidien comme exercice” de Karlfried Graf Durckheim

(Joël participe à l’animation des Retraites avec Jacques Castermane du 15 au 19 novembre et du 7 au 10 décembre.)

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mercredi 30 août 2023

Rentrée bien ordonnée commence par soi-même

 Après avoir désencombré, la clé du succès réside dans l’installation d’aménagements pertinents et l’adoption de nouveaux réflexes. Coach en rangement et en organisation, Élodie Boulard, alias Fée du tri, décrit dans ses formations les étapes pour fluidifier son quotidien.


« J’ai trié des maisons de 300 m2 quasiment vides et des appartements de 80 m2 envahis par le bazar, qui m’ont demandé un temps fou », nous prévient Élodie Boulard, vêtue d’une longue robe fluide aux motifs géométriques. Debout devant un grand écran, cette professionnelle de l’organisation, au surnom de Fée du tri sur Internet, assure à Paris une formation pour devenir home organiser.

Installées autour d’une table, sur des fauteuils ou dans un canapé, 12 femmes prennent des notes avec application. Des persiennes mi-closes préservent de la chaleur estivale la salle de réunion parquetée aux murs blancs et aux plafonds décorés de moulures. « Comprendre les causes du bazar permet non pas de les modifier, mais de proposer un cadre adéquat à vos clients, explique-t-elle. Le but est d’être pleinement bien chez soi. Il existe un désordre rampant que l’on ne voit pas, car on entasse rapidement quand il y a du monde, ou avant de partir en vacances. Mais votre cerveau, lui, sait que la cave est à ranger depuis 10 ans ! » Et que les placards croulent si on les ouvre, et que l’on ne peut plus mettre un pied dans le grenier…

Différentes causes du désordre

Dynamique, elle énumère 10 profils enclins à se laisser déborder : le collectionneur, le passionné qui change de projets tous les deux jours – « il s’inscrit au yoga et achète toute la panoplie, mais abandonne et opte pour la poterie, laissant traîner le matériel qui le culpabilise à chaque fois qu’il passe devant… Il ne termine rien et transforme rapidement une maison en capharnaüm ! » –, le sentimental pour lequel chaque objet est rattaché à une personne ou une histoire, dont il ne saurait se séparer, le perfectionniste qui procrastine, craignant de n’avoir pas le temps de tout faire parfaitement, l’angoissé qui achète « au cas où » et garde « au cas où »… Des sourires entendus se dessinent. « On l’est tous plus ou moins ! », rassure la professionnelle.

Inutile de vouloir adopter une meilleure organisation sans passer au préalable par la case désencombrement. « Je rêve de susciter une prise de conscience, afin d’enclencher la dynamique nécessaire pour trier, jeter, organiser… Et ainsi, changer de vie, retrouver sa liberté au quotidien et ses priorités. » Par où commencer pour repartir du bon pied ? « Le dressing n’est pas si compliqué à faire et génère le déclic », précise la professionnelle.

Un à un, elle présente chaque effet à sa cliente et demande si celle-ci souhaite le garder. Son mantra : « S’il y a un doute, cela ne fait pas de doute : il doit sortir ! » Mais elle tâche au préalable de faire verbaliser le problème : il est neuf et je ne l’ai jamais mis, c’est du 38 et je fais maintenant du 40, il est bien mais je transpire dedans, il a coûté cher, c’est un cadeau de mon mari… « Autant de fausses excuses qui ne justifient pas de le garder ! » Après avoir ainsi passé chaque pièce au peigne fin, « c’est en moyenne 60 % de la maison qui s’en va ». Et autant de place de gagner, d’un point de vue spatial comme mental.


Optimiser son quotidien

En un clic, Élodie passe à une nouvelle page sur son écran, qui présente les causes structurelles du désordre, à commencer par un rangement peu pertinent – éloigné, incongru, etc. Et d’illustrer : « L’appareil à raclette utilisé trois fois par an, mieux vaut l’envoyer au garage. Tout ce qui sert au quotidien doit être accessible : rien de plus pénible que de devoir dégager cette grande poêle posée sous quatre casseroles. »

Deuxième problème : les objets « sans domicile fixe » : « Votre mission consiste à leur trouver une maison ! Le bazar vient souvent du fait que chaque objet ne possède pas une place attitrée. Comme il en change souvent, on ne sait jamais où il est, et on perd du temps à le chercher. 

Quand il ne faut pas carrément le racheter, dans l’urgence, faute d’avoir remis la main dessus à temps. Le bazar est aussi imputable à une organisation trop complexe : « Plus de 2 gestes pour ranger un objet et c’est un risque d’échec », prévient Élodie Boulard. Ce qui explique pourquoi tant de chaussures traînent dans l’entrée, au lieu d’être rangées dans le placard, portes fermées…

Revisiter son mode de vie

Pour éviter l’effet rebond, différentes règles sont à observer : un objet rentre, un autre sort ; remettre en place sitôt après usage ; réparer ce qui est cassé. « Prévoyez dans l’entrée un “action bag” où vous centralisez tout ce qui doit sortir : le pull oublié par la copine, la paire de chaussures à emporter chez le cordonnier, l’objet défectueux à déposer chez Darty, etc. Si vous laissez quelque chose de cassé dans un tiroir, il y restera des mois, croyez-moi ! » Sans conteste.

Et si l’on veut vendre ? Élodie Boulard esquisse une moue : « Le gain me semble dérisoire par rapport au temps passé pour photographier, écrire l’annonce, répondre aux questions, préparer le colis, imprimer le bon, aller au point relais, etc. Je conseille plutôt de donner à des associations ou au Relais. Apporter 40 sacs de vêtements, comme l’a déjà fait une cliente, produit un électrochoc quant à sa consommation et aide à en changer radicalement… »

Source : magazine La Vie

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mardi 29 août 2023

Chemin vers la bonne humeur

 


Faites ce que vous sentez, dit Swamiji. Prendre le temps de sentir ce que l'on sent et regarder ce ressenti avec bienveillance, quel qu'il soit, est le début de la sagesse.

Swamiji parle beaucoup de joie : "Toute action qui ne procure pas de joie ou un sentiment de bien-être est dangereuse." Si on devait appliquer ce critère avec rigueur, on ne ferait pas grand-chose de ses journées, ici en Occident. Et pourtant, si je dois faire quelque chose, pourquoi le ferais-je sans plaisir ? Oui, pourquoi? Si je n'arrive pas à tenir la joie dans ma main, je dois au moins aller vers la bonne humeur.

Pour aller vers la bonne humeur, il est indispensable de chasser sans pitié la moindre contrariété. La contrariété appelle le sentiment de séparation. Je refuse ce qui arrive, je m'en sépare et je me sépare du courant de la vie. Qu'est-ce que je vais gagner ? Un état de Robinson sur une ile déserte, un état de confusion qui me fait croire que moins je vois ce qui se passe plus je m'en protège. C'est juste l'inverse qui est vrai. Si je vois clairement, je peux faire un tri dans ce qui arrive, garder ce qui me plaît et me nourrir et jeter le reste.

Chaque matin, la priorité consiste à retrouver sa bonne humeur si on l'a perdue, à la renforcer si elle se montre capricieuse ou hésitante. Ce faisant, on est obligé de se poser des questions, on est obligé de voir et d'accepter un peu plus les choses comme elles sont, ce qui permet d'entrouvrir la porte au bonheur, et à la joie qui l'accompagne.

Extrait de "L'impermanence heureuse" de Colette Roumanoff - comment j'ai transformé ma vie avec la philosophie de Prajnanpad.

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lundi 28 août 2023

Pratiquer les vertus communes, pour une vie simple



« Nous venons d’une tradition où les vertus sont abstraites et subsistantes par elles-mêmes. Il faut les assumer, les appliquer. Moi, j’ai repris un petit passage d’Aristote, où il explique qu’il n’y a pas que les grandes vertus héroïques, mais aussi les vertus quotidiennes. Au sens littéral, il faut faire avec, chacun de nous avec ses propres limites. Nous sommes dans une société qui essaye aujourd’hui de franchir à tout prix les limites de la personne : le culte qu’on a pour l’intelligence artificielle est une espèce de soif de dépasser le constat des limites humaines.

Pour ma part, je reste en deçà. Avant de faire quoi que ce soit et pour bien habiter avec nous-mêmes, il faut connaître et accepter nos limites. Cela est plus facile et fructueux que d’essayer de les dépasser, vainement, du reste. Il ne s’agit pas d’une fainéantise spirituelle. Les vertus ne sont pas un alibi pour se pardonner constamment, mais une ascèse pour mieux exercer notre conscience. Reconnaître ses limites, c’est aussi le moyen le plus direct pour assurer un rôle effectif à la liberté d’autrui. Dans mes livres les Vertus communes et la Vie simple, j’ai illustré des dispositions d’attention aux autres réellement à notre portée, que nous pouvons pratiquer dans l’ordinaire de nos vies.

Nous plongeons dans le malaise de la complexité et nous risquons d’être paralysés par les choix à effectuer si nous ne nous exerçons pas. Il faut donc faire le pari de la confiance envers autrui. Elle peut être déçue, mais si l’on est trop prudent et que l’on cherche toujours à détecter le comportement d’autrui, c’est la paralysie. La défiance est stérile. Il est difficile de pouvoir vivre sans faire constamment des actes de confiance simples – c’est ce sur quoi se base notre civilisation. Lorsque nous sortons dans la rue, nous ne passons pas notre temps à tout vérifier et anticiper. Pratiquer la confiance c’est aussi croire à la société. »

Carlo Ossola

---------------- source: magazine La Vie


dimanche 27 août 2023

Accueil du miroir

 

Lors de la méditation... j'ai repris la comparaison classique de notre esprit et du miroir. Nous ne pouvons jamais voir la surface d'un miroir. La surface d'un miroir est toujours recouverte d'un reflet.

Le reflet n'est pas la surface du miroir. La surface du miroir est par elle-même, par essence, vide et ne contient aucune image, aucune forme, aucune couleur. La nature du miroir est de refléter.

De par le fait que la surface du miroir n'a aucune caractéristiques, aucune formes et aucune couleurs, elle est capable de refléter toutes les formes et les couleurs qui se présentent à elle. A chaque instant la surface du miroir reflète quelque chose de différent, l'analyse fine nous montre que ce n'est identique à aucun moment.

Le miroir ne choisit à aucun moment ce qu'il reflète, il accueille tout avec la même équanimité. Bien qu'il soit capable de tout refléter, le miroir ne garde aucune trace de ce qu'il a reflété.

L'image qui est reflétée dans le miroir est vide de toute existence en elle-même, c'est la raison pour laquelle elle ne peut laisser aucune trace. Notre esprit a des caractéristiques très semblable au miroir, sans être un miroir, car notre esprit n'est pas une chose.


Nous ne pouvons pas voir notre esprit directement, mais seulement au travers de tout ce dont il est conscient. Ce dont l'esprit est conscient, toutes les perceptions (les cinq sens et les perceptions mentales), ne sont pas l'esprit, l'esprit est ce qui perçoit les perceptions. L'esprit est par essence vide de tout et ne contient rien. Et perce qu'il ne contient rien, il peut tout accueillir.

La nature de l'esprit est d'être animé et connaissant. Au sein de l'esprit apparaissent toutes les perceptions, ce surgissement est l'aspect animé de l'esprit. Le fait d'en prendre connaissance est l'aspect connaissant et auto connaissant de l'esprit.

Tout ce qui apparaît dans l'esprit à chaque instant est nouveau et n'a jamais eu lieu à un autre moment que maintenant. Notre esprit ne choisit pas ses perceptions, elles surviennent, elles émergent, elles surgissent sans aucun chois de notre part. Notre esprit est par nature totalement équanime. 

La conscience ne garde aucune trace de ce qui a surgi dans l'instant précédent, si ce n'est une nouvelle pensée qui surgit et fait suite à la précédente. Mais c'est une nouvelle pensée, ce n'est pas une trace. Chaque pensée est vide d'existence autonome et ne peut être saisie, elle n'est qu'un flux, un mouvement de l'esprit. Sachons laisser le flux de la vie nous traverser sans chercher à le saisir. Sachons être rempli de gratitude que tout cela puisse survenir afin que nous puissions réaliser notre véritable nature.

Philippe Fabri

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samedi 26 août 2023

Contournement spirituel

 JOHN WELWOOD ET LE "CONTOURNEMENT SPIRITUEL" (SPIRITUAL BYPASSING). Extraits d'un article à propos d'un écueil dans lesquels peuvent tomber de nombreux chercheurs et pratiquants spirituels à différents moments de leur cheminement, notamment dans les voies non-duelles qui mettent plus l'accent sur l'absolu et l'impersonnalité 

Une interview avec John Welwood par Tina Fossella 

*Très bon article (mais très mauvaise traduction) à propos d'une tendance et d'un écueil dans lesquels peuvent tomber de nombreux chercheurs et pratiquants spirituels à différents moments de leur cheminement. 

TF: Vous avez introduit le terme «contourner spirituellement" il y a 30 ans maintenant. Pour ceux qui ne connaissent pas le concept, pourriez-vous définir et expliquer ce que c'est ?


JW: Le contournement spirituel est un terme que j'ai inventé pour décrire un processus que j'ai vu se passer dans la communauté bouddhiste où j'étais, et aussi en moi. Bien que la plupart d'entre nous ont sincèrement essayé de travailler sur nous-mêmes, j'ai remarqué une tendance généralisée à utiliser les idées et les pratiques spirituelles pour contourner ou éviter d'affronter les problèmes non résolus émotionnels, les blessures psychologiques et les tâches inachevées de développement. Lorsque nous sommes dans le contournement spirituel, nous utilisons souvent l'objectif de l'éveil ou la libération pour rationaliser ce que j'appelle la transcendance prématurée: en essayant de s'élever au-dessus du côté brut et désordonné de notre humanité avant d'avoir confronté ceux-ci et fait la paix avec eux. Et puis nous avons tendance à utiliser la vérité absolue pour dénigrer ou de rejeter les besoins relatifs humaines, les sentiments, les problèmes psychologiques, difficultés relationnelles, et les déficits de développement. Je vois cela comme un "risque professionnel" de la voie spirituelle, car cette fausse spiritualité implique un déni de notre situation actuelle karmique.

TF: Quel genre de danger fait ça represente ?

JW: Essayer d'aller au-delà de nos problèmes psychologiques et émotionnels par les contourner est dangereux. Il met en place une rupture délétère entre le Bouddha et l'humain en nous. Et cela conduit à un cadre conceptuel, type unilatéral de la spiritualité où l'un des pôles de la vie est élevé, au détriment de son contraire: la vérité absolue est favorisée par rapport à la vérité relative, l'impersonnel par rapport au personnel, le vide par rapport à la forme, la transcendance par rapport aux besoins développementaux, et le détachement par rapport aux émotions. On pourrait, par exemple, essayer de pratiquer le non attachement en rejetant son besoin d'amour, mais cela refoule le besoin souterrain, de sorte qu'il devient souvent inconsciemment agi de manières subtiles et peut être nuisible à la place (...)

JW: Il est facile d'utiliser la vérité de la vacuité de cette façon unilatérale: «Les pensées et les sentiments sont vides, un simple jeu des apparences samsariques, afin de leur payer aucune attention. Voir leur nature vide, et il suffit de couper avec eux sur le vif. "Dans le domaine de la pratique spirituelle, cela pourrait être des conseils utiles. Mais dans des situations de la vie de ces mêmes mots pourraient aussi être utilisés pour supprimer ou nier sentiments ou préoccupations qui ont besoin de notre attention. J'ai vu cela se produire sur un certain nombre d'occasions.

TF: Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans le contournement spirituel ces jours-ci ?

JW : Je suis intéressé à savoir comment ça joue dans les relations, où le contournement spirituel souvent sème la pire des ravages. Si vous étiez un yogi dans une grotte faisant années de retraite en solo, votre blessure psychologique pourrait rester cachée parce que votre attention serait entièrement focalisée sur votre pratique spirituelle, dans un environnement qui ne risque pas de secouer vos blessures relationnelles. C'est dans les relations que nos problèmes psychologiques non résolus ont tendance à se manifester plus intensément. C'est parce que les blessures psychologiques sont toujours relationnel- ils forment dans et à travers nos relations avec nos premiers gardiens (...)

TF: Et comment est-ce pertinent pour la façon dont nous pratiquons le dharma ?

JW: à l’origine beaucoup d'entre nous, et je m'inclus là - se tournent vers le dharma, au moins en partie, comme une façon d'essayer de surmonter la douleur de nos blessures psychologiques et relationnelles. Pourtant, nous sommes souvent dans le déni ou inconsciente sur la nature ou la largeur de cette blessure. Nous savons seulement que quelque chose n'est pas juste et nous voulons être libres de la souffrance.

TF: Nous pouvons tourner vers le dharma d'un endroit blessé que nous ne sommes même pas au courant ?

JW: Oui. Nous nous dirigeons vers le dharma pour se sentir mieux, mais peut-être sans le vouloir nous abusons la pratique spirituelle comme un substitut pour faire face à nos problèmes psychologiques.

TF: Alors, comment nos blessures psychologiques affectent notre pratique spirituelle?

JW: (...) Bien que nous pouvons pratiquer avec diligence, notre pratique spirituelle peut être utilisé dans le service de déni et de défense. Et quand la pratique spirituelle est utilisé pour contourner nos problèmes humains de la vie réelle, il devient compartimenté dans une zone séparée de notre vie, et reste non intégré à notre fonctionnement global.

(...)

JW : . Si le bouddhisme cherche à prendre pleinement racine dans la psyché occidentale, à mon avis, il doit devenir plus informé sur la dynamique de la psyché occidentale, qui est assez différente de la psyché asiatique. Nous avons besoin d'une perspective plus large qui peut reconnaître et comprendre deux pistes différentes de développement humain - que nous pourrions appeler de grandir et s'éveiller , la guérison et l'éveil, ou de devenir un véritable être humain d'une part et d'aller au-delà de la personne d'autre part. Nous ne sommes pas juste des humains apprennent à devenir des bouddhas, mais aussi bouddhas s'éveillant sous une forme humaine, apprenant à devenir pleinement humain. Et ces deux pistes de développement peuvent s'enrichir mutuellement. Bien que le fruit de la pratique du dharma soit l'éveil, le fruit de devenir une personne complètement développée est la capacité à s'engager dans le «je-tu» relationnel avec les autres. Cela signifie risquer d'être entièrement ouvert et transparent avec les autres, tout en reconnaissant et en prenant un intérêt dans ce qu'ils vivent et comment ils sont différents de soi. Cette capacité d'expression ouverte et profonde syntonie est rare dans ce monde. Il est particulièrement difficile si vous êtes blessé sur le plan relationnel.

En bref, le dharma est trop souvent utilisée comme un moyen de nier notre côté humain. Mais si nous détenons une perspective qui englobe les deux voies de développement, nous n'utiliserons pas la vérité absolue pour minimiser la vérité relative. Au lieu du logique ‘soit/soit’, « Vos sentiments sont de nature vides, alors juste abandonnez-les », nous pourrons prendre une approche ‘et/et’: "Les sentiments sont de nature vides, et parfois nous devons faire très attention à eux. « À la lumière de la vérité absolue, les besoins personnels sont inconsistant comme un mirage, et se fixer sur eux cause de grandes souffrances.'' Oui, et en même temps, si un besoin relatif se pose, simplement manœuvrer de côté peut causer d'autres problèmes. En termes de vérité relative, être clair avec soi-même où on en est et ce dont on a besoin est un des principes les plus importants de la communication saine dans les relations. Le grand paradoxe d'être simultanément humain et Bouddha est que nous sommes à la fois dépendant et indépendant. Une partie de nous est totalement dépendant d’autres personnes pour tout, de la nourriture et des vêtements à l'amour, la connectivité, et de l'inspiration et de nous aider dans notre développement. Bien que notre nature de Bouddha ne soit pas dépendante - qui est de nature de la vérité absolue - notre incarnation humaine est interdépendante – donc de la nature de la vérité relative. Bien sûr, dans le sens le plus large, les vérités absolue et relative sont complètement imbriqués et leur séparation ne peut être maintenu : plus nous nous rendons compte de l'ouverture absolue de ce que nous sommes, le plus profondément nous arrivons à reconnaître notre interdépendance par rapport à tous les êtres.''

John Welwood (docteur en philosophie et psychothérapeute à San Francisco. Il a suivi la voie du bouddhisme tibétain et d'autres traditions orientales pendant plus de trente ans)

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vendredi 25 août 2023

Et la lumière fut

A la manière de Jean Klein ci-dessous pour décrire un changement d'état, Arnaud Desjardins utilisait l'image d'une lampe dont le cordon d'alimentation était trop éloigné de la prise, jusqu'au moment où en se rapprochant, la lumière pouvait alors apparaître.

Question.---Cette approche vers le Soi se fait-elle par paliers ou est-elle abrupte ?

   


 R.--- Le pas d'un monde conditionné dans un monde non qualifié est abrupt. Il n'y a pas de pont, mais la démarche jusqu'à ce pont se fait par paliers.

     La progression est en spirale. Il y a d'abord accumulation, augmentation d'énergie, précipitation vers un point culminant, véritable éclatement, épanouissement, effet en force de courte durée ou effet étalé en largeur, puis descente, ralentissement, avec déperdition d'énergie, jusqu'à arrêt, repos, formation d'énergie nouvelle et redépart. Dans cette observation, il faudrait surtout porter son attention sur le moment du repos lors de la formation d'énergie souvent accompagnée de fatigue et de dépression. Ceci amène l'individu immédiatement à compenser ce vide aux dépens de l'énergie qui a besoin de se reformer. Ainsi, il empêche le départ en flèche, limite la montée et, de ce fait, abrège la période, ce qui affecte le mouvement ascensionnel tout entier.

     Chaque faculté mise en jeu crée un rappel sur tous les plans, que ce soit dans un sens positif ou négatif. Il faut être très lucide pour percevoir le rythme de ces invitations. Du point de vue de l'élimination, il ne faut pas succomber à leur tentation, et du point positif, il ne faut pas manquer à leur sollicitation. Si dans les deux sens, on les respecte, dans le premier cas les rappels s'espacent de plus en plus et, dans le deuxième cas, ils deviennent de plus en plus rapprochés. 

     Plusieurs fois dans la journée, prenez distance vis à vis de vous-même, de vos émotions, de vos pensées. Recommencez-le le lendemain, etc. jusqu'à ce que vous sentiez le réveil du rappel. Cette désidentification par laquelle vous cessez de ressasser vos mécanismes habituels, de vous remémorer vos échecs et vos succès, vous économise une force considérable. C'est celle-ci qui va servir à votre éveil, vous aidant à distinguer entre le Réel et le non-Réel.

Jean Klein, "L'homme et la connaissance ", tradition, liberté, entretiens, 1965

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jeudi 24 août 2023

Connaissance épanouie

 Les fleurs ont la connaissance de l'instant et du cosmos.


Beaucoup de gens sont prisonniers de leur mental à un point tel que la beauté de la nature n'existe pas réellement pour eux. Même quand ils disent : « Quelle belle fleur ! » il s'agit seulement d'un étiquetage mental automatique. Étant donné qu'ils ne connaissent pas le silence intérieur et ne sont pas présents, ils ne voient pas véritablement la fleur, n'en sentent pas l'essence, l'aspect sacré, de la même façon qu'ils ne se connaissent pas eux-mêmes, ne sentent pas leur propre essence ou leur propre aspect sacré...

Une autre façon d'accéder au non-manifesté, c'est de cesser de penser. Vous pouvez commencer très simplement en prenant une inspiration consciente ou en regardant une fleur dans un intense état de vigilance, de manière qu'aucun commentaire mental ne se produise en même temps. Il existe de nombreuses façons de créer une discontinuité dans l'incessant flot des pensées. La méditation en est une. La pensée appartient au monde du manifesté. L'activité mentale continue vous maintient prisonnier du monde de la forme et constitue un écran opaque vous empêchant de prendre conscience du non-manifesté, de l'essence divine intemporelle et sans forme qui est en vous et en toute chose et toute créature. Quand vous êtes intensément présent, vous n'avez plus besoin de vous préoccuper de cesser de penser, bien entendu, puisque le mental s'arrête automatiquement. C'est pour cette raison que j'ai affirmé que le présent constituait un aspect essentiel de chacune des autres portes d'accès au non-manifesté.

Le pouvoir du moment présent - Eckhart Tolle

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mercredi 23 août 2023

N'abandonnez pas


La plupart des gens qui commencent une pratique spirituelle finissent par abandonner.


 Pourquoi?  C'est sacrément dur.  C'est décourageant.  Bien sûr, vous pratiquez pleins d'espoirs au début, c'est fun, intéressant, nouveau, puis vous constatez qu'il faut beaucoup de persévérance pour sécuriser le moindre pied. 

Très vite, vous vous sentez comme une limace avec l'ambition folle d'escalader une montagne himalayenne.

 Malheureusement, il n'y a pas d'autre moyen.  Il faut vivre avec ses insuffisances pendant des années et essayer chaque jour de les surmonter.  Juste au moment où vous pensez que vous avez peut-être une chance, la maladie et le vieillissement apparaissent.  Ensuite, soit vous redoublez d'efforts, soit vous abandonnez.

 Je sais qu'aujourd'hui, certains coachs disent : « eh bien, si vous ne pouvez pas le faire, peut-être que vous n'êtes pas fait pour le faire.  Il existe de meilleures façons de passer votre temps. 

Ouais. Et puis tu ne le feras jamais.  Et lorsque vous reverrez ces "coachs" plus tard, vous constaterez qu'ils n'ont pas fait grand-chose non plus avec leur vie rétrécie. 

Il est peut-être « irréaliste » d'essayer d'être « quelque chose que vous n'êtes pas ».  Mais avec tout ce que vous apprenez à faire en chemin, vous agrandissez, vous vous déployez. 

Finalement, le quelque chose que vous êtes dépassera de loin le "quelque chose que vous n'êtes pas".  Même si ça fait bondir les "non duels".

Continuer à essayer de croître compense l'attitude typique selon laquelle le vieillissement est un glissement vers le déclin et la diminution des options. Certaines diminuent, en effet. Mais les nouvelles, plus intérieures, les compensent et les dépassent largement. 

N'abandonnez pas.  Si vous voulez quelque chose de simple auquel vous accrocher, c'est juste ça.

N'abandonnez pas.

Fabrice Jordan (Traduit et Adapté d'un post de Deng Ming Dao)

mardi 22 août 2023

S'occuper de son corps à temps

 On ne s'accorde pas beaucoup de temps pour sentir le corps.

À un moment donné, plutôt que de réfléchir sur votre vie affective, sur la spiritualité ou sur quoi que ce soit, vous vous accordez un espace dans la journée, où vous êtes présent sensoriellement : éventuellement vous explorez un mouvement du doigt, du poignet, du souffle... Vous êtes présent.

Votre questionnement se fait tactilement, comme un musicien qui, lui, a un questionnement auditif. Ainsi, peu à peu, les zones endormies redeviennent conscientes. Il faut rester doux, être patient.

Le but de la vie c'est de commencer par observer les obstacles. On n'a pas le regard vers un but, mais vers le ressenti de l'obstacle pour sentir les zones du corps qui bloquent et empêchent de le réaliser. On devient disponible aux automatismes et réactions psychologiques, l'insatisfaction, le rejet, l'amertume, l'échec, le doute, l'agitation. Par la sensibilité, on décode la façon dont ces éléments se surimposent constamment à notre ressenti.

La réaction de notre psychisme à travers les réactions du corps est le cœur du travail. Ce qui arrive est nécessaire, que ce soit la tristesse ou la joie, que ce soit l'extase ou la difficulté, et à un moment donné, il y a cette écoute, qui va être de plus en plus là, où je deviens à l'écoute de ce qui se présente.

L'accent n'est pas mis sur ce qui se présente, sur ce que l'on écoute, mais sur le ressenti. Il est normal que la première fois que l'on fait l'expérience du corps vacant, d'une vibration très forte, il y ait une espèce de joie.

On ne va pas s'en vouloir parce que l'on est joyeux de sentir enfin la vibration, mais à un moment donné, il n'y a plus cet élément psychologique, on est dans l'écoute et ce qui est écouté passe au second plan. Le processus d'écoute du corps va de plus en plus refléter la Conscience. 

C'est l'enseignement traditionnel, qui d'abord se fait sur le corps.

Le corps, c'est le symbole de la vie. La relation au corps c'est celle que l'on a avec le monde. La façon dont on traite son corps, c'est la façon dont on traite le monde. L'inconfort du corps, c'est l'inconfort qu'on a avec le monde. Quand le corps va devenir Conscience, le monde va devenir Conscience.

Le monde est une projection du corps. On est en relation avec le monde exactement comme on est en relation avec le corps. C'est très important de rendre ce processus conscient.

~ Éric Baret

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lundi 21 août 2023

Hommage à Kenneth White


Gilles Farcet : Tu m’as écrit un jour, lorsque je t’ai envoyé ma traduction des Upanishads, que tu avais mis en exergue à un manuscrit autobiographique encore non publié la citation suivante :
« Cela est le Tout Ceci est le Tout De la Totalité émerge la Totalité. La Totalité étant issue de la Totalité la Totalité demeure. »
Kenneth White : J’avais utilisé une traduction légèrement différente, mais peu importe… La vie passe, et l’on perd beaucoup de choses. On oublie aussi, et certains éléments sont sans doute irrécupérables. Pourtant, tout demeure présent, quelque part, et l’on peut retrouver cette totalité en écrivant, l’écriture étant une manière de sismographier et de synthétiser.
(extrait d'une interview de Kenneth White par Gilles farcet)


Méditer n’est pas se momifier

c’est le mouvement vif
qui éveille l’esprit
ces vagues
qui se croisent et s’entrecroisent
se gonflent et se brisent
dans cette aube qui point
voilà
le parfait zazen
(Atlantica, p.35)



Je vis à l’estime

et j’écris
mais je n’oublie pas
que du hasard de la vie
du hasard
l’essentiel toujours surgit
(Le grand rivage, p.101)

Kenneth White

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dimanche 20 août 2023

Hommage à Kenneth White


La beauté est partout

même
sur le sol le plus dur
le plus rebelle
la beauté est partout
au détour d’une rue
dans les yeux
sur les lèvres
d’un inconnu
dans les lieux les plus vides
où l’espoir n’a pas de place
où seule la mort
invite le cœur
La beauté est là
elle émerge
incompréhensible
inexplicable
elle surgit unique et nue –
à nous d’apprendre
à l’accueillir
en nous

(Le grand rivage, p.41)

Je suis venu sous les arbres
Leur faire l’amour avec mes mains muettes
Car la beauté se laisse au moins caresser par les sens
J’ai suivi des doigts le noir sur le blanc
Comme un poème inachevé –
Sans cesse interrompu, sans cesse recommencé
(Atlantica, P.17)

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samedi 19 août 2023

Sortir de l'illusion

Se noyer dans l'illusion et tenter de respirer un instant



" Mais ce qui est proprement insensé, 

c’est que le mental considère comme 

le monde véritable celui de sa fabrication, 

qui n’a, je ne le redirai jamais trop, 

aucune existence d’aucune sorte, et 

c’est par rapport à ce monde totalement 

chimérique -tissé d'idées et de pensées-

qu’il se permet de juger le monde réel. » 😇

Arnaud Desjardins

illustration : Jérôme Bosch



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vendredi 18 août 2023

Débutant...

 


« J’aime les commencements, malgré ce qu’ils ont d’angoissant et l’incertitude qui les caractérise tous. Quand j’ai gagné une joie ou une récompense, quand je veux que quelque chose n’ait pas été, quand je veux refuser à un événement le droit d’habiter dans mon passé, je commence, à la seconde même. Quoi donc ? Je commence. J’ai commencé ainsi des milliers de vie. 

Rainer Maria Rilke, Journal de Schmargendorf, in Journaux de jeunesse, traduit par Philippe Jaccottet, Seuil, 1989

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jeudi 17 août 2023

L'esprit d'enfance

 Dans la pratique et le travail sur soi, il est important de retrouver l'esprit du débutant...

Voici des articles du magazine La Vie qui nous parlent de l'esprit d'enfance :




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mercredi 16 août 2023

Vigilance en action

 Pour entrer en contact véritable avec la vie !

"Soyez vif, éveillé, attentif, vigilant à chaque instant dans tout ce que vous faites." 

Swami Prajnanpad


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mardi 15 août 2023

Stratégie de survie


SCENARIOS INTERIEURS ET STRATÉGIE DE SURVIE (extrait du "carnet")

Nos « scénarios » plus ou moins récurrents nous renseignent à propos de notre stratégie de survie ou « points critiques » autour desquels s’est construit l’égo.  


Un élève me parle de sa résistance viscérale à l’autorité. Il supporte mal d’être contraint. Son chef lui demande d’arrêter une tâche pour aller en faire une autre, il n’obtempère pas et est en rage quand l’ordre lui est réitéré… Il me donne ensuite d’autres échantillons anodins témoignant de cette même crispation. Nous en venons à évoquer ses scénarios récurrents, à savoir ces pensées qui se présentent d’elles mêmes et racontent une histoire, ces moments où chacun s’imagine dans telle ou telle situation… Pour lui, ce qui revient souvent, c’est, soit un scénario dans lequel lui même est contraint, soit un autre scénario dans lequel il ne cède pas à la contrainte : une police totalitaire le convoque et lui demande de donner des informations, il refuse et ne cède pas aux pressions … 

L’un comme l’autre scénario l’informent d’un aspect de sa stratégie de survie, autrement dit de son nœud de souffrance : du point de vue de son histoire psychologique, il a certainement beaucoup souffert de se trouver sous le joug de la contrainte : une contrainte non comprise, ressentie à tort ou à raison sur le moment comme arbitraire, non juste et par conséquent refusée. 

Cette contrainte émanant d’une autorité (parent, éducateur) plus forte que lui, l’enfant cède, mais il cède avec un vécu intime de rage impuissante, de révolte et de colère. Cette émotion est éprouvée par lui comme de l’ordre de l’ingérable. Elle lui fait, comme on dit si bien «péter les plombs » ou « disjoncter ». L’intensité est trop forte pour ses circuits intérieurs. En apparence, bien sûr, l’enfant la digère et n’atterrit pas pour autant en psychiatrie. Et cependant, un nœud fondamental est ainsi créé, une crispation primate cristallise. Si bien que, « adulte », il n’est pas loin de péter les plombs si un ordre ressenti comme arbitraire lui est donné par une autorité ayant objectivement un certain pouvoir sur lui. A ce moment là, l’homme pourtant raisonnable et gentil qu’il est se trouve dépassé et devient brièvement comme fou, avec le risque de parfois passer à l’acte (insulter son chef, un voisin, un flic, se mettre en difficulté …) 

Cela, c’est l’émotion à l’œuvre, celle qui se déclenche quand une circonstance excitante comme disait Swami Prajnanpad apparaît. 

Les scénario, eux, procèdent d’une (vaine) tentative de rééquilibrage.


La stratégie de survie a toujours des comptes à régler. Elle cherche constamment à mettre « un point partout. » Je me suis senti contraint, je veux contraindre à mon tour- la  victime fait un excellent bourreau - ou  alors je me fantasme en héros inflexible : cette fois, je ne cède pas, rééquilibrant ainsi l’humiliation passée. C’est cette belle chanson chantée par Johnny Cash , « I won’t back down ». "Je ne plierai pas, je ne reculerai pas. Vous pouvez me mettre aux portes de l’enfer, je ne plierai pas…" 

L’inconscient cherche tout le temps à attirer des situations où il a l’impression qu’il lui serait possible d’égaliser le score. 

Tentative bien entendu vaine et désespérée du point de vue du réel puisque, outre le danger des passages à l’acte mêmes « petits »,  chaque « victoire » éventuellement obtenue suscite un nouveau déséquilibre : si à mon tour je contrains, je crée un vaincu qui va ensuite chercher à se rééquilibrer.  Voir le fameux et terrible épisode du wagon d’Hitler...Voulant laver l’humiliation de l’armistice de 1918, dans lequel l’Allemagne a été mise à genoux, Hitler exige que l’armistice de 1939 soit signé dans le wagon même où prit place le précédent une vingtaine d’années auparavant. 

Pour un pratiquant sérieux, il est important de prêter attention à ces scénarios qui ne sont pas si insignifiants qu’ils en ont l’air et de cesser de les alimenter car en les nourrissant, c’est l’ego et le mental à qui on donne à manger. En ne les alimentant plus, au contraire, j’affame l’ego et le mental, je fais peu à peu se tarir une source d’émotion, plus radicalement et efficacement que toute démarche thérapeutique (ce qui ne veut pas dire que cette dernière soit inutile).

Gilles Farcet

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lundi 14 août 2023

Vous dites...

 Mes chers amis, je partage avec vous une réponse de Ramana Maharshi à une question posée par un disciple. Ramana Maharshi partageait une voie très directe d'auto investigation qui est d'une grande simplicité et d'une efficacité redoutable si l'on veut bien aller au bout de cette investigation.

Avec ma profonde amitié pour vous tous. Philippe Fabri


"Question : On a parfois des flashs d’une conscience, dont le centre est extérieur au moi normal et qui semble tout intégrer. Sans entrer dans des considérations philosophiques, est-ce que Bhagavan ne voudrait pas me dire comment faire pour obtenir, retenir et étendre ses rares flashs ? Est-ce que les exercices spirituels, propres à développer de telles expériences, implique qu’il faille se retirer quelque part ?


Ramana Maharshi : Vous dites « extérieurs » : pour qui y a un intérieur et un extérieur ? Tout ceci n’existe aussi longtemps qu’il y a un sujet et un objet. Si vous cherchez bien, vous trouverez qu’il se résorbe dans le sujet seulement. Chercher qui est le sujet, et cette enquête va vous conduire à la pure conscience au-delà du sujet.

Vous dites le « moi normal » : le moi normal et l’esprit. L’esprit à des limitations. Mais la pure conscience est au-delà des limitations est atteinte par l’investigation dans le «Je ».

Vous dites « obtenir » : mais le Soi est toujours là. Vous n’avez qu’à enlever les voiles qui vous empêchent de le voir.

Vous dites « retenir » : mais une fois que vous avez réalisé le SOI, il devient votre expérience directe, immédiate. Vous ne pouvez plus le perdre.

Vous dites « étendre » : mais il n’y a pas d’extension du Soi, car il est comme il est, depuis toujours, sans contraction ni expansion.

Vous dites « se retirer » : mais demeurer dans le Soi est solitude, car il n’y a rien d’étrangers au Soi. Se retirer veut dire d’un endroit ou d’un état vers un autre. Mais ni l’un ni l’autre n’existe en dehors du Soi. Tout étant le Soi il n’est ni possible, ni concevable de s’en retirer.

Vous dites pratiques spirituelles : mais cela ne sert qu’à empêcher la perturbation de la paix naturelle. Vous êtes toujours dans votre état naturel, que vous fassiez des exercices spirituels ou non. Restez tel que vous êtes en réalité, sans question des doutes, c’est cela votre état naturel."

Extrait de "Sois ce que tu es" Ed. Jean Maisonneuve

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dimanche 13 août 2023

« Le Yoga a-t-il perdu la tête ? »

 « Le Yoga a-t-il perdu la tête ? » en écho à la récente couverture de Télérama (1)


Yoga, Tai-Chi-Chuan, Zen, Kyudo, Kendo, Chado, Shodo, Aïkido ... !

Tout cela est discuté, ressassé, faussé surtout en présentant ces différentes voies de la sagesse comme accessibles et assimilables par la pensée. Aussi bien, ce qui ne peut se révéler que par la pratique d'un exercice devient un objet de réflexion théorique et d'études scientifiques exigeant des mesures quantitatives effectuées, depuis peu, par des spécialistes dans le domaine des neurosciences.

Bouddha, Patañjali, Tchouang-Tseu, Dôgen et autres piliers de la sagesse n'ont vraiment pas eu de chance. À leur époque il n'était pas possible de vérifier leurs dires en les soumettant à l'IRM, au scanner, à l'électroencéphalogramme.

Yoga ... Zen ... Tai-Chi-Chuan ... on se grise de formules abstraites et de grandes théories sans soupçonner combien des expériences qualitatives très concrètes et accessibles à tout être humain peuvent transformer notre manière d'être.

Zen, Yoga, Taï-chi-Chuan, Chado, Shodo, Aïkido sont des voies de sagesse menacées par l'intérêt mal compris qui fait courir vers elles. Apparemment différentes, elles ont en définitive, le même but : la découverte par l'homme lui-même de sa vraie nature et de sa vraie destinée.

Ce projet spirituel, lorsqu'il aborde les côtes occidentales, est le plus souvent réduit à ce qu'on appelle le développement personnel et prend place dans le marché du bien-être. Un marché très lucratif comme le rapporte pertinemment la journaliste Marion Rousset dans un dossier qui fait la première page de Télérama sous le titre : LE YOGA A-T-IL PERDU LA TÊTE ?

Cette question m'incite cependant à en poser une autre : Le Yoga n'a-t-il pas pris trop de place dans la tête de l'homme occidental ?

Yoga, Tai-Chi, ainsi que les disciplines artistiques, artisanales et martiales propres à la tradition japonaise sont des pratiques corporelles. On ne pratique pas zazen en prenant appui sur le mental, la pensée, le raisonnement. Lorsque les chemins de la sagesse sont dévoyés sur les routes du savoir, ils perdent leur substance essentielle et leur projet qui n'est autre que la transformation de la personne qui les pratique.

Il importe lorsqu'un emprunte les voies de la sagesse d'engager ce que Graf Dürckheim désigne comme étant : LE CORPS QUE NOUS SOMMES ("Leib" dans la langue allemande).

Plutôt que de rassembler des textes sanscrits, chinois ou japonais qui donneraient l'impression de vouloir opposer l'esprit occidental et l'esprit oriental, voici quelques anecdotes qui valent davantage que les grandes théories :

— Maurice Béjart, danseur et chorégraphe, raconte ce qu'il a vécu à l'occasion d'un voyage en Inde, dans les années 1950. Il est présenté à un maître de Yoga authentique qui lui pose une question embarrassante : « Quelle est votre danse ? ». (Sous-entendu, quel exercice pratiquez-vous pour nourrir votre quête spirituelle ?)

Ayant regardé Maurice Béjart pratiquer la barre (exercice repris quotidiennement dans le monde de la danse) ce maître dans la pratique du Yoga lui dit : « Si votre mental est libre et votre corps droit mais sans tension, si vous laissez l’exercice vous diriger et non l’inverse, si vous ne désirez rien que l’exercice pour la beauté et la vérité de l’exercice vous avez votre yoga, ne cherchez pas ailleurs. »

Maurice Béjart atteste que depuis ce jour et d'une manière définitive, les exercices de la barre ne furent plus pour lui liés à un style, à une certaine forme de danse. Désormais il voyait cet exercice fondamental comme étant un rituel qui a pour sens la transformation de toute personne qui consacre sa vie à la danse, à toute forme de danse.

La gamme est dans le domaine de la musique ce que la barre est dans le domaine de la danse.

—Dans les années 1950, Graf Dürckheim est en contact avec le pianiste roumain Dinu Lipatti. Le vieux sage de la Forêt Noire raconte : « Pendant une année entière, il a renoncé aux contrats qui l’amenaient à jouer dans le monde entier, afin de consacrer du temps à ce seul exercice : la gamme ! Il me disait, qu’au cours de cette année consacrée à cet exercice fondamental, il avait acquis un toucher duquel émanait un son d’une qualité imprédictible. Je me suis permis de lui dire qu’il me semblait que l’accès à ce toucher n’est pas le fruit de ce qu’on appelle la technique mais l’expression et le témoignage d’un homme —transformé par la technique—.»

— Graf Dürckheim raconte :

Kyoto 1941. Un ami japonais avait organisé pour moi une rencontre avec le maître Hayashi, abbé d'un monastère Zen. Quand l'heure fut venue de se quitter, le maître me dit « Je voudrais vous offrir quelque chose. Une peinture. »

Avec placidité et une grande prodigalité de gestes, comme s'il disposait d'un temps infini —et un maître a toujours infiniment de temps intérieur — l'abbé commença à préparer lui-même son encre. Sa main ne cessait d'aller et venir, jusqu'à ce que l'eau fut enfin devenue noire. Je m'étonnais que le maître fisse lui-même ce travail et demandai pourquoi on ne le déchargeait pas de cette tâche. Sa réponse en dit long : « Par le paisible mouvement de va-et-vient de la main, on devient soi-même tout à fait calme. Tout devient silence. »

Il fut enfin prêt. Assis sur les talons, le front serein, les épaules relâchées, le buste droit et détendu, animé par ce tonus vivant qui caractérise une personne centrée en son centre vital (Hara), d'un geste inimitable, à la fois calme et fluide, le maître saisit le pinceau et, me donnant l'impression qu'il était vraiment lui-même, sans être encombré par la crainte d'un éventuel échec ni la volonté impérieuse de réussir, il peignit la déesse Kannon, déesse de la compassion. C'est pour moi un moment inoubliable.

Lorsque le maître Hayashi me remit la feuille, je le remerciai avec cette question : « Comment fait-on pour devenir un maître ? » Il me répondit avec un sourire malicieux « Simplement, laisser sortir le maître qui est en soi. Oui —Simplement, laisser sortir ... ».

Ce que nous pouvons déduire de ces trois témoignages qui concernent des arts de natures différentes, ce sont l'unité et la conformité des exigences des maîtres de l'exercice, de la technique.

Parmi celles-ci :

— La non participation du mental, de l'usage de la pensée, de la conscience qui objective.

— La manière d'être en tant que corps ! Par exemple, s'asseoir le buste droit et détendu, le front serein, les épaules relâchées ; laissant le corps vivant dans sa globalité et son unité être animé par le souffle qui de lui-même va et vient. Il s'agit en tant que personne d'être centré en son juste milieu, son centre vital, HARA.

— Une pratique sans but. Laisser l'exercice nous diriger et non l'inverse, jusqu'à se sentir libéré du désir de réussir qui s'accompagne de la crainte de l'échec.

— Le renouvellement de gestes simples et fondamentaux (comme le va-et-vient de la main, la reprise des quelques notes qui composent la gamme). Passage de l'esprit d'acquisition ou de performance à l'esprit de création.

— Le rythme qui donne vie au geste. Là où est le vivant est le rythme, là où est le rythme est le vivant.

— Le fait que l'action - la beauté des gestes et leur aboutissement - soit l'expression et le témoignage de la transformation de la personne en chemin.

Les personnes qui viennent et reviennent au Centre Dürckheim ne sont pas soumises à un nombre important d'exercices. Ce qui importe est de découvrir le PRINCIPE qui est la racine de chaque exercice : notre vraie nature, notre être essentiel. Parce que seule la personne en contact avec sa propre essence peut envisager parcourir son existence dans le monde tel qu'il est (et sans attendre qu'il change) dans un sentiment de sécurité.

Comme il s'agit d'un chemin de transformation de la personne, il n'aura de sens que s'il déborde dans notre vie de tous les jours. Dans le quotidien, il y a aussi une barre ou une gamme ! Que notre exercice ait ses racines en Inde, en Chine, au Japon ou ailleurs, à tous moments de notre vie quotidienne, il est une manière d'être être assis, d'être debout, d'être en train de marcher, d'être allongé dont nous devrions nous sentir responsables. Considérer ces “quatre attitudes dignes” (Dogen) comme étant la gamme ou la barre prépare les conditions qui permettent la libération d’une véritable stabilité intérieure et de vivre calmement le moment présent ; ce moment qui est le seul au cours duquel nous vivons réellement.

Le corps, notre manière d'être en tant que corps (IchLeib), devient toujours davantage un champ d'expérience et de réalisation du vrai soi.

Jacques Castermane

1 - Télérama n° 3835, du 15 au 21 juillet 2023
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