dimanche 20 juin 2021

Rouge et rond comme une cerise...

 L'arrivée des premières cerises ouvrent le champs à des réflexions mélancoliques sur le temps qui passe et la force des liens familiaux.

Chaque année, les premières cerises me rendent rêveuse et nostalgique... Les reflets rubis des grosses cerises burlat, le panaché rose et jaune des bigarreaux, mais surtout le rouge pâle de ces petites griottes rabougries, juste un noyau, à peine un coup de dent autour, et chanceuse encore si on ne tombe pas sur un ver, fort mécontent d'être dérangé dans son déjeuner.

Pff, pff, je recrache tout, je trépigne un peu... « Jette-la, grand-mère, jette-la ! » « Mais non, mon petit, c'est parce qu'elle est délicieuse, cette cerise, qu'il l'a choisie ! » « Grand-mère, je ne veux pas manger de ver, c'est dégoûtant d'abord. » Mais grand-mère sourit, indulgente, pour ce qu'elle considère des caprices de petite fille choyée et citadine.

Le regard d'un enfant de 7 ans


Les cerises, pour elle, c'est un cadeau du printemps, une surprise ardemment attendue, des journées lumineuses dans les difficultés de la vie... « On grimpait sur l'arbre, vois-tu, et on en mangeait, on en mangeait... » Je regarde cette vieille dame, plutôt ronde, qui marche si mal, et je ne la crois pas. Comment serait-ce possible... Je n'ai pas spécialement réfléchi à la question mais c'est tout à fait évident que, même si moi, je change, si je grandis, si je ne suis bientôt plus une enfant, imaginez 7 ans ! l'âge de raison.

Mes parents ont toujours été vieux, parce que ce sont des parents, c'est logique, et ma grand-mère a toujours été extrêmement vieille et a passé sa vie assise dans un fauteuil au soleil dans son petit bout de jardin. Elle a toujours eu cette peau douce toute rose, ces joues un peu froissées que j'aime embrasser, des cheveux blancs tout ébouriffés et des yeux qui se plissent pour mieux me regarder : « Comme tu as grandi ! », me dit-elle chaque fois que j'arrive. Je ne le dis pas, mais je trouve cette remarque un peu bête, les petites filles, c'est fait pour grandir, est-ce qu'elle ne le sait pas ? « Mais tu as déjà eu des petites-filles, grand-mère, tu sais bien que je vais devenir une grande ! »

Un refuge dans ma vie

Aujourd'hui, c'est jour de fête, premières cerises, et un sourire encore plus joyeux que d'habitude ; elle tourne et retourne les fruits dans ses mains, les regarde en transparence, en respire le parfum et sourit : « On se rendait malades, comme tous les gosses, et notre mère nous tirait les cheveux quand on revenait, le tablier tout tâché, la figure toute barbouillée. C'est que les cerises, c'était pour les vendre ; on les rangeait bien proprement dans un panier, et on se mettait au bord de la route. Et gare si on revenait sans argent, et avec une bouche toute rouge ! »

Je n'écoute pas grand-chose parce que je n'imagine même pas de quoi elle parle : jamais mes parents ne m'ont tiré les cheveux, jamais ils ne me laisseraient partir toute seule au bord d'une route, jamais je n'ai mangé de cerises qui n'aient pas été auparavant triées et lavées. Ce que je veux, c'est me blottir contre elle, sentir son souffle sur mes cheveux, ses bras solides autour de moi, sa main qui caresse ma joue.

Ce que je veux, c'est qu'elle soit là, qu'elle me dise que tout va s'arranger, même si je commence à ne plus la croire toujours. Mais elle est un refuge dans ma vie, une certitude, un rempart que, doucement, les jours émiettent, sans que je m'en rende compte. Elle fut mon premier grand chagrin. Aimer, être aimée. Aimer longtemps après que la personne aimée a disparu. Un amour qui continue à nous emplir, un amour rouge et brillant, un amour rond comme une cerise.

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Nonne bouddhiste, Joshin Luce Bachoux anime la Demeure sans limites, temple zen et lieu de retraite à Saint-Agrève, en Ardèche. Auteure de Tout ce qui compte en cet instant chez Points Vivre, et Une saison en méditation, au Cerf.

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