jeudi 9 décembre 2021

Le centre spirituel par Jacques Castermane

 Inauguré par K.G. Dürckheim le 12 juillet 1981, à Mirmande,


LE CENTRE DÜRCKHEIM EST-IL UN CENTRE SPIRITUEL ?

La réponse est : Oui ... à condition de distinguer les différentes définitions données à ces différents concepts : spirituel, exercice spirituel, expérience spirituelle, vie spirituelle. Ainsi, « On se trompe si on confond la vie spirituelle avec la religion qui n’est qu’une des façons de la vivre. La spiritualité est une dimension de la condition humaine, non le bien exclusif des Eglises »

Si je reprends ce que nous a dit André Comte-Sponville (1) au cours des nombreuses leçons de philosophie dont nous avons bénéficié au Centre, c’est parce que Graf Dürckheim, dès les années 1950, souligne que « Ce qu’on désigne comme étant l’expérience spirituelle (l’expérience mystique, le satori) n’est pas due au fait que l’homme qui fait cette expérience est chrétien ou bouddhiste mais parce qu’il est un être humain ».

Et le vieux sage de la Forêt Noire ajoute : « M’intéresse dans le Zen ce que cette tradition recèle —d’universellement humain— ».

La Voie spirituelle proposée au Centre Dürckheim est le Zen, un chemin d’expérience et d’exercice qui n’est en aucun cas enchaîné à une confession religieuse.

UN CHEMIN D’EXPÉRIENCE ! IL S’AGIT DE L’EXPÉRIENCE DE LA TRANSCENDANSE ?

Transcendance. C’est un mot que Graf Dürckheim n’hésitait pas à prononcer mais l’expression qui semble lui être propre était « Transcendance Immanente ». Il s’agissait pour lui d’une Réalité qui nous dépasse et qui, en même temps était le cœur de tout être vivant. Il s’agit de ce qui tout à la fois nous dépasse infiniment mais qui, nous dépassant, est le fondement intime de ce processus de transformation qu’est l’acte de vivre.

Plus je pratique zazen et plus il me semble que ce qu’on désigne comme étant la transcendance est l’immanence lorsqu’elle est pensée alors que l’immanence c’est la transcendance lorsqu’elle est vécue. Au cours des cinq années passées en Forêt Noire j’ai pu observer que les croyances et les rituels qui sont traditionnellement liés à l’expérience spirituelle et à la vie spirituelle cédaient le pas à l’exigence de la pratique d’un exercice indubitablement corporel et spirituel appelé -zazen- et au débordement de cette manière d’être au monde dans la vie quotidienne. Ce qui n’interdisait à personne ni la croyance ni la foi. Nonobstant, ni la croyance ni la foi n’autorisent à séquestrer l’exercice appelé zazen dans le cadre enserré de ses propres croyances, même si on fait don de sa vie pour celles-ci. (2)

ZAZEN ! UN EXERCICE CORPOREL ?


Oui. Un exercice qui engage le corps-vivant dans sa globalité et son unité (LEIB dans la langue allemande). Le tout corps vivant que l’homme ‘’EST‘’ ; à ne pas confondre avec le corps que l’homme ‘’A‘’ (KÖRPER dans la langue allemande).

Körper : (étymologie : le mot latin corpus) est le corps disséqué, morcelé ; c’est le corps objectivé, le corps-objet, le corps-outil, le corps-paraître. Körper est pensé comme étant la somme des éléments qui le composent (+ ou- 206 os, + ou- 600 muscles, + ou- 70 organes, + ou- 30 milliards de cellules, 23 paires de Chromosomes dans chaque cellule, chaque chromosome porte + ou – 2000 gènes).

Leib : (étymologie le verbe Leben, vivre) n’est pas quelque chose mais un événement qui associe un ensemble de gestes à travers lesquels l’homme se présente, devient ce qu’il est ou se manque (KGD).

VOUS SEMBLEZ PRÉFÉRER LE MOT ZAZEN AU MOT MÉDITATION ?

Il ne s’agit pas d’une préférence mais du respect d’une différence, d’une énorme différence. « Il y a mille et une manières de méditer mais il n’y a qu’une manière de pratiquer zazen ! C’est ce que n’a cessé de répéter le Maître zen Hirano Katsufumi Rôshi (3) au cours des sesshin qu’il a animé au Centre Dürckheim pendant une dizaine d’années. Une différence qui est insaisissable par la pensée.

« Chercher à comprendre le Zen n’est rien d’autre que pratiquer zazen. »

Autrement dit, si vous désirez savoir si l’eau est chaude ou froide ... trempez le coude dans l’eau, comme le font toutes les mamans du monde avant de plonger leur bébé dans le bain. Aucune mesure quantitative, objective, scientifique, ne peut remplacer cette expérience qualitative qu’est l’expérience de notre vraie nature, de notre propre essence.

Jacques Castermane

(1) André Comte-Sponville : « On a été habitué, pendant vingt siècles d’Occident chrétien, à ce que la seule spiritualité socialement disponible soit une religion, au sens occidental du terme, c’est-à-dire ne croyance en un Dieu, un théisme. On a donc fini par croire que les mots “religion” et “spiritualité” étaient synonymes. Il n’en est rien. Il suffit pour s’en rendre compte de prendre un peu de recul, aussi bien dans le temps, du côté des sagesses antiques, que dans l’espace, du côté des sagesses orientales, spécialement bouddhistes ou taoïstes. On découvre vite qu’il existe d’immenses spiritualités sans croyance en un Dieu ou en une transcendance. C’est ce que j’appelle des spiritualités de l’immanence. Cette manière d’envisager la spiritualité n’aurait pas du tout choqué un épicurien ou un stoïcien de l’Antiquité. Elle ne choquerait pas un bouddhiste d’aujourd’hui. Elle n’est paradoxale que dans un univers monothéiste, et judéo-chrétien en particulier. Comme je suis athée, j’ai dû m’appuyer sur des traditions différentes, à savoir les sagesses grecques, d’une part, et les spiritualités orientales, d’autre part. Sans mépriser pour autant la tradition judéo-chrétienne, qui m’intéresse surtout par sa morale, celle des Évangiles. Mais bouddhisme ou taoïsme sont plus proches de ma conception de la spiritualité, pour la simple raison qu’elles ne font aucune référence à quelque Dieu que ce soit ».

(Lire L’esprit de l’athéisme —André Comte-Sponville —Ed. Albin Michel)

(2) lire à ce propos la lettre d’Instant en Instant n° 96, (Octobre 2021) :

 Le soi Nu (Shohaku Okumura Rôshi)

(3) Nous venons d’apprendre le décès de Hirano Rôshi, survenu le samedi 27 novembre 2021

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