jeudi 30 avril 2020

Témoignage de Magda Hollander-Lafon


Magda Hollander-Lafon (92 ans) fait partie des derniers rescapés d’Auschwitz-Birkenau.
Face à l’épidémie mondiale de coronavirus, elle nous invite à puiser en nous la force de la vie. [extraits]

 « Dans les camps, j’ai connu la peur. La peur de l’autre. La peur vous paralyse, vous n’avez plus de mot, vous n’existez plus. On fait de vous ce que l’on veut.
Dans les camps, un moment, il m’a été donné de ne plus avoir peur : j’ai accepté l’idée que j’allais mourir. En acceptant cette peur, en me disant « je vais mourir », une force de vie est montée en moi, une imagination débordante s’est emparée de moi et j’ai pu inventer la vie.
Si l’on s’approchait de moi pour me battre, et Dieu sait ce qu’être battue dans un camp veut dire, je ne sentais plus les coups. J’étais tellement préoccupée par ce que j’avais à faire, à inventer, pour survivre encore un peu. En nommant la peur, la peur n’a pas raison de nous car, en face d’elle, nous existons.
Le contexte actuel est totalement différent. Même si, en cette période de catastrophe sanitaire mondiale et du confinement qui en découle pour protéger nos vies et celles des autres, nous avons peur.

Nous pouvons nous sentir dépassés, nous replier sur nous, nous sentir victimes ou bien traverser humblement l’événement en nous tournant vers notre intériorité, y retrouver la force de vie qui habite chacun de nous, y puiser la confiance et l’espérance, l’envie de rassembler. Appeler en soi le goût, l’amour des autres, la reconnaissance, la gratitude… 

Aujourd’hui, je suis émerveillée des gestes de solidarité qui se multiplient. Le mot solidarité me touche beaucoup. Être solidaire, c’est reconnaître l’autre dans son existence même. Un regard peut tuer, un regard, un sourire, une parole, un appel téléphonique peuvent appeler à la vie.
Tous ces gestes viennent dire que chacun peut donner le meilleur de soi, mettre son attention, son imagination au service de l’autre.

Développer la présence à soi permet de développer la présence et la reconnaissance de l’autre là où il est. Demain dépend de la manière dont nous vivons ce présent. Ce qui compte, c’est de porter, supporter, assumer une souffrance. Mon expérience des camps m’a donné la certitude que nous possédons en nous une énergie intense et unique par laquelle nous pouvons trouver, chaque jour, la force d’inventer la vie. Cette crise nous invite à plus de solidarité, à puiser en nous-mêmes des ressources que nous ne connaissions pas, à faire de notre mieux, exactement là où nous sommes.

Puisqu'il est question de contagion, que ce soit celle de plus d'amour et de service à l'autre. Alors, il se pourrait que demain nous réserve de belles surprises. »

[8 avril 2020 - Ouest France]

-------------