jeudi 21 mars 2013

Douceur de soi...

L’une des bonnes pratiques que nous saurions faire de la douceur, c’est celle dont le sujet est en nous-mêmes. [...]

Ils font une grande faute ceux qui, s’étant mis en colère, se courroucent de s’être courroucés, entrent en chagrin de s’êt
re chagrinés, et ont dépit de s’être dépités. 

Car par ce moyen ils tiennent leur cœur confit et détrempé en la colère : et il semble que la seconde colère ruine la première, si est-ce néanmoins qu’elle sert d’ouverture et de passage pour une nouvelle colère, à la première occasion qui s’en présentera.
Outre que ces colères, dépits et aigreurs que l’on a contre soi-même tendent à l’orgueil et n’ont origine que de l’amour propre, qui se trouve et s’inquiète de nous voir imparfaits."


François de Sales
Extrait de l’Introduction à la vie dévote, in Œuvres, NRF-La Pléiade, Gallimard.

L'unique innocence avec Fernando Pessoa

Mon regard est net comme un tournesol,
J’ai l’habitude d’aller par les chemins,
Jetant les yeux à droite et à gauche,
Mais en arrière aussi de temps en temps…
Et ce que je vois à chaque instant
Est ce que jamais auparavant je n’avais vu,
De quoi j’ai conscience parfaitement.
Je sais éprouver l’ébahissement
De l’enfant qui, dès sa naissance,
S’aviserait qu’il est né vraiment…
Je me sens né à chaque instant
À l’éternelle nouveauté du Monde…
Je crois au monde comme à une pâquerette,
Parce que je le vois. Mais je ne pense pas à lui
Parce que penser c’est ne pas comprendre…
Le Monde ne s’est pas fait pour que nous pensions à lui
(penser c’est avoir mal aux yeux)
Mais pour que nous le regardions avec un sentiment d’accord…
Moi je n’ai pas de philosophie : j’ai des sens…
Si je parle de la Nature, ce n’est pas que je sache ce qu’elle est,
Mais parce que je l’aime, et je l’aime pour cette raison
Que celui qui aime ne sait jamais ce qu’il aime,
Ni ne sait pourquoi il aime, ni ce que c’est qu’aimer…
Aimer, c’est l’innocence éternelle,
Et l’unique innocence est de ne pas penser.


Fernando Pessoa