samedi 8 octobre 2016

Thich Nhat Hanh : un maître du bouddhisme (2)


Pouvez-vous me parler de vous enfant ?
T.N.H. : [Long silence.] Regardez cette photo au mur [il désigne de la tête un portrait de lui, en noir et blanc, enfant à l’air grave et serein]. Cet enfant a eu des parents très aimants et il avait seulement 16 ans quand il est devenu moine ! [Rires]

Vous voulez dire que vous n’avez pas d’enfant intérieur blessé? Vous êtes pourtant passé par des guerres...
T.N.H. : Des guerres terribles... Cela nous fait souffrir. Mais cela nous aide, aussi. Quand, à l’école, des amis ont été tués par des soldats, il est devenu évident que l’on ne pouvait pas se contenter de réciter des sutras. Il fallait agir. Ainsi nous est venue l’idée du « bouddhisme engagé » : on a organisé des groupes de jeunes moines et laïcs pour créer des hôpitaux, des écoles... Cela aide à soigner les blessures physiques et mentales : celles des autres et les siennes. Il faut apprendre à savoir souffrir afin de souffrir moins.

Qu’est-ce que ça signifie, « savoir souffrir » ?
T.N.H. : C’est ne pas chercher à fuir sa souffrance, mais l’accepter, la regarder en pleine conscience. Puis l’utiliser pour en tirer une énergie positive : la transformer et, ainsi, se transformer.

L’utilité de la « communauté » (sangha) paraît évidente dans des conditions de guerre. Mais aujourd’hui et ici, à quoi sert-elle ? 
T.N.H. : Au village, nous organisons des retraites pour plus de mille personnes : pour aider un tel groupe à se transformer, un maître, même talentueux, ne peut pas suffire; il a besoin d’une sangha qui génère une énergie collective de compassion et de pleine conscience. Je pense qu’il en va de même pour les thérapeutes : s’ils s’organisaient en communautés de pratique, ils aideraient mieux les gens. 

Est-ce la sangha qui vous a aidé à supporter la souffrance de l’exil, dès 1966 ?
T.N.H. : Au fil de la pratique, on en vient à reconnaître que notre pays n’est pas telle partie de la planète et que nos concitoyens ne sont pas que des Vietnamiens, mais aussi des Français, des Anglais, des Américains... Il n’y a plus de discrimination.

C’est ce que vous appelez l’« inter-être » : vous dites que nous ne « sommes » pas, mais que nous « inter-sommes »...
T.N.H. : L'inter-être n’est pas une philosophie, c’est une vision profonde que l’on acquiert en tournant son regard vers la nature. Par exemple, la science a découvert que matière et énergie « inter-sont » : l’une peut devenir l’autre. Si les chrétiens et les musulmans se regardent en profondeur, ils découvriront cette nature de l’inter-être et la guerre cessera. 

Cela fait un demi-siècle que vous diffusez ce message de paix, y compris auprès des plus puissants, mais nous sommes encore loin d’un monde sans guerre !
T.N.H. : Parler de paix aux puissants, c’est facile, mais cela ne suffit pas. Il faut que chacun applique cette loi de l’inter-être dans son quotidien. Et pour cela, il faut s’organiser en sanghas, c’est-à-dire pratiquer la pleine conscience ensemble : en famille, à l’école, dans l’entreprise, au conseil municipal... 


------------->