dimanche 13 février 2011

La force du NON avec Joshin Luce Bachoux

Trois petits moines sous la neige
Puissante est la force du refus, la force du " non ". 
Non au cours de la vie, non à ce qui ne va pas dans le sens des désirs, 
non à tout ce que je ne maîtrise pas.
par Luce Joshin Bachoux

Il neigeait déjà quand je me suis levée. Ma première réaction fut de penser : " Ah, non ! pas la neige, encore ! " Amusée par ma mauvaise humeur, je contemplai par la fenêtre les flocons minuscules qui tombaient dru, voletant en tous sens, en pensant : " Si ces flocons avaient un esprit humain, au lieu de se laisser porter et de tomber là où le vent les envoie, je suis sûre qu'ils râleraient et grommelleraient : " Je ne veux pas aller ici, non, là non plus ça ne me plaît pas, et non pas à côté de celui-ci, et ici c'est trop bas..." Tant est puissante chez nous la force du refus, la force du " non ". Non à ce qui se présente que je n'ai pas souhaité, non au cours de la vie, avec la maladie et la vieillesse et la mort, inévitables ; non à ce qui ne va pas dans le sens de mes désirs, non à tout ce que je ne maîtrise pas, ne contrôle pas.  



De même que ce flocon léger relie le ciel et la terre, nous allons parcourir l'espace entre la naissance et la mort. Nous allons y rencontrer des joies et des souffrances, des cadeaux et des deuils, des retrouvailles et des ruptures... Puissions-nous les accepter avec grâce et légèreté, plutôt qu'avec colère et refus. Et peut-être que le travail - au sens d'un travail d'accouchement que les religions ou les véritables voies spirituelles effectuent en nous - est de nous transformer, de nous faire renaître dans le changement de ce "non " en "oui ". Que Ta volonté soit faite... Et il nous faut parfois tant de temps pour comprendre : ce " oui " n'est pas bougon, comme celui d'un écolier qu'on envoie faire ses devoirs dans sa chambre, au lieu de regarder la télé, et qui traîne les pieds, marmonnant dans sa tête : " Quand je serai grand, je ferai ce que je veux... " C'est le oui plein d'élan, de mouvement de celui qui s'élance vers l'aimée, les bras grands ouverts. C'est l'acceptation, non pas parce que " je n'y peux rien ", mais parce que ce qui est là, plaisant ou douloureux, joyeux ou contrariant, est ma réalité, est ce que je vais vivre. 


Souvent, je ne l'aurais pas choisi, j'avais vu pour moi, pour cette personne que j'aime un autre avenir. Mais voilà, c'est cela. Et pourtant, me direz-vous peut-être, je dois bien agir, prendre des décisions, décider quel sens donner à ma vie. Je suis un être humain, avec en toute situation un choix possible : comment concilier, réconcilier ces deux composantes de notre vie ? À chacun de trouver sa réponse, bien sûr ; moi, j'aime bien l'histoire des trois petits moines.


Tout là-bas, au fond des montagnes, il neige. Le silence des monastères est soudain troublé par un chuchotement, puis une discussion qui tourne à la vraie dispute. Le Supérieur voit apparaître devant lui deux petits moines tout agités. Il les fait asseoir devant lui, leur laisse un peu de temps pour se calmer, puis leur demande la raison de tout ce bruit. Le premier dit : " Maître, n'est-il pas vrai que tout ce qui vit, tout ce qui existe doit tout à la grâce ? Nous sommes si fragiles, sans nous en remettre à la grâce, comment pourrions-nous chaque jour avancer sur le chemin du cœur ? " - C'est vrai ", répond le Maître. " Mais, permettez-moi, Maître, intervient le deuxième petit moine, encore un peu rouge. C'est à nous qu'il appartient de choisir la direction de notre vie : la grâce peut-elle alors apparaître autrement qu'à travers nos efforts, notre application ? " - C'est vrai ", répond le Maître. Alors un troisième petit moine, qui était resté jusque-là un peu caché dans un coin, toussota et dit : " Maître, je ne comprends pas... Vous avez dit : "C'est vrai" au premier, puis :" C'est vrai " au second qui disait le contraire... ?" - C'est vrai ", répond le Maître. La neige tourbillonne : résiste-t-elle au vent ou danse-t-elle avec lui ? 

Joshin Luce Bachoux, nonne bouddhiste, a été ordonnée au Zuigakuin, un monastère de la montagne japonaise, voici vingt ans. Elle a ouvert, en 1991, la Demeure sans limites, à la fois temple zen et lieu de retraite, à Saint-Agrève, en Ardèche.
(Source : La Vie 2004)


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