lundi 29 février 2016

Empathie, compassion et sagesse avec Matthieu Ricard


Comment faire face aux violences engendrées par les conflits, les attentats, les catastrophes climatiques ? 
Comment réagir et surmonter la peur ? Comment agir concrètement ? 
Toutes ces questions sont posées à Matthieu Ricard, moine bouddhiste résidant au monastère de Shechen, au Népal. 
Il est également photographe et auteur de très nombreux ouvrages consacrés à la vision d’un monde plus juste, plus altruiste et humaniste. 

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dimanche 28 février 2016

Plénitude du regard avec Alexandre Jollien


Alexandre jollien, philosophe et écrivain né en 1975 à Savièse, en Suisse. Son dernier livre, Petit Traité de l'abandon, est paru au Seuil.

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S'arrêter et renoncer à regarder le monde comme un chasseur. Dépouiller son regard, abandonner l'armada d'explications, de commentaires, de comparaisons qui surgit à toute heure du jour, voilà le défi ! Au fond, le chemin du zen et celui de toute vie contemplative nous invitent à écarter les projections, les spéculations, les soupçons et les attentes, pour simplement vivre. C'est que nous nous transformons facilement en chasseurs qui ne savent repérer dans leur champ de vision que les dangers ou alors ce qui les intéresse, du gibier.

Cesser de consommer la vie est un art, un acte de rébellion carrément. Il suffit de se promener cinq minutes dans la rue avec la fringale au ventre pour remarquer que l'univers disparaît pour se réduire bien souvent à un terrain de chasse. Et nous voilà à croupir dans le règne de l'utilitaire, à passer d'un désir à l'autre sans joie. Comment abandonner les ornières de nos attentes, de nos préoccupations pour regarder un peu ailleurs ? Et si nous commencions par nous rendre plus attentifs à ce qui nous environne, qui est relégué bien souvent à l'arrière-plan, c'est-à-dire autrui. Comme un artiste, comme un contemplatif, nous pouvons nous dégager d'une vue par trop étriquée pour considérer gratuitement la plénitude qui se révèle à chaque instant. Tout est grâce, mais la hache de notre individualisme nous isole et nous empêche de comprendre que nous participons à une communauté, que nous recevons sans cesse les fruits d'une générosité infinie.

Nous nous amputons de l'autre, nous nous coupons du monde, de la nature, à trop vouloir suivre nos préférences et en négligeant la vie. Le défi c'est d'apprendre à garder les yeux grands ouverts, à apprécier, sans s'y perdre, chaque détail. Élargissons le champ de notre esprit pour demeurer attentifs à tout ce qui se donne à chaque instant ! Ainsi, dès que je m'enlise dans l'angoisse, la mélancolie ou le repli, je peux rediriger le projecteur vers l'horizon et explorer toute l'immensité du réel, quittant pour un temps les concepts pour percevoir nûment la vie sans moi.

Changer de regard, cesser de me braquer sur mon cinéma intérieur, sur ces bricoles pour vivre pleinement et nourrir de la gratitude à l'endroit de tout ce que je récolte jour après jour. Découvrir la paix, c'est aussi assumer, se réjouir de notre appartenance à l'humanité et habiter à fond l'univers. Et pour cela, il s'agit de faire éclater les étiquettes qui ne nous rendent pas service lorsqu'elles figent, distinguent sans nuances, isolent, réifient la vie et sa richesse. Le rouge d'une tomate, celui d'une flamme ou d'une cerise sont des couleurs d'une originalité inouïe que nous enfermons derrière une commune appellation qui nie la beauté de l'existence. Une autre erreur typique c'est de nous enfermer dans notre individualité. Quelle illusion d'optique nous laisse croire que nous sommes séparés du reste de la nature, que nous valons plus que les autres et quelle liberté de commencer à rompre avec la lutte et cesser d'être un moi-qui-s'oppose-au-monde. S'attacher aux extrêmes, s'enliser dans le dualisme « c'est bien », « c'est mal », « j'aime », « je n'aime pas », c'est renoncer à une vie spontanée, simple, généreuse, ouverte et disponible.

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vendredi 26 février 2016

3ème week-end de carême : poésie avec Philippe Mac Leod,


Bleu Ciel

Bleu des profondeurs infinies, cœur de l’abîme entrouvert, l'autre monde m'apparaît si proche en ces grands espaces baignés d'une lumière insoutenable...


Comme à l'intérieur du jour son noyau inaccessible... Ou sa pointe extrême, qui ne me laisse aucun repos, si fine, si aigüe qu'elle en devient blessante...

Clair, pur azur - traversé de longs vaisseaux au sillage rectiligne, tandis que des frêles balustrades nous retenons du regard les lambeaux de nuages irradiés...

Et la buse ivre d'air et de bleu, ses ailes déployées comme le volant du derviche autour d'un soleil invisible

son cri sur l'azur nu

point mobile, centre fuyant d'un cercle que tu renonces à fermer...

Vif azur - ardeur, grand large, haute mer plus loin que l'horizon, où les pics s'enfoncent comme des finistères, phares foudroyés, écueils asséchés dans l'altitude bourdonnante...

Noir, incommensurable azur - criblé d'étincelles glacées, plus dur que l'outremer, voici que l'envers du jour ranime les vertiges où des astres roulent sans fin, semant dans l'énormité les lueurs de fulgurantes naissances...

Azur tout en équilibre - qu'on approche en se gardant du moindre geste - sans âge ni visage, sans haut ni bas - à même les yeux, dans le ruissellement d'une seule vague, toute la lumière, toute la profondeur des mondes dans les aubes claires et vastes, qui s'avancent loin dans la nuit comme des mains frémissantes... L'âme s'y glisse, lisse et unie, transparente dans le jour sans bord, un seul et large souffle, que dissimule l'étoffe diaphane de l'espace...

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Ce poème (pages 50 et 51) est extrait du recueil "Puissance et mystère" paru aux éditions "Le Castor Astral" en juin 2010.



Alexis Jenni : hommage aux arbres

À sa manière poétique, le Goncourt 2011 revisite ici l'Homme qui plantait des arbres de Giono, en adaptant l'histoire aux enjeux cruciaux du XXIe siècle.

« J'aurais voulu écrire des livres, mais j'ai surtout planté des arbres. Je ne le regrette pas, quand je vois tout ce qui pousse autour de moi ; et je le regrette peu quand je pense à tout ce que je n'ai pas dit. »

Je parlais aux deux jeunes gens qui étaient venus m'interroger. Ils portaient des vêtements d'extérieur résistant aux ultraviolets, des lunettes étanches, mais ici ils avaient rabattu leur capuche sur leurs épaules, relevé leurs lunettes, découvert leur peau très pâle en ouvrant leur combinaison jusqu'au ventre. Nous étions dehors, mais à l'ombre, nous entendions le bruissement de l'oasis géante, la mer de feuillages, l'énorme poumon vert qui grandissait chaque année en recouvrant les rochers, les collines pelées et les vallons secs.

« C'est moi qui ai planté le premier plant. Dans un trou que j'avais fait dans les cailloutis du désert, d'où s'élevait une poussière blanche au moindre coup de vent.

- Vous ? Ils me détaillaient, se demandant si on pouvait en une seule vie créer une forêt.
- Je suis plus vieux que vous ne le pensez. 103 ans, l'âge de plusieurs générations d'arbres, assez pour que le premier soit bien plus grand que moi, pour qu'il porte maintenant ma maison alors que je l'ai tenu dans ma main, avec ses deux feuilles fragiles, sa tige encore transparente, son chevelu racinaire impalpable et avide d'eau.
- C'est lui ?
- C'est un ombrier. Il a un feuillage épais et des branches qui portent loin. Il fait une grande ombre sous lui, il perd ses feuilles, il garde le sol humide. Dans ce désert de cailloux blancs, je l'ai installé comme une pépinière, les autres sont sortis à l'abri.
- Vous lui avez donné un nom ?
- On ne donne pas de noms aux arbres. Ils sont diffus et changeants, ils gardent vivant tout ce qu'ils ont vécu, ils sont chaque année un peu plus grands. Un nom serait trop peu pour dire ce qu'ils sont. Il faut les voir comme une pensée qui se déploie, un livre qui ne finit jamais de s'écrire. Mais c'est bien lui le premier. »

Une averse fouetta les feuillages avec un bruit de minuscules applaudissements, loin au-dessus de nous. Mais pas une goutte d'eau ne nous parvint, juste le bruit et la fraîcheur d'une vaporisation.

« Si vous aviez vu cette région avant : sèche et nue, la caillasse blanche, le ciel toujours bleu, rien d'autre. Maintenant, il pleut à nouveau, un peu chaque jour. La forêt n'est pas spontanée, au sens où elle viendrait comme ça, de nulle part, n'importe où. Ce qui est favorable à la forêt, c'est la forêt, elle se donne à elle-même de l'ombre et de l'eau, elle se nourrit. C'est circulaire, c'est sans début, et si on l'enlève, c'est définitif. Regardez les steppes du Brésil : 100 ans auparavant, il y avait une forêt. Elle ne revient pas. Mais si on relance le cycle, elle ne demande qu'à s'installer à nouveau. »

Je leur ouvris la petite boîte que je prépare quand on vient m'interroger. Je leur fis voir l'humus, je leur en montrai une poignée. C'était noir et humide, désagrégé, cela sentait fortement le champignon et cela grouillait de façon à peine perceptible.

« Je n'aime pas les pays secs. C'est sinistre, les paysages de cailloux : on dirait des os saillants. Alors ce désert qui entourait Marseille, je l'ai recouvert de chair. Et maintenant, elle s'entretient toute seule, et s'agrandit. »


Je remplis la boîte de brindilles et de feuilles, et la refermai. Passa un groupe de récoltants, qui portaient chacun leur hotte et leur coupeuse à main. Ils récoltaient les fruitiers, les fibriers, les boisiers, les tubiers, les plastiquiers, les nuxiers. La récolte est permanente, échelonnée sur les centaines de kilomètres de la forêt. Il y a des arbres anciens, des améliorés et des tout nouveaux.
« Bilal ! »
Il s'approcha, salua mes hôtes, posa sa hotte à moitié pleine.
« Que puis-je pour toi, vieil homme ?
- Dis leur ce que tu récoltes aujourd'hui. »
Bilal est vraiment grand, et la tête penchée, dans l'ombre à contre-jour, je distingue mal ses expressions. Mais je sais toujours quand il sourit. J'abuse un peu du respect dû aux ancêtres, je reçois assis au pied de mon arbre premier, mais je suis quand même le plus âgé des habitants de la forêt. Il leur montra des noix d'huilier, des fruits lourds et lisses comme des savons, qui laissent des traces grasses sur les mains, exhalent un parfum d'hydrocarbures volatils.
« Ça se mange ? », grimacèrent-ils.
Bilal sourit, il avait l'habitude d'expliquer les fruits à ceux qui arrivaient dans la forêt, chaque jour des centaines de réfugiés urbains qui s'installaient dans l'ombre odorante.
« C'est pour la raffinerie. Nous faisons ce qu'on faisait avec le pétrole, avant qu'on le brûle.
- Montre-leur », dis-je en faisant le signe d'un rectangle avec les doigts.
Il leur montra sa tablette, la carte où était noté chaque arbre de la forêt, chacun identifié, chacun indiquant sa production et son état de maturité. Une ligne indiquait le trajet optimal pour remplir sa hotte et la rapporter à la raffinerie. Chacun avait son trajet. S'il ne finissait pas, il terminerait demain.
« Ce n'est pas un peu... rural ?
- C'est pire, leur répondis-je en souriant. C'est forestier. C'est un bond en arrière de 10 000 ans, ou bien un bond en avant d'un siècle.
- Avec votre forêt, vous pensez nourrir et loger les 5 millions de personnes entassées dans Marseille ?
- Personne ne vivait dans les champs, les garrigues, les pierriers désolés. Tout était nu. Maintenant, nous sommes beaucoup à vivre entre les arbres. Avant, on nourrissait les gens avec ce qui poussait dans des champs, on les vêtait avec ce qui poussait dans d'autres champs, et maintenant nous avons un champ immense à six ou dix étages qui produit tout en continu, sans jamais s'épuiser.
- Le rendement est faible, mais on n'est pas pressé. Il ne nous faut pas grand-chose. Tout le monde est pauvre ici, pauvre de la même façon, mais abrité, nourri et entouré. »
Quand furent écoulées les questions habituelles, j'ouvris à nouveau la boîte. L'humus avait gonflé, les brindilles et les débris avaient disparu, ça bougeait.
« L'humus a doublé de volume, murmurèrent-ils.
- L'humus-monstre grandit jour et nuit. Nous utilisons les processus naturels, en les optimisant un peu. La nature est le grand développeur : en 4 milliards d'années, elle a eu le temps de tout inventer. Mais en disant elle, on se trompe : elle ne fait pas exprès, elle ne pense pas, elle n'est personne. Il y a des inventions oubliées, ou qui ne sont pas au bon endroit, des approximations. Il suffit d'un coup de pouce pour améliorer tout ça. Le végétal n'a presque besoin de rien ; de la lumière, on n'en manque pas, du gaz carbonique, l'air en est plein, et pour l'eau, les mangroviers la pompent dans les calanques. Quant aux minéraux, les bactéries rongent les roches et capturent l'azote de l'air. »
Je fermais la boîte, la leur tendis.
« La forêt va encore grandir, elle peut abriter des millions d'hommes, allez le dire. »

À mon grand âge, je fais le malin sous mon ombrier ; mon rôle est de recevoir les incrédules. »




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> Alexis Jenni, Goncourt 2011 pour l'Art français de la guerre, a été professeur de SVT. Derrière les processus chimiques qui permettent à l'utopique forêt littéraire de pousser dans cette nouvelle, on devine les connaissances pointues de l'agrégé de sciences naturelles... Son dernier roman, la Nuit de Walenhammes, est paru chez Gallimard.



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jeudi 25 février 2016

L'arbre... par Krishnamurti et Arnaud Desjardins


Nous n’observons jamais profondément la qualité d’un arbre;
nous ne le touchons jamais pour sentir sa solidité, la rugosité de son écorce, pour écouter le bruit qui lui est propre.
Non pas le bruit du vent dans les feuilles, ni la brise du matin qui les fait bruisser, mais un son propre, le son du tronc, et le son silencieux des racines.
Il faut être extrêmement sensible pour entendre ce son.
ce n’est pas le bruit du monde, du bavardage de la pensée,
ni celui des querelles humaines et des guerres,
mais le son propre de l’univers.

Krishnamurti


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"La graine n'attend rien, elle aspire simplement à la croissance vers l'arbre qu'elle porte en elle, vers l'arbre qu'elle est déjà. Cette aspiration n'est pas provoquée par quoi que ce soit, elle s'accomplit spontanément, elle est l'être même de cette graine. Une personne unifiée est comme cette graine, rien ne lui manque, elle est déjà complète, et aspire naturellement à se manifester en tant que son propre "arbre", sa propre complétude. Cette aspiration est une respiration de l'Être..."

«Si vous rajoutez des pierres et de plus en plus de pierres à un petit tas de pierres, un petit tas de pierres devient un énorme tas de pierres. Mais ce n'est pas une croissance, c'est une accumulation. Tandis qu'un petit arbuste devient un chêne immense : c'est une croissance.» 

 Arnaud Desjardins



mercredi 24 février 2016

Sortir de l'impasse avec Nicolas Hulot


Phytospiritualité vous propose des extraits choisis de l'émission "Pardonnez-moi" avec Nicolas Hulot.

Une réflexion plus profonde sur notre monde : humilité, sobriété et solidarité 





____________"Dieu est visible dans la beauté de la nature."___________






mardi 23 février 2016

Christophe André : "Même laïcisée, la méditation nous ramène à la spiritualité"

Christophe André est médecin-psychiatre à l'hôpital Saint-Anne, à Paris, spécialisé en traitement et prévention des troubles émotionnels. Il a écrit de nombreux best-sellers.

« La méditation est une très vieille pratique, tant en Orient qu'en Occident. Mais ce n'est que depuis peu que la science a validé son intérêt dans le domaine de la médecine et de la psychologie. De pratique spirituelle et religieuse au départ, la voilà donc devenue, laïcisée et codifiée, outil de soins. Nous pouvons nous en réjouir : l'étendue des souffrances humaines est vaste, et toute nouvelle approche susceptible de les réduire est la bienvenue. Mais pour notre part, depuis que nous avons introduit dès 2004 à l'hôpital Sainte-Anne nos thérapies de groupe par la méditation, nous assistons de manière régulière à un phénomène étonnant : malgré cet usage strictement thérapeutique, malgré notre discours laïque, nous voyons régulièrement émerger, au sein de cette pratique, des moments de spiritualité chez nos patients.

Ainsi, il est fréquent que ces derniers nous parlent de ressentis indicibles qu'ils ont pu éprouver en méditant, d'expériences de fusion et d'appartenance, profondes et sans mots pour les décrire, au monde qui les entoure. De vécus d'apaisement allant au-delà de la simple suspension de leurs souffrances. De sentiments de redécouverte de leur esprit et de leur corps (car la méditation est grandement à l'écoute du corps), mais aussi de leur âme. Finalement d'expériences de vie spirituelle, tout simplement !

Il y a là quelque chose de touchant bien sûr, mais aussi d'étonnant : laïcisée, codifiée, scientificisée, instrumentalisée, mise au (noble) service de la médecine et du soin, voilà la méditation qui, naturellement, revient vers ses racines spirituelles et y ramène ses pratiquants réguliers. Voilà qu'après avoir été un remarquable outil qui les a aidés à marcher sur chemin de cendres de leurs souffrances et détresses, elle devient une compagne de route sur la voie de leurs interrogations existentielles. Voilà qu'après les avoir affranchis de la souffrance, elle les ouvre à leur vie intérieure et à ses mystères. Comme une boussole revient toujours vers le nord, la méditation, même laïcisée, même originellement pratiquée pour s'apaiser (en termes de souffrances) ou s'enrichir (en termes de capacités mentales, de maîtrise, de lucidité), nous ramène toujours vers la spiritualité.

La spiritualité, c'est tout simplement l'attention, le respect, l'humilité accordés à la vie de l'esprit, perçu comme chambre d'écho du monde, visible ou invisible. Non pour le maîtriser, cet esprit, non pour l'asservir, en faire un outil au service de nos ambitions, mais pour observer, s'incliner, recueillir, contempler, se tourner vers les mystères de la vie sans la certitude de réponses claires. Je crois avoir lu un jour cette remarque attribuée au dalaï-lama : « Nous pouvons nous passer de thé, mais pas d'eau. Tout comme pouvons nous passer de religion, mais pas de vie spirituelle. » La spiritualité peut parfaitement se vivre de manière laïque. Et aussi conduire à une qualité accrue de notre foi si nous sommes croyants. C'est pourquoi de nombreux croyants viennent aujourd'hui à la méditation : car la seule foi ne suffit pas à guérir (elle est là pour sauver, pas pour soigner). Et ils s'en retournent ensuite enrichis, apaisés, vers leur religion : car la seule méditation ne suffit pas à pleinement les nourrir... »


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lundi 22 février 2016

dimanche 21 février 2016

L'amour heureux avec Philippe Mac Leod


Nous sommes si sincères dans nos sentiments, et toujours généreux. Mais on ne le remarquera jamais assez, en réalité, nous ne sommes guère dans l'amour : plutôt dans la main portée vers l'objet du désir, le fruit derrière le mur, l'arête brillante du sommet tout proche, jamais dans la lumière extasiée de l'être aimé, son rayonnement paisible, l'étendue de son pouvoir pacifiant, absorbant l'impatience comme la déception, le ressentiment comme l'esprit de conquête.

On veut. On n'aime pas, on veut. L'amour véritable, l'amour entier est libre de tout, et d'abord de lui-même. Il engendre le dégagement. Il trouve sa joie, son équilibre, sa plénitude, dans la grâce qui le suscite, le miracle du visage contemplé et plus encore la lumière étrange qui le fait à nul autre pareil. Il y a toujours du bonheur à aimer et à tout amour sans doute manque-t-il cette grâce du détachement que l'amour seul peut garantir.

Un tel amour ne sera jamais malheureux. Qu'on lui réponde ou qu'on l'ignore, qu'on l'accueille ou le dédaigne, il reste l'amour et ne cesse d'aimer dans l'émerveillement d'un sentiment toujours neuf transformant tout à mesure qu'on s'y abandonne. Les bras peuvent demeurer vides, le cœur, ne jamais recueillir la consolation d'un mot rassurant. L'amour est véritablement un autre monde qui commence de l'autre côté de soi. Bien sûr, on aime avec soi, à partir de soi, mais toujours plus loin que soi et jamais dans les retours troubles de la captation. Le désir lui-même, d'abord contrarié, se laisse dilater, attendrir, remodeler dans une chair qui s'élargit et devient tout entière la clarté bleue de l'amour qui l'anime.

L'amour n'attend rien : il est déjà arrivé. Il est en lui-même un accomplissement. L'être aimé y trouvera alors sa place parce que tout est pour lui et rien ne dépend de lui. Et s'il s'absente, il sera toujours là, parce que l'amour vérifié, l'amour que rien n'éteint, l'amour qui dure et brûle de sa propre flamme, l'amour épuré recrée sans cesse le corps absent : il en a la beauté tranquille, l'éclat d'au-delà des passions, la certitude des choses qui s'imposent par leur profondeur plus que par la force des apparences.

On s'accomplit d'amour, par sa vie propre, dans le rayonnement inattendu et l'espace inédit du simple fait d'aimer. Et s'il arrive qu'on s'en écarte, si l'on glisse insensiblement dans la logique implacable du complément d'objet, il n'y a plus, en toute pureté de terme, cette onction d'amour si reconnaissable à son amplitude, sa largeur de vue engendrant la paix du coeur. On en sort chaque fois qu'on se place dans un rapport, un vis-à-vis, avec ses visées, ses attentes secrètes, ses calculs, ses heurts ou ses caresses dont la satisfaction a perdu le bonheur inimaginable de l'oubli de soi.

Il n'est jamais trop tard pour insuffler un peu d'idéal dans les rouages qui activent nos nerfs, pour changer en vin de noces les eaux de nos trop familières réjouissances, ce vin qui vient après, tout à la fin, quand on a épuisé les ivresses éphémères, celui qu'on peut enfin goûter parce qu'on connaît trop bien ce qui continue à fermenter dans les vieilles cuves.

Avant de ressusciter, le Christ est descendu aux enfers. Avant de changer la vie en Vie, de nuit il est descendu au noir de nos cœurs, forçant tous les verrous, vidant l'armoire des procès, débusquant l'insolite cachette, et raclant la chair, incisant le mauvais rêve, le lourd sommeil, la maladive paresse, aspirant jusqu'à la dernière goutte d'humeur et tirant de chaque plaie la chaude rougeur des aubes nouvelles.

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Philippe Mac Leod, écrivain et a publié plusieurs livres et recueils de poésie. Son dernier ouvrage, Poèmes pour habiter la terre est paru chez Le Passeur.


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samedi 20 février 2016

Deuxième week-end de Carême : Prière de Sainte Thérèse

La mission de Thérèse

À 14 ans, Thérèse voulut devenir religieuse, mais était bien trop jeune. Au lieu de se résigner, elle décida son père... à l'emmener à Rome pour obtenir l'autorisation du pape ! 
Pourquoi l'Église nomma patronne des missions une carmélite, décédée à 24 ans ? Parce qu'elle portait le monde entier dans son cœur : le criminel Pranzini, un missionnaire pour qui elle marchait dans sa minuscule cellule, etc. 
Elle a ainsi tracé une « petite voie » vers le Ciel, qui consiste à vivre l'ordinaire de façon... extraordinaire.




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vendredi 19 février 2016

La lumière empathique de Christian Bobin




L’empathie c’est, à la vitesse de l’éclair, sentir ce que l’autre sent et savoir qu’on ne se trompe pas, comme si le cœur bondissait de la poitrine pour se loger dans la poitrine de l’autre.

C’est une antenne en nous qui nous fait toucher le vivant : feuille d’arbre ou humain.
Ce n’est pas par le toucher qu’on sent le mieux mais par le cœur.
Ce ne sont pas les botanistes qui connaissent le mieux les fleurs, ni les psychologues qui comprennent le mieux les âmes, c’est le cœur.
Le cœur est un instrument d’optique bien plus puissant que les télescopes de la Nasa. C’est le plus puissant organe de connaissance, et c’est une connaissance qui se fait sans aucune préméditation, comme si ce n’était plus nous qui faisions attention à l’autre, comme s’il n’y avait plus qu’une attention pure et bienveillante fondée sur la connaissance de notre mortalité commune.
Ce qui est très curieux, car qui est-on à ce moment-là ?
Toute sagesse qui vient dans le carcan d’une méthode est dépassée par le cœur.
Ce moment qui foudroie toutes les carapaces d’identité, qui saute par-dessus l’abîme qui me sépare d’autrui et où le cœur de l’autre est deviné jusqu’en ses moindres battements, donne la plus grande lumière possible sur l’autre.
Dans l’empathie, on peut prendre soin d’autrui comme jamais il ne prendra soin de lui-même, par une attention tendue comme un rai de lumière, mais il n’y a aucune emprise psychique sur lui.

C’est l’art double de la plus grande proximité et de la distance sacrée.

— Christian Bobin, La Lumière du monde


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jeudi 18 février 2016

L'éveil à la bénédiction avecDouglas harding


"C'est un jardin banal mais quel jardin !"

Voici la vision phytospirituelle du monde,
juste entrer en notre éden, ici présent :






mercredi 17 février 2016

Qui suis-je au centre ? avec Richard Lang

Qui suis-je au centre ? 
 Qui regarde en moi? 
 Cette video de Richard Lang se propose de répondre à ces questions, 
de manière simple, directe et profonde. 
 Richard Lang est un ami anglais qui a été pendant de longues années un proche de Douglas Harding. Il partage aujourd'hui l'enseignement de la vision sans tête dans des stages en Angleterre et ailleurs.



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source : Blog de José Le Roy

mardi 16 février 2016

Des villages sous pesticides... notamment le glyphosate.


Un voyage en Argentine pour voir les dégâts de l'agriculture moderne (ogm et herbicides)



"Qu'est ce qu'ils veulent ? Tuer tous le monde  ?"
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lundi 15 février 2016

Alexandre Jollien : « Au fond du fond, demeure une part toujours indemne »


« Reposer dans cette paix immense, c’est mourir de la grande mort pour renaître plus vivant, neuf. J’ai longtemps cru que seuls les saints et les sages y avaient droit. Mais l’ascèse est peut-être beaucoup plus simple qu’elle ne paraît. Cent fois par jour, je peux m’exercer à mourir au petit moi, à laisser un peu de côté le monde des idées. 

Le silence, comme la nature de notre esprit, ne peut être souillé. On peut gueuler, lui balancer les pires injures, rien ne saurait le troubler. De même, au fond du fond, demeure une part toujours indemne, qu’aucun coup du sort ne peut esquinter. Chacun d’entre nous, aussi blessé soit-il, peut déménager, descendre dans cette joie. »

dimanche 14 février 2016

Car aime ce temps...

Les temps d'émerveillement
Ce sont ces moments où nous prenons conscience que nous formons un seul corps, que nous nous appartenons, que Dieu nous a appelés à être ensemble pour être une source de vie les uns pour les autres et pour d’autres. Ces temps d’émerveillement deviennent célébrations.
Jean Vanier, Communauté lieu du pardon et de la fête

A méditer... avec Etty Hillesum


« Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois, je parviens à l'atteindre. Mais, le plus souvent, des pierres et des gravats obstruent ce puits, et Dieu est enseveli. Alors il faut le mettre au jour. »

« Notre unique obligation morale : c'est de défricher en nous-mêmes de vastes clairières de paix et les étendre de proche en proche, jusqu'à ce que cette paix irradie les autres. »

« Il m'arrive de me demander ce que tu veux faire de moi, mon Dieu. Peut-être cela dépendra-t-il de ce que je veux faire de toi. »

« Si Dieu cesse de m'aider se sera à moi d'aider Dieu. (...) Il m'apparaît de plus en plus clairement, à chaque pulsation de mon coeur, que tu ne peux pas nous aider, mais que c'est à nous de t'aider et de défendre jusqu'au bout la demeure qui t'abrite en nous. »

Extraits d'Une vie bouleversée, d'Etty Hillesum.

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samedi 13 février 2016

Premier week-end de Carême : S'asseoir



«  Qui de vous, s’il veut bâtir une tour,
ne commence par s’asseoir ? […]
Quel est le roi qui, partant en guerre,
ne commencera par s’asseoir ?  »
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Avant de partir à la guerre ou de construire une tour, dit Jésus, dans deux petites paraboles, commence par t’asseoir. Pour mieux peser la décision à prendre.
Peut-être est-ce ce qu’il nous faut faire, là, aujourd’hui, en ce début de carême. Pourquoi se lancer dans une démarche de retraite ? Jésus nous invite dans l’évangile de ce mercredi des Cendres à vivre ce temps sous le signe du partage, de la prière et du jeûne. C’est concret. Pourquoi y aurait-il besoin de faire plus ?
Pourquoi prendre un temps quotidien de retour sur soi en suivant cette retraite ?
Eh bien, d’abord parce que ce retour sur soi est avant tout un retour vers ce Dieu que Jésus nous invite à découvrir comme son Père et notre Père. Notre retraite n’est donc pas une invitation à se recueillir, mais à accueillir. Quel sens cela aurait-il de faire l’aumône si je n’accueille d’abord celui ou celle qui me tend la main ? De prier si je n’accueille pas le Dieu qui vient faire sa demeure en moi ? Et de jeûner si je ne m’accueille pas moi-même, dans une démarche de réconciliation souvent nécessaire et même urgente, avec ce que je suis.

On mène souvent une vie de fou. Entrer dans une démarche de retraite, c’est prendre le temps de se poser, de faire silence, de se mettre à l’écoute de sa parole. Une parole pour me découvrir ou me redécouvrir. Non seulement homme ou femme à la dignité unique et incomparable, non seulement croyant en Dieu. Mais redécouvrir que je suis aimé de Dieu. Avec tout ce que je suis, avec tout ce que je fais ou ne fais pas, je suis aimé. Comme ça. Gratuitement. Inconditionnellement. Aimé. Bien aimé.
Quels que soient les déserts de ta vie, c’est maintenant le temps ; « Entre et ferme la porte derrière toi !* » Assieds-toi et entends la voix du Seigneur te murmurer : « C’est la miséricorde que je veux ** ».  

Ta retraite a commencé. Bonne route.


* Évangile selon saint Matthieu, chapitre 6, verset 6.
** Livre d’Osée, chapitre 6, verset 6.

_______________Frère Jean-Luc-Marie Fœrster________





vendredi 12 février 2016

Vie des affaires et vie spirituelle : entretien avec Daniel Roumanoff (3)

 — Swami Prajnanpad demandait d'aller jusqu'au bout de ses désirs pour les accomplir, pour ensuite, par delà le désir, découvrir l'état sans désir ?

Oui, c’est pas l'expérience du désir qu’on arrive au non-désir, et non pas en plaçant celui-ci au départ. On trouve beaucoup d’anecdotes qui montrent cela dans les Upanishads. Je pense à Yajna-valkya, considéré comme le plus grand sage de son époque. Il était marié, avait deux femmes, un serviteur et ne dédaignait pas du tout les richesses matérielles, comme le montre l’épisode où il s’empare des mille vaches du roi Janaka. II vivait au milieu de choses, au milieu du monde, dans le flux de la vie avec tous ses aspects. Et c’est ainsi qu’il a grandi, qu’il est arrivé au détachement. C’est le détachement par les affaires.

 — Nous arrivons à la troisième phase de votre vie : la création de votre entreprise.

 J’étais très inquiet au départ. Je pensais n’être pas doué pour ce métier et je pensais aussi que le monde des affaires n’était peuplé que de requins malhonnêtes qui allaient constamment chercher à me tromper. J'ai donc commencé en m’associant avec des amis de mes parents, qui me paraissaient être des hommes d’affaires chevronnés. Mais en quelques mois je me suis rendu compte de mon erreur, car justement ils avaient par trop ce qu’on appelle « le sens des affaires ». Je vais vous donner deux exemples. Grâce à mes contact avec l’Inde on importait des foulards indiens. Il y avait une grosse demande, mais les Indiens livraient toujours en retard. Alors mon partenaire a voulu qu'on commande dix fois la quantité de nos besoins réels, qu’on prenne livraison de la petite quantité qui arrivait dans les délais prévus, et qu’on refuse le reste sous prétexte que c’était au delà des délais. Juridiquement, il n'y avait rien à redire. Mais j'avais établi des relations de confiance avec les Indiens et je savais qu'ils auraient un mal fou à récupérer la marchandise refusée. Problèmes de douanes, de devises, etc. Mon associé ne voulait rien entendre de cela. Il fallait profiter au maximum, gagner au maximum, sinon c'est nous qui nous ferions avoir. Moi, j'étais un idéaliste, un rêveur... Deuxième anecdote. Certaines marchandises arrivaient défectueuses. Alors quand les clients venaient acheter, mon associé montrait les bons produits puis, la commande passée, bourrait le fond du carton des mauvais produits qu'il recouvrait des bons. C'est une pratique courante, qu'on retrouve souvent sur les marchés. Moi, je trouvais cela scandaleux, et je ne pouvais pas continuer à travailler comme cela.
Nous nous sommes donc séparés et j’ai créé une autre société faisant le même commerce. Pour eux, je vivais dans les nuages, sans le minimum de réalisme nécessaire à la réussite dans les affaires.
Pour moi, ce n’était pas en trompant constamment les gens qu’on pouvait réussir. On se surveillait mutuellement pour savoir lequel était dans le vrai, et voir ce qui allait se passer. Dès ma première année, mon chiffre d'affaires a été le double du leur. Puis, nos deux chiffres ont augmenté mais le mien restant toujours double du leur. Je n’étais donc pas aussi inefficace qu'ils croyaient, et on pouvait réussir en étant honnête. Mais également, et cela me troublait, leur réussite montrait qu’on pouvait aussi réussir en étant malhonnête. Puis je me suis rendu compte que « qui se ressemble s’assemble ». Ils avaient tellement peur d’être trompés qu’ils discutaient les prix à mort, que les fournisseurs étaient obligés de tellement baisser les prix qu’ils fournissaient une qualité inférieure, qui finalement ne satisfaisait pas vraiment les clients. Ceux-ci vendaient donc moins volontiers ces produits, et en conséquence avaient du mal à les payer. Ayant beaucoup d’impayés, mes anciens amis en concluaient que « les gens étaient malhonnêtes », et la boucle était bouclée. Leurs résultats, leur expérience confirmaient leur philosophie de départ. Cela a duré pendant douze ans puis ils ont fait faillite. Ils ont pensé faire un gros coup en trompant quelqu’un, mais il y avait un piège et c'est eux qui sont tombés.

 En appliquant des principes d'honnêteté je me suis rendu compte que cela fonctionnait très bien. Il y a une histoire concernant Birla, que j'aime beaucoup. Il avait appris qu’un des ses employés venait de donner sa démission. Très surpris, il avait demandé une enquête. "Comment pouvait-on quitter son entreprise alors qu'elle donnait des conditions de travail supérieures à tout ce qu'on pouvait trouver ailleurs ? " Par cette histoire j’ai compris que dans les relations avec le personnel l’élément déterminant était sa satisfaction, le sentiment de son propre accomplissement. Le salaire joue un rôle mais n’est pas tout. De la même manière qu’au travers de l’entreprise je cherche mon propre épanouissement, les employés, les fournisseurs, les clients cherchent eux aussi à travers leur travail leur propre épanouissement. Donc pour obtenir quelque chose de quelqu’un, je dois essayer de le satisfaire. Satisfait, en profondeur, il sera à son tour prêt à tout faire pour me satisfaire. C’est à l’opposé de ce qu’on dit du monde des affaires : chacun pour soi, croc-en-jambe chaque fois que possible, jouissance de la chute de l’autre. Ma préoccupation essentielle a été de trouver où se situait l’intérêt de l’autre, et de chercher à le satisfaire.

 — D'une façon pratique, comment arrivez-vous à connaître l’intérêt véritable d’une personne et comment le satisfaire ?

J’ai fait du recrutement, pour lequel j’ai passé des milliers d’entretiens. Et j’ai constaté qu’il y a très peu de gens qui recherchent un travail, c’est-à-dire dont l’activité dans la profession est la motivation première. La plupart recherchent un revenu et donc demandent combien on va les payer, quels sont les avantages sociaux, quelle est la période des vacances. Ils sont préoccupés de ce qu’ils vont recevoir, non de ce qu’ils vont donner. Dans l’entretien il y a une sorte d’explicitation de ce que l’on veut et de ce que l’on attend, des deux côtés. Et cela correspond ou non. On peut être d’accord au départ, il restera à voir ensuite si cela continue et si le travail correspond à ce que demande l’épanouissement de la personne. Cela ne dure pas forcément toute la vie, mais à chaque instant on doit avoir plaisir à travailler, on doit faire une expérience enrichissante. Le travail est un mode d’expérience et d’élargissement qui doit nourrir, indépendamment du gain pécuniaire. Mais chacun a son tempérament. Il y a des gens qui sont comptables et ne veulent être en rapport avec personne ; ils sont enfermés dans leur bureau et sont heureux avec les chiffres. D’autres au expression et de réussir dans cette expression là. Que je connaisse ce que fait le concurrent c’est normal, mais utiliser cette information pour le copier, c’est une manière de régresser. En faisant cela je ne suis pas fidèle à moi-même. Comme il est dit dans la Gita : « Mieux vaut son propre dharma que le dharma d’un autre, aussi bien accompli soit-il. » Mon propre dharma, c’est ma propre expression. Quand je suis dans ma propre expression je suis dans mon assise, dans mon centre. On ne peut pas me bousculer, je suis en paix avec moi-même. 

— A l'heure actuelle les marchés deviennent petits par rapport aux puissances de production. Il s'en suit une sorte de guerre pour le contrôle d'un marché.
Je ne crois pas que le problème se pose de cette façon là. Il n’y a pas qu’un seul marché et les produits peuvent se diversifier. Une entreprise fabrique un produit parce qu'elle y trouve du plaisir et aussi parce qu’il existe un public qui est dans la même demande. J’ai remarqué que lorsqu’il y avait une fidélité à soi-même, il y avait toujours un groupe de gens suffisamment grand, sensible à ce que vous proposez pour faire vivre le produit. Il y a un rapport entre le marché, le produit et l’attitude d’ouverture par rapport à ce que l’on fait. Cela demande une certaine habileté, toujours une connaissance. Une disponibilité aussi, car il y a une évolution permanente, et donc une nécessité d’adaptation permanente. 

— Je pense à cette phrase bien connue : « Le yoga c'est l'habileté dans l’action ». 
Absolument. C’est quelque chose qui nous éclaire sur les rapports entre l’action dans le monde, la vie des affaires et la spiritualité. L’habileté vient de la connaissance, de l’expérience. Elle ne s’invente pas. On n’est pas habile d’emblée. En Occident on parle de bonheur et de malheur. En Inde on a les mots sukha et dukha. Etymologiquement, ka c’est la roue du chariot, su c’est bon, du c’est mauvais. Il faut bien sûr se rappeler que les Aryens sont arrivés en Inde avec des chariots tirés par des bovins. Le bonheur c’est la roue qui tourne bien. Et pour qu’une roue tourne il faut qu’elle soit bien ajustée ; il faut surtout qu’elle soit bien dans l’axe. Être dans l’axe, j’appelle cela l’éthique. Cette adaptation permanente au monde qui change vous met dans le sens de l’énergie, et cela procure le bonheur. Quand on recherche cet axe, on s’aperçoit toujours qu’on est un peu à côté. Il faut alors rectifier, ajuster. On regarde, on apprend, on est en contact, on fait l’expérience. Je me suis beaucoup amusé dans les affaires !

Pour aller plus loin :
□ Daniel Roumanoff a raconté ses rencontres en Inde dans CANDIDE AU PAYS DES GOUROUS Dervy-Editions

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jeudi 11 février 2016

Vie des affaires et vie spirituelle : entretien avec Daniel Roumanoff (2)


— Et ce fut le début d’une nouvelle phase de votre vie...

Oui, cette prise de conscience s’est appuyée sur la pratique du Hatha Yoga, qui a eu pour moi des effets absolument extraordinaires. Je me suis, par la suite, beaucoup interrogé sur la force transformatrice de ces exercices. J’avais comme des pans de structure mentale qui tombaient les uns après les autres. J’étais alors plus ou moins athée ou agnostique, rationaliste et matérialiste. J’ai commencé à percevoir qu’il y avait une autre réalité possible.

— Du Hatha Yoga vous êtes passé à l'Inde où vous avez rencontré Swami Prajnanpad : c’est une partie de votre vie que vous avez raconté dans vos livres. J'aimerais en venir à ce qui, de votre immersion dans la pensée de l’Inde, vous a conduit à vous lancer dans les affaires.

L’enseignement de Swami Prajnanpad était très opposé à la séparation entre un monde matériel et un monde spirituel. Il n’v a qu'un seul monde. Cette division entre le relatif et l'absolu était pour lui une erreur. Il y avait là une dualité qui devait être surmontée pour arriver à l'absolu. Le travail ne s’effectue pas par un retrait du monde, par un renoncement au monde, mais par une prise de possession du monde, par une connaissance du monde, par lesquelles ensuite on devient libre du monde.

Par ailleurs, il enseignait une voie qui passait par l'expérience des choses, et donc par la satisfaction des désirs. Il insistait beaucoup sur la notion de bogha, jouissance, qu'on oppose traditionnellement en Inde à yoga. Le yoga étant ce qui permet de se dépasser soi-même, le bogha ce qui nous maintient dans la dualité. Pour lui, au contraire, le bogha était la voie vers le yoga, l'absolu s’atteignant à travers le relatif.

Il considérait également que l’accomplissement de soi était une expansion de l’ego jusqu’à ses extrêmes limites. Il disait : « Il faut essayer de s’élargir le plus possible jusqu’à ce que l'élargissement lui-même ne soit plus possible ». Cela implique de vivre l’expérience du monde. On rejoint, en fait, la tradition du sannyasin, du moine errant en Inde, qui ne doit pas rester plus de trois nuits au même endroit. Il peut ainsi voir la variété du monde, rencontrer une grande diversité de gens, élargir toujours plus sa vision du monde. Un équivalent de cette vie d’errance est la vie des affaires, qui exige les rencontres, les contacts, l'expérience approfondie du fonctionnement du monde.

A l’époque j’hésitais entre une carrière d’enseignant - car j'étais diplômé de l’Ecole des Hautes Etudes - et les affaires. Swami Prajnanpad m’a dit : " Votre nature vous porte vers l’enseignement mais la vie des affaires présente un avantage. Elle vous mettra en rapport avec des gens qui ont un désir d’argent, et qui, par cela, se révèleront eux-mêmes. C'est pour vous une opportunité de mieux connaître la vie."

— Vous vous êtes lancé dans les affaires par obéissance à votre maître ?

Obéissance, n’est pas le mot ; j'ai suivi ses encouragements. Il m'avait dit aussi : " Dès que vous aurez créé votre société vous allez vous trouver confronté à des "non" _ les "non" de la réalité de la vie."  Mon désir allait se confronter à la réalité.


— On est tous pleins de désirs. La vie professionnelle est-elle un moyen de les accomplir, d'aller au bout des désirs ?

Une vie professionnelle réussie rapporte de l'argent, donc donne des moyens de satisfaire ses désirs par l’argent. Mais au delà de l'argent, on peut comparer la vie d’un chef d'entreprise actuel à celle d'un prince de la Renaissance. Il a un territoire qui est son marché, un territoire qui n'est même pas délimité par des frontières. Il est à la tête d'un gouvernement qui comporte un ministre des finances - son comptable, un ministre des affaires étrangères - le directeur de l’export, un ministre de l'intérieur - le chef du personnel, etc. L'organigramme d'une société ressemble tout à fait à celui de la cour d’un prince de la Renaissance. Le chef d’entreprise, comme le prince, peut devenir mécène, il peut rencontrer d'autres chefs d'entreprise comme le prince peut rencontrer d'autres princes, et tous deux peuvent signer des traités avec leurs homologues. Dans son entreprise, le patron a des rapports de monarque à sujet avec son personnel, il peut être tyrannique ou paternaliste. Dans tous les domaines, dans tous les aspects de la vie son pouvoir est énorme.



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mercredi 10 février 2016

Vie des affaires et vie spirituelle : entretien avec Daniel Roumanoff (1)


Colette Roumanoff et ses enfants font part du décès de Daniel Roumanoff survenu le 1er décembre 2015, à Paris.


Lors de la dernière fête des pères, Anne Roumanoff avait révélé la maladie dont souffrait Daniel depuis 2006, d’un petit texte très touchant sur Facebook. " Il a presque 80 ans, confiait-elle alors, ses cheveux sont tout blancs, ses petits-enfants l’appellent ‘papou’. Il me regarde d’un air absent. C’est toujours la question que les gens posent : ‘D’accord, ton père a Alzheimer, mais il te reconnaît ou pas ?’ Je prends sa main, je la serre. Il n’est plus ce qu’il a été, mais il est là, bien vivant. Il me sourit et je retrouve l’étincelle de malice dans ses yeux."

En hommage à Daniel Roumanoff, je vous propose un article extrait de Terre du Ciel n°15

Disciple d'un maître indien — Swami Prajnanpad —, Daniel Roumanoff a été en même temps un homme d'affaires qui a parfaitement réussi.
Ces deux trajectoires sont-elles compatibles ? Et comment les vivre pleinement toutes les deux ?

Est-ce la spiritualité ou le commerce qui a été premier dans votre vie ?

J'ai fait des études commerciales à HEC. Mais c’était avec une visée disons altruiste, philanthropique. J’étais scandalisé par l’inégalité qui existait entre les pays riches, qui brûlaient leur surproduction. et les pays pauvres qui mouraient de faim. Mon idée était d’apprendre les mécanismes qui permettraient l'acheminement des surplus vers les pays pauvres. Naturellement ce n’est pas cela qu’on enseigne A HEC. Ce sentiment d’injustice, et la recherche des moyens permettant d’y mettre fin, me sont toujours restés.

Et quand vous avez eu votre diplôme d'HEC en poche ?

HEC a été une grande déception. Je suis alors allé en fac où j’ai pris des cours de psychologie, de sociologie, d’économie pour essayer de comprendre les grands mécanismes de l’économie, les lois des échanges internationaux. J’étais plutôt à gauche. Je voulais changer, transformer la société. Puis je suis allé en Israël vivre dans un kibboutz.
Cette vie collective dans laquelle on ne manipulait plus individuellement d’argent, où les problèmes étaient résolus par la communauté sur un pied d’égalité entre tous, était le prototype môme de la société socialiste à laquelle j’aspirais. Naturellement cela fut une déception épouvantable. C’est à ce moment que j’ai pris conscience que les problèmes ne pouvaient être résolus de l’extérieur, mais demandaient une solution venant de l’intérieur.

Pourquoi cette déception dans les kihhoutzs ?

Parce que si, effectivement, les gens étaient nourris, logés et n’avaient pas de problèmes d’argent, ce mode de vie créait d’autres problèmes que les sociétés capitalistes n’ont pas. Par exemple, ces gens étaient des travailleurs agricoles, mais il fallait constamment prendre des décisions d’ordre administratif. Alors, après leur journée de travail dans les champs, les gens se trouvaient obligés de participer au comité du poulailler, au comité des tomates, au comité de l’éducation, etc. C'était chaque fois des heures à discuter des problèmes, et quasiment toutes les soirées y passaient.

Par ailleurs les décisions se prenaient à la majorité, ce qui créait beaucoup de frustrations car les priorités de chacun n'étaient pas les mêmes. Certains auraient préféré moins dépenser en nourriture pour mieux élever leurs enfants, alors que pour d'autres la priorité passait par les systèmes d'irrigation ou de nouvelles constructions.

J'ai pris conscience que, focalisé sur un mode de vie qui nous paraît mauvais, on cherche à l'améliorer, mais qu'ainsi on crée de nouveaux problèmes ; et ainsi de suite, sans fin.
C’était, en fait, la contestation de l’idée même de progrès : chaque progrès crée un nouveau mal qui, sur un autre plan, est une régression.

La solution n'apparaît plus dans la structuration sociale

La solution n’était plus dans la recherche d’une meilleure organisation sociale. Toutes les améliorations qu’on pouvait apporter passaient par des hommes, et ces hommes obligatoirement déformaient l'amélioration et créaient une réaction, une régression. C’est-à-dire que dans l’organisation d'une société il y a les vices de fonctionnement que toute organisation génère. A un certain moment on en prend conscience et on modifie la structure. Mais celle-ci entraînera d’autres problèmes, etc. C’est sans fin, et sans solution.

C’est de là qu’est venue votre prise de conscience de la nécessité d'un travail intérieur ?

Oui. La solution n’est pas dans le changement extérieur, mais dans la transformation intérieure.
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mardi 9 février 2016

Attention angélique avec Christian Bobin


"Tout vient vers nous comme un maître d'école."

Une rencontre avec Christian Bobin est toujours un grand présent : 

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dimanche 7 février 2016

Présence du Christ avec Philippe Mac Leod

À n'en pas douter, Jésus de Nazareth expérimenta peu à peu la présence du Père en sa chair humaine. Par le silence de la prière, par l'eucharistie ruminée, par la Parole sans cesse méditée, je prends peu à peu conscience de la présence du Fils en moi. Le divin qui m'habite apprendra à composer avec mes origines humaines. Et c'est elle, cette part divine, profondément enfouie, qui finira par prendre le dessus, en maîtrisant le dessous de tous mes comportements. À mon tour, paraphrasant l'Évangile, je pourrai dire alors : « Le Christ et moi, nous sommes un » (Jn 10, 30). Mais pour cela, il me faut apprendre à revenir sans cesse à lui : voir, juger, penser, sentir à partir de lui et à travers lui, sans jamais perdre, au fond de moi, cette assise, ce point d'appui, cette vérité que je devine parfois comme les pieds cherchent le sol dans le vide.
Cette percée du Christ à travers tous mes membres, je peux la sentir presque physiquement, comme une poussée du dedans. Sa lumière veut s'étendre et prendre place au creux de ma chair. Mais il est là chez lui, il la connaît depuis le commencement, il l'a modelée de son propre souffle, elle lui appartient. Il prend seulement possession de ce qui lui revient, comme le jour par degrés reprend tout le ciel en déliant les ombres sans grande consistance. Comment imaginer qu'il puisse l'abandonner, lui qui l'assiste depuis les premiers contours de la Terre, lui qui l'a rachetée en la prenant avec lui pour la retremper aux sources de la vie ?
Notre chair est un jardin où le Verbe de Dieu aime à se promener, quand, à l'heure tranquille du soir, s'apaise la brise dans les lourds feuillages. On n'entend plus alors qu'un murmure, entre l'homme et son Dieu qui n'ont plus besoin pour s'entretenir de longs discours : un tremblement suffit, une vibration, un bruissement entre des fibres comme les cordes d'un instrument.
Ce langage ne s'apprend pas, il nous vient de plus loin que les étoiles, et, au plus intime du veilleur, des mondes se font et se défont, le temps et l'éternité devisent ensemble tout en marchant, sans qu'on entende un pas, sans qu'une trace apparaisse dans le jardin de la chair, puisque tout entière elle est leur empreinte, tout entière elle est l'image et le secret de son créateur. 
Ainsi patiemment le Verbe s'est-il frayé un passage à travers l'histoire, affinant notre regard, notre cœur, avant de paraître au milieu de ses œuvres. Il semblerait qu'il poursuive le même effort pour rejoindre chacun des membres de son corps, attendant, cherchant le profond silence au milieu de nos ténèbres pour prendre pied sans un bruit, comme il a attendu le cœur de la nuit et son silence insondable pour faire sortir son peuple de l'esclavage. Mais il n'est plus besoin pour nous de coûteux déplacements, il s'agit de le laisser venir, prendre toute la place, et déposer au fond de la chair, comme le plomb au fond du bateau, cette pierre angulaire qui assure tout l'édifice de notre devenir.
Le salut ne sera jamais que cet ample développement commencé avec la Création, jusqu'à son accomplissement dans la gloire, progressant de faute en faute et de grâce en grâce. L'amour en est le cœur, la matrice, l'unique loi et l'unique économie, le seul qui sache avancer en se jouant des contraires.
J'ai un modèle désormais, non plus seulement une image de Dieu inscrite en mon tréfonds, mais sa parfaite ressemblance, à laquelle je m'accoutume jour après jour comme elle-même s'ajuste à mes faiblesses.
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Philippe Mac Leod, écrivain. Il a publié plusieurs livres et recueils de poésie. Son dernier ouvrage, Poèmes pour habiter la terre est paru chez Le Passeur.


vendredi 5 février 2016

Paix du Ciel avec Marie-Elise Larène





Le ciel comme vocable.
Le lieu où tout est dit
En lumière
En idéal.
Le ciel nous enveloppe de sa toile où nos sentiments
En miroir, disent la profondeur
Le mystère et la beauté de la vie.
Le ciel comme un miracle,
Le début, la quintessence
Et la porte vers l'absolu.
Le souffle, le sens, l'ivresse et la Paix.

Marie-Elise Larène


jeudi 4 février 2016

Les conseils de Marie-Élise Larène pour trouver la paix au fond de soi

1. Adoptez des rituels

Réservez un petit moment chaque jour pour prier ou méditer. La régularité fera de ce rendez-vous un élément essentiel de votre journée. Allumer des bougies m'aide à créer une atmosphère propice au recueillement. La méditation quotidienne m'a beaucoup aidée à découvrir un espace en moi, insondable. Elle n'est pas forcément silencieuse et je ne vide pas toujours mon mental. Je rentre dans mon coeur où logent mes rêves, mes désirs, mes capacités à créer ma vie, à visualiser mes voeux. Je me mets en relation avec le divin en moi et me connecte à la source.

2. Ouvrez vos sens

En pleine nature, dans les églises, les musées, dilatez votre être en vous immergeant dans le Beau. La nature est mon église. Je suis en admiration devant le miracle de la Création et la prodigieuse intelligence de la vie. Prenez le temps d'observer afin d'en saisir toutes les nuances : un ciel, un visage, une fleur. L'harmonie et le degré de perfection qui en émanent sont marqués du sceau de Dieu. Vous retrouvez ainsi la juste posture d'émerveillement de l'homme face à son créateur.

3. Vivez au présent

Le Christ a demandé à ses disciples de veiller : soyez attentifs à ce qui advient dans votre quotidien, en écoutant vos émotions, en vivant pleinement les événements de la journée. Ainsi, vous vous placerez dans l'« aujourd'hui de Dieu », et remarquerez, en vous abandonnant à la confiance, toutes les marques de la Providence.

4. Ne vous dispersez pas

L'unité intérieure se travaille, s'apprivoise. Elle compte aussi un certain nombre d'« ennemis » à commencer par nous-mêmes, « éclatés » par nos tâches et fréquentations multiples. Faire des choix implique de renoncer à certaines choses. J'ai choisi d'avoir peu d'amis. Cela me permet d'avoir des relations profondes, d'être sincère et vraie. Apprivoisez également la solitude, elle vous ouvrira un Ciel intérieur dont la source est inaltérable.

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mercredi 3 février 2016

Les cieux de Marie-Elise Larène


Peintre et pastelliste, elle crée, depuis près de 30 ans, des ciels. À leur contact, elle a découvert la dimension spirituelle qui l'habitait et qui ne demandait qu'à éclore. ...


Ma dimension spirituelle a mis du temps à émerger. Son fil conducteur était logé en moi, depuis toujours. J'ai été une petite fille fervente, entourée par des parents pieux. Mon père a d'ailleurs voué sa vie à la Vierge par son art. J'ai un souvenir très fort de ma confirmation qui m'a bouleversée. Avec le recul, je considère cet événement comme une expérience de Dieu. Assez jeune, j'avais troqué la pratique religieuse contre la visite de lieux de cultes où je trouvais de quoi épancher ma soif : à l'église Saint-Julien-le-Pauvre (Paris Ve), séduite par la liturgie orientale d'une grande beauté, à Saint-Georges (Paris XIXe), bercée par les chants orthodoxes... Ces rites étrangers me transportaient dans un doux voyage poétique. Ma vie spirituelle s'est créée comme j'ai fait mes dessins : elle a puisé sa source dans mes expériences, mes épreuves, et dans mon coeur. Jusqu'à la cinquantaine, j'en avais une idée très floue. Dans mes tableaux, elle se manifestait sur un plan poétique, mystique, onirique. Ces composantes, retrouvées dans les ciels, m'ont peu à peu permis de rejoindre une sphère bien plus profonde, au goût d'éternité.

L'éternité est dans un écrin qu'il nous appartient à tous d'ouvrir, à tout moment. Il est comme un flocon de neige porté par le vent. Mes toiles fixent cette dimension qui m'habite, avant, pendant, et après l'acte créateur. Le temps est alors comme suspendu, arrêté. L'éternité est ce présent vécu avec intensité, non pas dans l'intelligence, mais dans le cœur. Lorsque je peins, je fais fi de tout le reste. Cette plénitude, je la retrouve dans la méditation, le matin. Descendue dans mon ciel intérieur, j'embrasse alors un peu de cette béatitude dans laquelle j'espère être plongée après ma mort. Nous en avons tellement peur, et si peu de belles choses sont dites à son propos ! Nous ne pouvons certes qu'esquisser une image de l'au-delà. Mais je n'ai aucun doute sur son existence. Je crois que nous sommes un esprit divin dans un corps physique, et que notre enveloppe s'éteint, disparaît, le passage franchi. Je vois la vie comme un terrain d'expériences, d'apprentissages précieux permettant à chacun de se découvrir en vérité et en plénitude. Pour, au final, retourner à un état de perfection, semblable à celui du nourrisson, qui n'a rien d'autre à donner et à recevoir que de l'amour. Mon but est de mourir au plus proche de cet état de confiance et de pureté. Je vois la mort comme les retrouvailles d'un lieu d'accueil fabuleux. Retrouvailles avec le Père éternel et tous ceux que nous aurons aimés. Le ciel sera ma récompense. C'est sur terre que la vie est sans concession !

J'ai fini par comprendre à quel point je l'aimais, cette vie. Il m'a fallu 32 ans. Mes toiles contiennent toujours un horizon de terre car je me refuse à être en apesanteur, suspendue au-dessus du vide : je veux témoigner de la beauté du ciel sur la terre, en tant qu'être humain, à ma hauteur d'1,63 m. J'offre à voir quelque chose auquel les gens ne donnent que peu de temps et d'attention. Or, nous nous rejoignons tous quand il s'agit de beauté, d'équilibre et d'harmonie. L'artiste a pour vocation de proposer d'autres chemins de vie, de visions et de conscience des choses. Depuis peu, je dessine, et brode certaines de mes œuvres au fil d'or, des anges. Par ces créations, je voudrais que chacun prenne conscience qu'un ange veille sur lui à chaque instant. Loin d'être une fuite, le ciel est un tremplin pour aller plus loin, plus haut. Mes tableaux traduisent cet idéal, mais ils sont aussi le reflet de mon état d'être profond, le témoin de ma foi et de mon idéal. Accordé à mon tempérament passionné, le pastel, qui est fait avec des pigments purs, sert mes toiles d'une intensité vibrante.

Le ciel, qui n'est qu'inconstance de par ses mouvements et ses couleurs changeantes, m'a appris à accepter l'impermanence de la vie, sans me sentir pour autant en insécurité. C'est d'ailleurs lorsque j'ai perdu la sécurité matérielle et connu la précarité que j'ai dû apprendre à me forger intérieurement pour gagner ma liberté. Les sécurités que je cherchais à l'extérieur étaient en fait des chaînes. On ne gagne jamais autant sa liberté que lorsqu'on en a manqué : 18 ans durant, j'ai peint des ciels dans une cave. Manquer de lumière me poussait à la désirer ardemment, et donc à la créer.

Je ne demande ni assurances, ni preuves, ni garanties. Je ne cherche pas de réponses, mais des épousailles avec le mystère qui me comble et me remplit. Je crois qu'un dessein divin nous conduit. Et souvent, j'ai été surprise de mon propre chemin. Comment être pessimiste puisque je ne sais rien de l'avenir ? Je fais ce que j'ai à faire pour aider. Je sais que je suis là pour ça.



source : La Vie
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