dimanche 10 mai 2020

Le cœur nu...


"Imaginons que nous sommes assis par terre, nus, touchant le sol de nos fesses nues. Puisque nous ne portons ni foulard ni chapeau, nous sommes également exposés au ciel. Nous sommes pris en sandwich entre le ciel et la terre : un homme nu ou une femme nue, assis entre ciel et terre.

La terre reste toujours la terre. La terre laisse quiconque s'asseoir sur elle et jamais elle ne cède. Elle ne fait jamais faux bond ; on ne tombe pas de la terre pour aller se perdre dans l'espace intersidéral. De même, le ciel reste toujours le ciel ; il reste toujours le ciel au-dessus de nous. Qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il fasse beau, le jour comme la nuit, le ciel est toujours là. En ce sens, nous savons que le ciel et la terre sont dignes de confiance.
En photo, deux grands guerriers et amis réunis sur une scène : 
Allen Ginsberg le poète de la beat generation, 
et Chögyam Trungpa le maître de méditation.

La logique de la bonté fondamentale est analogue. Lorsque nous parlons de la bonté fondamentale, nous ne voulons pas dire qu'il faille prendre position pour le bien et rejeter le mal. La bonté fondamentale est bonne parce qu'elle est inconditionnelle, parce qu'elle est primordiale. Elle est toujours déjà là, de la même façon que le ciel et la terre sont toujours déjà là. On ne rejette pas l'atmosphère. On ne rejette pas le soleil et la lune, les nuages et le ciel. On les accepte. On accepte le fait que le ciel est bleu ; on accepte les paysages et la mer. On accepte les autoroutes, les immeubles et les villes. La bonté fondamentale est à ce point fondamentale, à ce point inconditionnelle. Ce n'est pas un parti pris pour ou contre, de la même façon que la lumière du soleil n'est ni pour ou contre quoi que ce soit.
Les quatre saisons se succèdent libres des exigences des gens, sans que personne n'ait besoin de voter pour elles. La peur et l'espoir ne peuvent changer le cours des saisons. Il y a le jour ; il y a la nuit. La nuit il fait noir et le jour il fait clair, sans qu'il soit besoin d'ouvrir et de fermer un commutateur. Il y a une loi et un ordre naturels qui nous permettent de survivre et qui sont fondamentalement bons ; ils sont bons parce qu'ils sont là, parce qu'ils fonctionnent, parce qu'ils sont efficaces.

Lorsqu'on est assis dans la posture de méditation, on est exactement l'homme nu ou la femme nue que nous avons décrits plus haut, assis entre ciel et terre. Affaissés, nous essayons de cacher notre cœur, de le protéger en voûtant le dos. Par contre, dans la posture de méditation, assis droits mais détendus, notre cœur est à nu. Tout notre être est exposé, en premier lieu à nous-mêmes, mais aussi aux autres. C'est pourquoi lorsque nous nous exerçons à rester assis dans le calme et à suivre notre souffle à mesure qu'il sort et qu'il se dissout, nous établissons un contact avec notre cœur. En nous laissant tout simplement être tels que nous sommes, nous commençons à éprouver une réelle sympathie envers nous-mêmes.

Quand nous éveillons ainsi notre cœur nous découvrons avec surprise qu'il est vide. Nous constatons que nous regardons l'espace. Que sommes-nous, qui sommes-nous, où est notre cœur ? Si nous regardons vraiment, nous ne verrons rien de tangible ni de solide. Bien sûr, il se peut que nous trouvions quelque chose de très solide si nous en voulons à quelqu'un ou si nous vivons un amour possessif. Mais ce n'est pas là un cœur éveillé. Si nous cherchons le cœur éveillé, si nous creusons dans notre poitrine pour le trouver, nous n'y découvrirons rien d'autre qu'une sensation de tendresse.

Habituellement, être courageux veut dire ne pas avoir peur, ou alors retourner les coups que l'on reçoit. Mais ici nous ne parlons pas du courage des bagarres de ruelle. Le véritable courage est le produit de la tendresse. Il survient lorsque nous laissons le monde effleurer notre cœur, notre cœur si beau et si nu. Nous sommes disposés à nous ouvrir, sans résistance ni timidité, et à faire face au monde. Nous sommes disposés à partager notre cœur avec les autres."

Chögyam Trungpa
(Shambhala, la voie sacrée du guerrier)

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