dimanche 20 février 2011

Je mets un peu d'ordre avec Joshin Luce Bachoux

Est-ce que je vis dans un monde en désordre, dans lequel je dois mettre de l’ordre, ou bien dans un monde d’ordre dans lequel je viens mettre mon désordre ? Telle est la question que je me pose depuis ce matin.
L’hiver est là : la neige a fait s’ébouler le petit muret du jardin... le bassin déborde et on patauge dans la boue... Je soupire, il n’y a rien à faire, la nature a toujours le dernier mot ! Au printemps, les mauvaises herbes envahissent la cour, puis essaient de se faufiler dans le potager... en automne, les feuilles mortes se répandent sur le jardin soigneusement ratissé... La nature met son désordre là où nous essayons de mettre notre ordre – ou bien est-ce nous qui mettons du désordre dans l’ordre de la nature, bien malin qui pourrait le dire !
Et dedans, c’est pareil ! Il se passe peu de jours sans que je n’aie envie de demander : « Un peu d’ordre ! » Affaires en vrac, ou livres mal placés – c’est-à-dire pas comme il me semble juste et « naturel » de les ranger. Aujourd’hui, je trouve que le placard à vaisselle est tout chamboulé: tasses pour ceci mélangées à tasses pour cela, couverts en vrac, assiettes dépareillées : j’ai l’impression que quelqu’un est venu mettre du désordre – ou bien est-ce que, pour son ordre à lui, ce que je fais d’habitude apparaît comme un désordre ?


Je peux m’y épuiser : mon ordre ne dure jamais... et pourtant je ne veux pas me faire dépasser par mon désordre... quelle solution ? Heureusement les histoires zen fournissent une réponse à tout, et je me mets à rire devant le placard en me rappelant de la mésaventure du petit moine Plein de Bonne Volonté.


Il a briqué-frotté tout le temple ce matin : son maître va rentrer de voyage ! Les tatamis sont bien lissés, les coussins de méditation, parfaitement rectilignes, même les marches en bois étincellent ! Et cet après-midi, il s’attaque au jardin : tailler, arracher, ramasser, ratisser ; plus un brin d’herbe n’ose relever la tête, plus une branche, s’étendre un peu plus loin que ses voisines. Le vent lui donne un peu de mal, qui s’obstine à gâcher ses soins attentifs, mais il repique feuille par feuille, brindille par brindille, tout ce qui tombe. Il est absorbé dans sa tâche quand il entend un poli « hum, hum », qui lui fait relever la tête. Malheur ! C’est le Vieil Ermite, celui qui habite une hutte délabrée un peu plus haut dans la montagne. Il paraît que son nom de moine est « Grand Stupide » et qu’il passe son temps à jouer à la balle avec les enfants, ou à mâcher une herbe, tout en regardant le ciel, allongé dans un pré.
« C’est bien joli ce que tu as fait là, mon petit », dit l’Ermite, une lueur malicieuse dans l’œil. Inquiet, le petit moine tente de s’expliquer : « Eh oui, je mets un peu d’ordre car mon Maître va arriver... » Et s’arrête, interloqué, en voyant le Vieil Ermite enjamber la barrière et arriver dans le jardin. « Euh... Ce serait mieux... euh... de ne toucher à rien... », essaie-t-il, tandis que l’Ermite, qui ne l’écoute pas, regarde autour de lui : « Un peu d’ordre, hein? », marmonne-t-il en attrapant la plus grande branche du plus grand arbre. Et il secoue, et doucement, avec légèreté, comme en jouant, comme en dansant, deux par deux attachées, une nuée d’aiguilles de pin vient s’éparpiller sur le sol... « Voilà, s’exclame, tout content de lui, le Vieil Ermite, un peu d’ordre... »

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