Comment se déclenchent nos émotions ?
Les émotions nous tombent dessus, elles nous « saisissent », mais leurs mécanismes neurophysiologiques sont aujourd’hui assez bien connus. De récentes études en neurobiologie ont démontré que les émotions sont un mélange de plusieurs facteurs biochimiques, socioculturels et neurologiques.
En stimulant avec des électrodes certaines zones cérébrales, on a notamment localisé quatre grands circuits neuro-anatomiques qui commandent la plupart de nos réactions émotionnelles et de nos comportements. Des chercheurs finlandais ont ainsi pu tracer par thermographie la première carte corporelle de nos émotions. C’est assez édifiant. On voit le corps « s’allumer » en zones chaudes et froides en fonction de la suractivité ou de la sous-activité provoquée par chaque émotion. La colère et la peur se distinguent par une augmentation de l’activité au niveau de la poitrine, « caractérisant vraisemblablement une accélération des rythmes respiratoires ou cardiaques », avec le ventre en plus pour la peur. La honte présente les mêmes réactions corporelles que la peur, mais à un degré moindre, ainsi qu’une suractivité au niveau des joues (rougir de honte). Le dégoût ressemble aussi à la peur, mais avec une diminution de l’activité au niveau de la poitrine et une augmentation au niveau de la bouche. On se souviendra que le dégoût est à l’origine une réaction physiologique destinée à nous dissuader de manger des aliments avariés, quelle que soit notre faim. La tristesse en revanche est associée à une diminution de l’activité du torse et des membres supérieurs, d’où l’expression « baisser les bras » fréquemment employée lorsque l’on se sent accablé. Assez étonnamment, seule la joie, le bonheur diraient d’autres, stimule l’activité de l’ensemble du corps, encore plus que l’amour qui, sans que l’on sache pourquoi, « coupe les jambes ». L’impression de jambes flageolantes souvent ressentie en cas de choc amoureux pourrait donc s’expliquer ainsi.
Pourquoi réprime-t-on nos émotions ?
Au début d’une émotion, il y a toujours une surprise, un choc physiologique, qui provoque des modifications brutales : accélération du pouls, palpitations cardiaques, pâleur, rougissement, tremblement... Alors, forcément, par peur d’être débordé, on a tendance à les réprimer, notamment les émotions négatives.
On pleure devant les images de la Shoah, on crie de colère devant son poste de télé quand la France encaisse un but non mérité, on regarde des films d’horreur pour se faire peur, mais paradoxalement, on s’interdit souvent de vivre ces mêmes émotions dans notre vie quotidienne, la règle étant : «Je ne veux pas éprouver de sensation pénible. » C’est bien plus facile par procuration. Elles font moins mal, nous troublent, mais sans nous ébranler comme le feraient nos propres émotions. Car une vraie émotion, ça secoue toujours un peu physiquement et moralement.
On réprime aussi nos émotions en songeant aux conséquences qu’elles pourraient avoir sur les autres ou sur notre relation avec eux. Et cela pour une multitude de raisons :
• Pour nous conformer aux normes sociales. Par exemple, nous avons appris à ne pas rire pendant un enterrement, fût-il d’une tante particulièrement détestable, à modérer notre joie en cas de succès, à sourire vaillamment quand on a perdu, etc. Tout cela afin de ne pas encourir la désapprobation, les foudres de la bien-pensance.
• Pour coller aux attentes. Ainsi, les femmes peuvent exprimer la tristesse, la peur et d’autres signes de vulnérabilité ; les hommes, la colère, l’animosité et d’autres signes d’hostilité. Le contraire fait désordre et est très mal perçu (les femmes sont alors considérées comme hystériques, des harpies, les hommes comme faibles, des lâches).
• Pour protéger les sentiments des autres. Ainsi, on cache sa déception en recevant un cadeau qui ne nous plaît pas pour ne pas faire de peine à la personne qui nous l’a offert, ou on dit que tout va très bien quand ça va très mal pour ne pas inquiéter quelqu’un qu’on aime.
• Pour se protéger soi, éviter d’être jugé négativement. Par exemple, on ne montre pas sa jalousie par crainte de reproches, voire de représailles, ou on ne manifeste pas qu’on est très envieux des autres parce que cela donnerait une mauvaise image de soi.
Tout cela ne va pas sans un certain nombre de dégâts pour soi. Quand on bloque nos émotions, elles retentissent à l’intérieur. Cela affecte nos sentiments de bien-être, mais aussi notre santé.
De nombreuses observations cliniques ont montré que notre niveau de défenses immunitaires dépendait pour beaucoup de nos émotions*.
Même si on connaît encore assez mal le mécanisme de ces influences, on sait que les émotions négatives (la peur, la colère, la tristesse), quand elles ne sont pas exprimées, occasionnent de nombreux bobos : allergies, asthme, colites, maladies infectieuses. Elles constituent aussi un important facteur de risque dans différentes maladies encore plus antipathiques : affections cardiovasculaires, cancers, etc.
Les effets négatifs de nos émotions sur notre santé sont d’autant plus importants qu’en bloquant nos émotions « moins », on bloque automatiquement nos émotions « plus ». On s’interdit de pleurer, d’exprimer sa colère, et finalement, on ne rit plus, on a de moins en moins de joies, de plaisirs. Cela affaiblit d’autant nos défenses immunitaires, et diminue notre espérance de vie.
Sans émotions, on prend aussi de mauvaises décisions. Des patients à qui manque le bout de cerveau des émotions restent tout à fait capables de raisonner, mais en l’absence de résonance affective, ils n’arrivent plus à se décider, ou décident mal, parce qu’ils ne font plus la différence entre bon et mauvais.
Bref, tout un engrenage toxique dont on ne peut sortir qu’en apprenant à réguler ses émotions de manière à la fois plus confortable pour soi et socialement acceptable, au lieu de les étouffer.
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Aller bien dans un monde qui va mal - Gilles Azzopardi
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