La vraie méditation passe par deux échelons. Elle commence par la concentration. Dans la concentration, l'homme se centre en lui-même de par sa volonté et dirige la force de son «moi » vers l'objet de sa méditation. La concentration se fait avec les forces du «moi » qui fixe objectivement, distingue, et veut quelque chose. Dans la concentration, l'homme reste dissocié de l'objet de sa méditation. Cette dissociation se produit soit comme une reconnaissance éveillée de sa propre attitude erronée et des facteurs de dérèglement intérieur, soit comme compréhension et perception clarifiante de l'objet choisi pour la méditation : image, mot, respiration ou quoi que ce soit d'autre. Tout cela se passe dans une tension entre sujet et objet. Sans cette tension, qui fait partie de la concentration, sans cette « focalisation » qui rassemble l'homme tout entier, en soi-même et autour de la méditation, il n'y a pas de méditation ; mais cela n'est pas encore la méditation. La méditation vraie ne commence que lorsque «ce » que le «moi » a saisi s'empare du «moi » et lorsque la dissociation objectivante se transforme en union.
Prenons, par exemple, la respiration comme objet de la méditation : dans cette concentration, nous trouvons l'homme en tant que sujet et la respiration en tant qu'objet, et l'homme éprouve bien la distance entre lui-même, sujet qui observe, et la respiration, objet observé. Et plus la concentration est forte, plus vite viendra le moment ou cette distance disparaîtra : l'homme se sent alors «un » avec la respiration, il se sent plutôt «respiré » que respirant. De ce fait, la forme de conscience passe de l'attitude active, masculine, qui, telle une flèche, se dirige vers son but, à l'attitude féminine, coupe qui recueille et se remplit ; ainsi, sans intervention du «moi », l'attitude active devient attitude passive.
«Méditation » vient de «meditari » qui signifie «être conduit » vers le centre et non pas se diriger vers le centre. Ce centre n'est pas «quelque chose » vers quoi l'homme se concentre, mais «quelque chose » qui concentre l'homme, en le « rassemblant » de l'intérieur, et vers l'intérieur. Ce centre est l'Etre essentiel, le noyau transcendant de celui qui médite et il se ressent, enfin, comme un état dans lequel l'opposition sujet-objet se dissout de plus en plus. Cet état de détente est suivi de la sensation de la «naissance» d'une « forme nouvelle ». C'est ainsi que l'Etre essentiel lui-même fait son entrée dans la conscience et y est senti comme «centre vital » — ancré dans l'Etre — d'une nouvelle «conscience du monde ». L'homme se sent comme nouvellement né.
La transformation dont il s'agit dans la méditation s'effectue selon un processus. L'identification avec le moi existentiel doit être suivie de l'identification avec l'Etre essentiel. Ce n'est que l'intégration du moi existentiel à l'Etre essentiel qui produit «l'articulation » vers le vrai «soi» ; la Personne manifeste l'Etre essentiel dans le moi existentiel devenu transparent.
La méditation n'est donc pas un processus de pensée, mais une transformation de l'homme tout entier. Cette transformation inclut donc aussi la transformation du corps. On comprendra donc que l'objet de la méditation est souvent moins important que la façon de méditer. Toute méditation ne peut vraiment mériter ce nom que si l'on regarde cet exercice uniquement sous l'angle d'un progrès sur la Voie intérieure, et non sous l'angle d'une possibilité de développement d'une faculté extérieure quelconque.
Source : «Pratique de La Voie Intérieure » de Karlfried Graf Dürckheim
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