mercredi 1 décembre 2010

Lee Lozowick ou le barde éveillé

Lee Lozowick, un barde éveillé par Marc de Smedt

Lee Lozowick vient de mourir. Cet instructeur spirituel américain, disciple d’un grand yogi indien, poète et chanteur de rock, était reçu en France chaque année par Arnaud Desjardins dans le cadre de son ashram d’Hauteville. Nous avions participé à l’une de ces rencontres en 1992 . Y assistait un autre grand disparu, Yvan Amar. Voici ce que nous en écrivions à l’époque et quelques extraits des interventions de Mister Lee. In memoriam.

Réunion de gourous, description de la scène. Nous sommes à la campagne dans une grande salle blanche, moquetée de beige. Au fond, quatre fauteuils confortables. Des micros, du matériel d’enregistrement. Et puis trois à quatre cent personnes assises par terre, devisant avec gaieté. Visages ouverts, tous les âges, un public de qualité, capable de rire aux éclats à l’histoire racontée hier par un soufi qui passait par là lui aussi et qui leur dit : "autour d’un maître il y a trois cercles. Le cercle intérieur, le cercle médian et le cercle extérieur. Le premier cercle, tout proche du maître, est celui des idiots. Le deuxième cercle est formé de ceux qui veulent devenir idiots. Le troisième cercle, lui, se compose de ceux qui vont et viennent, libres". Une porte au fond s’ouvre, la salle se lève, les voilà qui entrent. Chandra Swami, hiératique, belle tête à cheveux et barbe blancs, traditionnellement d’orange vêtu, Arnaud Desjardins très droit en complet veston clair, Lee Lozowick en jogging gris, petite barbe, cheveux serrés en catogan. Yvan Amar prononce quelques mots d’accueil, et annonce que la salle peut poser des questions aux rishis ici présents : "toutefois, précise-t-il, profitez de la rare présence de Lee Lozowick, authentique Baul d’Occident (fou de Dieu) pour lui demander de vous donner le vin divin, de vous donner à boire, de vous donner soif".
Mister Lee : voici ce curieux personnage présenté par Gilles Farcet dans son ouvrage "L’homme se lève à l’Ouest" paru chez Albin Michel ; chef de communauté, parolier et chanteur d’un groupe de rock, il est aussi considéré comme un maître d’éveil aux U.S.A. Cet homme apparemment frêle, au visage très mobile, avec un magnifique sourire et des yeux bleu perçants, fut la véritable révélation de cette journée. Arnaud Desjardins lui-même, qui intervint succinctement et en contrepoint quand on le lui demandait, m’avoua avoir été impressionné par la force et la qualité de ses réponses. Quant à Chandra Swami, qui a fait vœu de silence depuis une vingtaine d’années (il répond aux questions en inscrivant ses réponses sur un bloc de papier ensuite lu à l’assemblée), la puissance de sa présence sereine donnait le La.

Voici donc quelques paroles de Mister Lee glanées la journée durant :

Aux Etats Unis, lorsqu’un enseignant s’avère non conformiste, au mieux on le néglige complètement et, au pire, il devient célèbre.


Les éléments les plus forts de la transmission de la sagesse ne sont pas ceux qui apparaissent comme linéaires ou évidents. La musique peut être un élément de transmission, même sous forme d’un rock n’roll apparemment grossier.


Il semblerait que même la bonne musique puisse être rendue négative par celui qui la joue. Et une musique de rien peut devenir une musique thérapeutique suivant celui qui la joue.


Mon maître [Yogi Ramsuratkumar] se considère comme un mendiant et rit tout le temps. Il vit en Inde dans une masure dont un des murs est un miroir public. Quand on le qualifie de grand yogi ou de saint, il se met en colère ou jette des pierres.


Si tu montres trop de squelettes de chameaux à quelqu’un, il n’en reconnaîtra pas un quand il le verra vivant (Nasrudin).


Il ne s’agit pas tant d’abandonner son orgueil que de devenir responsable de ce que l’on a reçu.


Il faut déplacer sa vision et offrir sa fierté à Dieu.


Il y a assez de problèmes dans le monde pour que nous ne nous préoccupions pas de nos propres problèmes.


Si notre vision est juste, elle ne produit plus de manifestations inutiles au divin.


Il est possible que la race humaine toute entière ne soit qu’une plaisanterie que Dieu a faite aux dépends du diable.


L’intensité est nécessaire au chemin. Mais un excès d’intensité nous détourne de notre but au lieu de nous y mener.


Pourquoi ne pas essayer de faire disparaître l’ego à force de rire ?


Mon fils écoutait de la musique auprès de laquelle le hard rock paraît doux, il s’adonnait aux drogues dures, avait les pires amis et des problèmes de violence pour pimenter le tout. Aujourd’hui il est marié avec une magnifique jeune femme, il est papa de beaux bébés... Je crois que les enfants finissent par percevoir les vibrations positives de leurs parents, si ceux-ci en ont. Nous avons tous besoin de grandir, et dans ce processus nous traversons des moments difficiles. Les enfants s’identifient tôt ou tard au modèle le plus intense : si votre modèle spirituel est authentique, sincère et fort, vos enfants finiront par en prendre de la graine. Tôt ou tard. En attendant il faut éviter les conflits et luttes à l’adolescence et continuer à écouter de façon ouverte votre enfant.


On croit qu’il faut élever les enfants suivant notre mode de pensée : c’est la meilleure façon de les faire fuir. C’est ce que nos parents ont voulu faire de nous : regardez le désastre ! (rires)


On ne sait pas quand l’enseignement va produire un changement, mais s’il est bon, il produit le changement.


L’une des plus grandes forces dans le domaine de la relation c’est de simplement écouter et bénir, bénir sans paroles, avec son cœur.
Les gens croient que pour donner une bénédiction il faut être le représentant de Dieu : mais nous sommes des représentants de Dieu et, en un sens, l’essence même de cela. Quand je dis bénir, j’entends qu’il faut souhaiter intérieurement à la personne paix de l’esprit et santé, en rester à des vœux très simples, très positifs.


Ne pas vouloir se contenter de quoi que ce soit de moins que l’absolu : telle est mon obstination d’instructeur et d’élève.


Vous savez comment sont les gens : ils veulent à tout prix s’occuper de leur maître. Et si quelqu’un, à un moment donné ou à un autre, manifeste un comportement qui ne correspond pas à l’idée qu’ils se font de la façon dont il faut s’occuper de leur maître, cela leur déplaît profondément (applaudissements et rires).


Un de mes amis instructeurs m’a dit un jour que la seule différence entre lui et ses élèves était dans le fait que lui n’avait pas peur de sa peur. Je ne crois pas que la peur disparaisse : qu’elle nous serve donc d’outil à l’éveil de soi.


Mon maître exprime ses demandes en silence et sur la profondeur de sa bénédiction. Je n’ai pas autant de patience et je n’arrête pas de me défouler sur mes étudiants en les secouant, les rabrouant, les poussant de toutes les manières possibles.
Pourquoi essayer de transmettre des choses compliquées aux gens quand ils ne peuvent même pas appliquer des choses simples ?


Je n’hésite pas à conseiller à certains, qui n’y arrivent pas, d’aller voir des psychothérapeutes. Mon maître ne fait pas cela : ou bien les gens s’équilibrent ou bien ils s’en vont d’eux-mêmes.


Un dicton dit qu’il est difficile de guérir si l’on ne s’aperçoit pas qu’on est malade. La maladie dont souffrent de façon générale les humains, c’est l’illusion de la séparation. Nous croyons être séparés de Dieu.


Les gens considèrent l’abandon comme une chose agressive envers soi-même : les gens parlent de contrôler les émotions en termes de force. Mais tout cela est encore l’ego qui ne veut pas relâcher son étreinte. L’idée de ne rien faire, de lâcher prise est au contraire une action douce : si quelqu’un pleure de compassion, quoi de dérangeant pour Dieu ?


Il faut toutefois faire attention à ce que des notions romantiques ou sentimentales de la spiritualité n’interfèrent pas avec les responsabilités familiales et sociales. En Amérique tout le monde veut planer (get high), monter de plus en plus haut, et à ce moment là Dieu devient une sorte d’excuse pour ne pas faire face à ses responsabilités. Le jaillissement des émotions vient-il d’une envie inconsciente de fuir et d’éviter les responsabilités ou est-ce quelque chose d’authentique ?


Les livres à lire

Source : site "Clés"


Pour information, il y aura un temps de célébration en mémoire de Lee Lozowick, ce dimanche en Belgique. Ce sera une méditation de silence suivie d' un partage.