mardi 8 août 2017

Hommage à Anne Dufourmentelle (2)

D. L. : Quels sont les risques nécessaires pour vivre pleinement?

A. D. : Aimer. Etre autonome. On brade trop sa liberté. On demande toujours aux autres de nous prendre en charge.


D. L. : Faut-il renoncer à vouloir tout maîtriser et accepter l’incertitude ? 

A. D. : Absolument ! L’incertitude est ce dont la névrose a le plus horreur. Toute notre organisation névrotique (et nous sommes tous névrosés) consiste à faire barrage à l’inattendu. L’inconscient est un GPS qui intègre toutes les données de votre généalogie, de votre enfance et de ce que vous avez vécu. Il vous indique des chemins et des routes qu’il trouve plus sûrs ou moins encombrés. Si vous lui donnez un itinéraire ou un lieu inconnu, il va tout faire pour que vous n’y alliez pas parce qu’il y a trop de risques. Par contre, ce qui est sympathique avec l’inconscient c’est que, de la même manière qu’un GPS, il va intégrer la nouvelle route la deuxième fois, il va y aller. L’inconscient fonctionne dans la répétition.

D. L. : Oser lâcher prise ?

A. D. : Cette capacité à l’inattendu c’est quelque chose qu’il faut trouver dans l’aptitude à être au présent. Et le lâcher prise est fondamental. Le problème, c’est que cela ne se décide pas. Ce n’est pas une question de volonté. Le lâcher prise n’empêche pas la vigilance. Au contraire, il l’appelle. Le risque met sur le qui-vive, puisqu’il y a du danger. Celaa met en éveil . Il faudrait lutter contre les deux piliers de la névrose qui, pour éviter l’inattendu, se repose à 90% sur deux grosses ficelles – à savoir « la vie commence demain » ou dans deux heures ou dans une heure. C’est-à-dire qu’elle vous dit : « Oui, bien sûr, on va changer ci et ça ». Elle est très accommodante, la névrose. Elle veut bien changer, mais pas tout de suite. L’autre ficelle, c’est le tout ou rien. « C’est noir ou blanc ». D’où l’idée qu’il n’y a pas de petit choix, comme s’il n’y avait pas de gris entre les deux. Or, dès que vous commencez du gris, vous amorcez quelque chose.

D. L. : Donc, le risque c’est de sortir de nos habitudes ?

A. D. : On fonctionne tous, même mentalement, sur les mêmes trajectoires. Prenez l’exemple d’une dispute. Dix ans après, ce sont les même arguments que se renvoient les deux personnes. Parfois, quand les êtres sont extraordinairement déprimés, qu’ils n’ont plus la force de rien, il suffit de leur dire : « Voilà. Aujourd’hui, vous prenez une rue différente. C’est tout ». Il suffit d’une modification minuscule et ça va mettre en route quelque chose. Ou une pensée différente.

D. L. : Faire une psychanalyse, c’est un risque ?

A. D. : J’espère ! Dans l’analyse, il y a deux mouvements. Dans un premier temps, il s’agit d’identifier ce qui a été négatif, par exemple, dans notre enfance pour essayer de comprendre, d’entendre et de voir ce qui s’est passé. Après, il faut tout reprendre en soi et se demander « Mais pourquoi ai-je accepté d’être là ? » Pourquoi me suis-je mise dans ce scénario-là ? C’est sortir de la plainte, du « C’est la faute de l’autre ». Vous avez en mains les clés de votre liberté, vous seule. Vous ne pourrez pas faire que l’autre soit différent. Vous ne pourrez pas faire que votre enfance ait été autre. Mais vous pouvez vous situer autrement dans ce paysage et, du coup, découvrir des chemins de traverse extraordinaires dans n’importe quel paysage donné. Il faut explorer. Ensuite, une fois qu’on l’a reconnu tel qu’il est, on peut s’y promener autrement. Et ça, c’est un risque. On a toujours peur de déplaire, de ne plus être aimée, de souffrir, d’être abandonnée.

D. L. : Parler, est-ce un risque ? Faut-il se taire ?

A. D. : Parler est un des plus beaux risques. On ne dit pas assez à quel point la parole érotique, les mots de l’amour sont importants parce qu’ils relient le corps de l’autre, notre corps et notre intériorité. Mais pouvoir se taire à un moment donné, ne pas tout dire à l’autre, est absolument essentiel. Sinon, on fait de l’autre un parent. A qui doit-on transparence quand on est enfant ? Aux parents.

D. L. : Dire « Je t’aime », est-ce un risque ?

A. D. : Oui, et ce que je trouve assez joli, c’est que ça reste un risque pour toutes les générations. Le moment où on dit « Je t’aime » reste une espèce de saut dans le vide vertigineux. C’est étonnant que cette parole ait perduré le long de toutes les métamorphoses des siècles comme un des moments les plus intenses du risque. Le seul vrai « Je t’aime », c’est celui qui est donné et qui n’attend pas de réponse.


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