vendredi 23 janvier 2015

La folle espérance avec Monique Durand-Wood


...Tout a basculé en 1988. Mon existence me paraissait alors artificielle : un divorce, deux enfants à charge, une vie affective désordonnée et des activités professionnelles peu épanouissantes. Un soir, je suis sortie dans la rue et je me suis mise à sangloter pendant de longues heures… jusqu’au moment où j’ai ressenti une Présence m’enveloppant de sa douceur. Les joues encore trempées de larmes, je me suis assise à côté de la porte d’une chapelle et j’ai bredouillé : « Mon Dieu ouvre-moi la porte de ton Église. »

Après toutes ces années d’éloignement, j’étais persuadée que l’Église m’en voulait. Ma confession à un moine le lendemain m’a totalement libérée. Son accueil m’a émerveillée. Le concile Vatican II était passé par là : j’ai découvert une Église plus tolérante et ouverte et ai pu intégrer un groupe de chrétiens divorcés. Comme j’ai fait des études de psychologie, une dame m’a proposé de la rejoindre dans une aumônerie psychiatrique d’un hôpital de Villejuif (94). Je n’ai pas hésité une seconde.

La folie m’a toujours fascinée. Dans ma famille, il y avait des personnes artistes, hypersensibles et pour certaines psychiquement fragiles. C’est lorsque les déguisements sociaux et autres masques tombent qu’une vérité peut éclater : c’est là que jaillit le plus profond de l’être. J’ai d’ailleurs remarqué que le noyau spirituel est ce qui reste dans l’individu, qu’il soit malade psychiquement, handicapé, ou atteint de la maladie d’Alzheimer. Une fois la tempête du délire passée, la foi des malades psychiques se révèle, dépouillée, simple, humble. Humilité aussi dans la prise de conscience de leurs failles, de leur pauvreté. J’ai vu avec éblouissement ce retour sur eux-mêmes qui les ouvrait aux autres : leurs fragilités développent une compassion extraordinaire pour leurs frères souffrants.

Dans leur détresse, j’ai pu toucher une part sacrée, de Mystère en eux. En tant qu’aumônier, mon rôle était de faire appel à cette Présence. Ni jugement ni diagnostic, une écoute bienveillante de leur mal-être. L’espérance qu’il existe autre chose que le désespoir, une Lumière, une respiration, alors qu’ils n’y croient plus. Même si l’on reste malade, même si l’on n’a plus de famille, même si l’on ne voit plus d’issue à son avenir, l’espérance permet de se sentir accompagné par le Divin.

Grâce à leur manière de s’identifier aux personnages de la Bible, j’ai réalisé que ces figures sont proches de nous : les « ennemis » sont nos propres ennemis intérieurs. Combats, désirs de vengeance, de guerre, cris de désespoir, eux les vivent concrètement. Par leur façon de se saisir de cette Parole vivante, ils sont devenus pour moi des exemples de foi, des maîtres spirituels.

Cette démarche de faire vibrer la Parole en soi, je l’ai vécue en parallèle à la Maison de Tobie, où j’organise désormais des sessions de contemplation. Tout au long de ma vie d’aumônier, j’ai pu ainsi développer ma vie intérieure en dehors de la psychiatrie. J’ai appris à méditer la Bible, à la mastiquer et la laisser infuser. Grâce à Françoise Dolto et à son Évangile au risque de la psychanalyse, autre livre choc de ma vie, j’ai compris que la foi nous ramène aux racines de l’humain et découvert aussi qu’avant d’être un livre religieux, la Bible était un livre d’humanité, avec un Autre qui se tient là, tout doucement.

Les étapes de sa vie
1947 Naissance à Rochechouart (Haute-Vienne)
1968 1er mariage, dont naîtront deux enfants.
Décembre 1988 Basculement intérieur. Retourne à la messe.
1991-2006 Bénévole puis aumônier d’hôpital psychiatrique à Villejuif.
2006 Master de théologie à l’Institut catholique de Paris.
2009 Ajouter foi à la folie, Éditions du Cerf.
Depuis 2012 Responsable de la démarche de contemplation à la Maison de Tobie.
2014 Second mariage.