lundi 11 février 2019

HARA (3)


Est-ce quelque chose qui est toujours là, et auquel on doit se reconnecter, en quelque sorte, ou bien est-ce quelque chose qu’il faut développer, comme on développerait un muscle par exemple ? 


Ce n’est pas un travail de construction de quoi que ce soit. Je peux me construire un biceps plus puissant que celui que j’ai en m’exerçant avec des haltères. J’agis sur cet objet qu’on appelle le bras, le muscle gonfle, et j’ai à ma dis-position une force que je ne possédais pas. Mais hara ce n’est pas une force de cet ordre-là, c’est la force qu’on est.
Hara, n’est pas de l’ordre du faire. L’acte de respirer n’est pas à faire. Chaque jour, au cours de la pratique de la méditation de pleine attention, je suis saisi par l’étonnement : En ce moment je inspire et « moi » je n’y suis pour rien ; en ce moment je expire et « moi » je n’y suis pour rien. C’est dans ce « je n’y suis pour rien » que je fais l’expérience d’être centré (hara). Expérience momentanée du calme intérieur, du silence intérieur. S’impose alors la question : comment faire, ou quoi faire, pour devenir celui que je découvre dans cette expérience. Je ne peux donner qu’une réponse à cette question : c’est une bonne raison pour reprendre l’exercice demain. 


Ce sont donc principalement les pensées qui font obstruction à l’expression de cette vitalité ? 

Je crois que les pensées ne font obstacle à rien. Au cours d’une sesshin, j’avais dit à un roshi, un maître japonais : « Comment puis-je faire pour ne plus penser ? J’ai l’impression que dans la pratique de la méditation, ou les autres exercices, la pensée est tellement souvent présente, obsédante... » Il m’a dit « Soyez heureux que vous pensiez encore. Si vous ne pensez plus, c’est que vous êtes mort. Mais ne vous attachez pas à vos pensées. » Il ne s’agit pas de crier haro sur les pensées, mais de se glisser dans le sentir. Le corps vivant est un champ de conscience à travers le sentir. Tout ce qui se présente à l’être humain, comme à l’animal, se présente à travers les sens. Il n’y a pas de sensation qui serait possible il y a 10 minutes ou dans 10 ans, c’est donc une plongée dans le moment présent, et hara c’est aussi ça : vivre le moment présent. Se glisser dans le sentir ! Pour Graf Dürckheim c’était vraiment un travail fondamental. Un jour il m’avait dit « vous savez, il y a deux approches du réel : notre approche habituelle du réel, c’est le concept, la pensée. L’homme occidental pense le réel comme étant un ensemble d’objets. » Entre parenthèses, l’homme occidental fait du hara un objet de la pensée, ou un objet qui serait quelque part dans le corps vivant.
Et il poursuit « Ce que j’ai appris pendant mon séjour au Japon, pendant une dizaine d’années dans le monde du zen, c’est que l’homme oriental voit le réel comme un ensemble de proces-sus, un événement. Tous les exercices que vous pratiquez ont pour but, au fond, de ne pas rester enfermé dans cette seule approche du réel, « la pensée », et de découvrir l’autre approche du réel, à travers « le sentir ».


'Tous les exercices que vous pratiquez ont pour but, au fond, de ne pas rester enfermé dans cette seule approche du réel, « la pensée », et de découvrir l’autre approche du réel, à travers « le sentir ».'

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