« C'est une blessure d'enfance qui a changé le cours de ma vie. J'ai souffert d'avoir été abandonné par mes parents tout jeune. Mais il m'a fallu beaucoup de recul pour le comprendre. Deux ans après ma sortie de prison, en 2005, j'avais écrit un livre, Ma plus belle évasion. Si je publie de nouveau le récit de mon parcours carcéral (27 ans de prison, cinq évasions réussies), L'amour m'a sauvé du naufrage, c'est parce que je n'ai plus la même perception de mon passé.
Je sais que derrière ma fuite en avant se cachait une quête d'amour. J'étais blessé car, quand j'avais 4 ans, mes parents m'ont confié à ma tante Germaine, une femme que j'adorais et que je considérais comme ma mère. Ma sœur aînée a atterri chez notre grand-père. Ils ont gardé deux filles avec eux. Malheureusement, ma tante aimante et protectrice est morte d'un cancer quelques années plus tard : j'ai dû retourner vivre avec mes parents et subir la violence de mon père, alcoolique. Un prêtre, l'abbé Zeller, m'a pris sous son aile. C'était mon père de substitution. Il m'a aidé à sortir de ma fragilité et de ma timidité. J'ai officié à ses côtés comme enfant de chœur. Puis nous avons déménagé et j'ai fini par le perdre de vue.
Je suis entré jeune en prison, à 19 ans. J'ai volé des voitures pour aller danser avec Zabeth, ma compagne, la mère de ma première fille. J'étais un peu rebelle mais surtout très immature. Quand j'ai été condamné à 30 mois de prison et 5 ans d'interdiction de séjour dans mon département, je l'ai mal vécu. Je me suis immédiatement placé dans le refus absolu de la peine. On me traitait comme un truand et je m'y refusais. Plus tard, j'ai été arrêté au volant sans permis. Retourner en prison, cela m'était impossible. J'y avais été écrasé, frappé, humilié, notamment par un surveillant en chef – j'en garde des cicatrices au visage. Alors j'ai fui. J'ai braqué des banques. J'ai accumulé les peines, condamné à 25 ans. Repris, incarcéré, j'ai réussi à m'évader plusieurs fois, ainsi en 1986 en hélicoptère de la prison de la Santé, avec ma femme, Nadine, la mère de mes deux autres enfants. J'étais pris dans une spirale infernale, comme en guerre contre la société. Lors d'un braquage, un policier m'a tiré une balle dans la tête, j'ai frôlé la mort. Un médecin m'a sauvé mais je me suis retrouvé hémiplégique. J'ai récupéré seul, en rampant dans ma cellule, sans rééducation.
Parce que je voulais me faire la belle et que j'y suis parvenu cinq fois, on m'a placé en Quartier de haute sécurité (les QHS, interdits sous Mitterrand). Seul et isolé, privé de cette possibilité d'évasion, j'ai eu envie de crever. Puis j'ai compris que mort pour mort, il fallait s'arracher autrement. D'abord j'ai appris l'anglais et l'espagnol et rêvé de voyages. Puis j'ai découvert le yoga, grâce au livre de Philippe de Méric, un pionnier du yoga en France. Pour combattre mon stress, intense, je pratiquais beaucoup le sport, dans la cour de promenade et en cellule. Mais un jour, blessé à la cheville, j'ai dû rester immobilisé sur mon lit pendant deux semaines. J'ai alors repris ce livre. J'avais compris que je pouvais discipliner mon impulsivité avec cette pratique. Là, je suis allé plus loin avec le travail sur la respiration. J'ai découvert un apaisement par le souffle.
Comme dans le roman de Stephan Zweig, le Joueur d'échecs, quand un homme joue contre lui-même dans une cellule, j'ai poussé de plus en plus loin dans le yoga, seul, jusqu'à atteindre un très haut niveau. À la centrale de Lannemezan, dans les Pyrénées, une prison d'où nous voyions le pic du Midi et entendions gronder les orages de montagne, si puissants, un directeur m'a permis d'enseigner le yoga à un groupe de détenus. Certains ne supportaient pas le silence intérieur. Moi, il m'a tout de suite fait du bien. J'avais une prédisposition.
Ma cellule est devenue un lieu monacal. J'ai enlevé le matelas. Je me suis imposé une discipline stricte. Religion veut dire « relier ». Yoga, réunir. Ce n'est pas très loin. Je voulais aller plus loin qu'une gymnastique. Je désirais me battre et pousser très avant. Je me suis imposé un jour de jeûne par semaine. Pour que la nourriture ne soit pas mon maître. Pour que l'on ne puisse plus rien m'enlever. Plus tard, j'ai fait une longue grève de la faim. C'est très instructif, on apprend beaucoup sur soi. Je n'ai accepté ni compromission ni distraction (surtout pas de télévision). Un mantra-yoga, c'est un peu comme une prière : il y a la même utilisation de la fixation de la pensée, qui permet la concentration.
J'ai pratiqué aussi la méditation, qui est le huitième niveau de la pratique du yoga. J'ai appris à être totalement dans la sensation. À faire passer le souffle de la narine gauche vers le poumon droit, par exemple. En projetant l'air sur les glandes olfactives, on arrive à être relié à l'inconscient. J'ai réussi à m'abstraire de mon environnement, à partir très loin, très longtemps. Placé 17 ans à l'isolement, j'ai utilisé cette solitude pour avancer sur ce chemin monastique. Je me suis imposé une hygiène mentale et laissé « coloniser » par le yoga.
Lors de son procès à la cour d'assises de Paris, pour vol avec armes et prise d'otages (27 mai 1991) |
En 1991, j'ai rencontré Jamila, une étudiante en droit. Elle a voulu me voir en prison via le service social. Nous sommes tombés amoureux. Pour avoir essayé de me faire évader, en hélicoptère aussi, elle a été condamnée et a passé cinq ans en prison. À partir de 1995, j'ai accepté, pour elle, de renoncer aux tentatives d'évasion. Je me suis mis à travailler sur des scenarii, et ouvert à l'autre à travers elle. Elle n'est pas parvenue à me faire sortir de taule physiquement, mais elle m'a fait sortir d'une autre prison : celle de ma tête. C'est la seule personne qui a su me faire me remettre en question et quitter les rails sur lesquels j'étais lancé. Pendant des années, nous nous sommes écrit de longues lettres, innombrables. Avec l'écrit, plus de temps ni d'espace. Je me suis engagé à ses côtés avec sincérité, totalement. Nous nous sommes mariés en prison. J'en suis sorti en 2003 – j'ai bénéficié de 16 ans de remise de peine grâce à une loi sur la libération conditionnelle.
Aujourd'hui, nous vivons ensemble vers Fontainebleau, près de la forêt. L'amour, c'est le cœur de tout, c'est mon Graal. Il m'a forcé à dépasser ma petite personne. Jamais je n'aurais pensé parvenir à être ce que je suis aujourd'hui. Un être heureux, qui considère que la vie est un miracle. Ce que je suis aujourd'hui découle de ce que j'étais hier, donc je n'ai pas de regrets. Je ressens un bien-être, j'ai chaud à l'intérieur : c'est la vraie vie. Je ne regarde plus en arrière. Je profite de l'instant présent avec joie. Avec Jamila, nous habitons dans un appartement sans télévision, un objet que nous trouvons infantilisant.
Jamais je n'aurais pensé parvenir à être ce que je suis aujourd'hui. Un être heureux, qui considère que la vie est un miracle.
J'ai toujours aimé la nature. Chaque jour, je vais me promener dans les bois avec notre chien, Marcus, au moins deux heures. Je m'y sens paisible. J'apprécie d'autant plus ces lieux que j'en ai été privé. Je marche sous les marronniers, je lève les yeux au ciel, je vois la lumière, les branches. C'est magnifique.
Depuis ma sortie de prison, j'ai continué de pratiquer le yoga et la méditation. Le yoga fait partie de moi. Tous les matins je me réveille vers 5 h. J'ai besoin de silence et de solitude. Puis, vers 6 h 30, je réveille Jamila. Parfois des amis m'appellent, un peu dépressifs, pour parler. Je leur remonte le moral pendant des heures. Ma seule douleur concerne les enfants. Les miens sont très peu venus me voir en prison. Je ne les ai revus qu'une fois, en 2005, à la sortie de mon premier livre : ils m'avaient entendu à la télé et ont voulu me rencontrer. Après plus rien. C'est un manque de ne pas les voir. Mais quand j'ai quitté l'univers carcéral, j'ai eu besoin de reconstruire ma vie avec Jamila. Je n'ai pas voulu d'interaction entre mon passé et mon présent. J'aurais aimé avoir un enfant avec Jamila, un enfant désiré, mais il n'est pas venu...
Une enfance marquée par sa rencontre avec un prêtre, l'abbé Zeller. Ici, lors de sa communion, en 1963, à Châlons-en-Champagne (Marne) |
Pour être accepté dans sa famille, je me suis converti à l'islam – à une branche soufie, reliée à l'hindouisme. Je suis devenu Abdelnour, qui signifie « esclave de la lumière spirituelle » – c'est moi qui ai choisi ce nom. Mais je n'ai pas vraiment de religion, seulement un chemin de spiritualité. En haut de la montagne, tous les sentiers se rejoignent. Au final, il n'y a qu'un seul Dieu.
J'ai compris, une fois libre, la nécessité absolue d'être en accord avec soi-même. De ne pas s'encombrer la tête avec des broutilles, des petits tracas. On ne sait plus accueillir ce qui nous est offert. On oublie trop le goût des choses. Moi j'ai redécouvert le goût de l'eau. Pour ceux qui en ont à volonté, elle peut paraître insipide. Pour ceux qui en ont manqué, elle a un goût fantastique. Personnellement, j'ai eu très soif. Aujourd'hui, j'aime et je vis pour être sans regret au moment de mourir.
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