dimanche 28 novembre 2010

Le buisson ardent avec Philippe Mac Leod

Réchauffons-nous auprès du feu des mots de Philippe Mac Leod :

Habituellement, nous projetons en Dieu les contours les plus sommaires de notre psychologie, alors qu'il se donne comme l'horizon de notre personne humaine. Je veux dire par là que nous ne nous comprenons bien qu'à la lumière de sa transcendance, en découvrant les liens qu'elle entretient avec ce que nous sommes au plus profond, en concevant enfin la personne comme une intimité et non plus comme une individualité.

Pour mieux l'entendre, je t'engage à fermer les yeux un moment, comme on prend du recul, et à descendre avec ton esprit à l'intérieur de ton cœur pour tenter d'approcher ce qui nous définit ou nous distingue comme personne : non pas une volonté, une raison, qui restent l'individu, encore moins les pensées qui tournoient sous la voûte de ton crâne et qu'il te faut écarter comme les feuilles coupantes d'une forêt vierge ; non plus seulement cette conscience vague dans laquelle nous baignons, mais plus loin, plus au fond, plus clair et plus aigu, quand le sentiment de soi s'affine dans le silence du recueillement, ce vibrato, ce chant de source, à la fois changeant et immuable, immobile et fuyant, cette note longuement tenue, ce murmure universel qui nous traverse de part en part, ce sentiment d'une rare pureté de l'être que nous sommes, ici et maintenant, et qui ne peut surgir qu'en parvenant à notre extrême singularité – oui, cette intériorité de plus en plus ouverte à mesure qu'elle se creuse et qui sonne comme l'alpha et l'oméga de toute chose.

C'est bien là, au plus secret, au plus désert de moi-même que j'entends retentir le nom de Dieu, comme Moïse dans le buisson qui brille sans jamais se consumer et lui murmure ce «Je Suis» que nous pouvons expérimenter en chacun de nous, dans un silence d'une acuité qui illumine notre conscience la plus intime, d'une densité qui fait d'elle un feu palpitant, une flamme qui brûle et s'élève éternellement à l'intérieur de chaque être. Aucune image de soi ne résiste à cette révélation d'une présence nue, éclatante, qui fait que les choses sont, en les habitant, en les enveloppant, une présence qui dans le même temps ouvre l'espace du monde où nous pouvons à notre tour la rejoindre. « Je suis celui qui suis. » « Je suis "Je suis". » Il nous faut ramasser toute notre existence pour entendre ce nom, pour l'entendre résonner et réveiller l'être que nous sommes. Et c'est là que nous-mêmes devenons une personne, à son image et ressemblance, autrement dit une présence, une intimité, comme s'il était donné à chacun de porter l'intérieur du monde - et en vérité il n'est pas d'autre sens à l'intériorité humaine, en vérité il n’est pas d'autre trésor que cet immense et fragile sentiment de soi.

Comprends-tu maintenant ? Ce que nous appelons « l'amour de Dieu pour les hommes », qui se manifeste en plénitude dans l'incarnation, n'est autre que le murmure de son nom qu'il nous souffle éternellement, le feu de sa présence éternelle qui ne cesse de monter du foyer de notre conscience, pour peu qu'elle sache suspendre un moment son activité, se déchausser et s'agenouiller. Il ne nous aime pas extérieurement, occasionnellement, comme nous-même le faisons, mais intérieurement - d'un mot savant, je dirai : ontologiquement -, c'est-à-dire par son être et par l'être que nous sommes, en nous communiquant, nous transfusant sans cesse sa vie, en l'engendrant, en la multipliant, et c'est bien ce flux, son passage à travers nous, la joie, la plénitude qu'il laisse dans son sillage, que nous nommons « amour ».


Voir un portrait de Philippe Mac Leod

Source : La Vie - novembre 2010