dimanche 19 mai 2013

A la grand-messe des faux dieux avec Alexandre Jollien


Mille et un chemins conduisent aux petits et grands esclavages quotidiens. Un péril sous-estimé et, cependant, des plus pernicieux se cache derrière l'idolâtrie. Le mot sonne comme désuet et d'un temps reculé. Pourtant, plus d'un tombe encore dans le panneau. L'un vénérera sa voiture, l'autre, telle vedette de cinéma. Celui-ci adorera une caricature d'un Tout-Puissant conçu par lui de toutes pièces. Bref, il n'est pas inutile de se demander, très simplement, devant quoi je suis enclin à plier le genou. Quelles fausses divinités peuplent le ciel de ma vie et m'empêchent d'embrasser l'existence sans perdre ma liberté devant quiconque, Père céleste, femme, homme ou objet ?

Le mot « idolâtrie » vient du grec eidôlo-latri: culte des images. Idolâtrer, c'est aussi réduire Dieu, refuser sa transcendance. Le Très-Haut est toujours plus haut que nos représentations et très loin de nos préjugés. Mais une société comme un individu peuvent inventer leurs dieux et rendre des cultes singuliers aux dernières idoles à la mode. Le sexe, l'argent, le pouvoir, le bien-être à tout prix, tels sont sans doute les autels qui accueillent pas mal de fidèles à leurs grands-messes. Il faut un certain courage pour s'en détourner, tranquillement. Le confort d'une existence bien rangée et sans problèmes, les sous, le plaisir, la réussite sociale, voilà qui risque aussi de devenir plus important que la vie, que l'essentiel !

Plus profondément, les faux dieux qui nous asservissent et nous aliènent sont sans conteste les convictions, les doctrines, les croyances auxquelles je m'accroche sans lâcher. Un manque d'humilité pousse très souvent à se prosterner devant le moi, à vouer un culte à ses propres idées en rejetant par là ce que je suis de grand sous ce fatras d'étiquettes et d'images vieillies.


Lorsque j'étais petit, on me mettait durement en garde contre l'idolâtrie sans pour autant me montrer qu'en sortir c'est pleinement entrer dans une liberté inestimable. Je me souviens de cette religieuse qui, à chaque fois que je disais : « J'adore ce dessert ! », me rétorquait sèchement: «On n'adore que Dieu. » Un enfant adore une pomme et, dans son innocent plaisir, toute la Création est louée. Par contre, avoir un trop grand souci de soi, vouer un culte inconsidéré à l'approbation des autres ou, à l'inverse, demeurer indifférent à l'opinion d'autrui, c'est tout sacrifier sur l'autel d'un ego affamé et s'adorer dangereusement. 

A présent, je reçois la mise en garde biblique comme un hymne à une authentique liberté intérieure, celle qui ne s'accroche à rien, qui ne fait pas de ses représentations une prison étriquée pour ce qui est. Un exercice spirituel m'appelle dès lors à me demander quelles sont les idoles de mon existence. Ce ne sont certes pas les vedettes, ni les stars, mais bien plus précisément une image de soi, mon veau d'or. En parlant de veau, je me souviens du sermon 16b de Maître Eckhart qui enjoint de ne pas considérer Dieu comme une vache à lait dont on jouit de la production sans l'aimer gratuitement. 

Se libérer, ici, c'est se détacher de ses projections. Délivrance qui est l'une des vocations d'une vie spirituelle qui vise à nous aider à accomplir par amour ce que nous étions sommés de faire par devoir. Adorer l'Éternel, c'est habiter librement toute sa Création, contempler sa beauté sans jamais en faire une idole. Le Dieu vivant est toujours transcendant, il transcende tout, même sa transcendance, pour se rendre tout proche de nous, là où aucune idole ne subsiste.

Alexandre Jollien 
source : La Vie