dimanche 21 juin 2015

L'humilité avec Philippe Mac Leod

Descendre. Descendre encore. Toujours descendre, car c’est par le fond qu’on grandit. Non plus en se hissant, mais par le bas, en descendant toujours plus loin à l’intérieur de soi, vers le centre, vers le fond, et en se délestant, en se désappropriant à mesure que s’effectue cette descente. L’humilité nous conduit tout droit à la racine de l’être : elle est le chemin de l’intériorité, elle replace tout à la lumière de cette dimension qui nous rend à la vérité de notre être le plus profond. C’est pour cela qu’elle seule nous mène à Dieu, parce que Dieu est intérieur à l’homme, et qu’il n’envahit l’existence qu’à partir d’un point de rayonnement. La source intérieure ne pourra que déborder. Mais il nous faut d’abord la rejoindre, nous y aboucher, rétablir la jonction.

L’humilité n’advient qu’à partir du moment où je cesse d’exister par rapport à une image. L’homme spirituel peut alors se manifester, l’homme humble, l’homme vrai, tellement vrai qu’au milieu du paraître généralisé il en devient extraordinaire. L’humilité se reconnaît à cette sorte de grandeur inversée, comme une respiration secrète, l’équilibre de l’homme qui toujours reprend appui sur ce fond de lui-même où il est seul avec son Dieu, au moyeu, au centre du centre.

Dans l’exemple comme dans l’enseignement que nous laisse le Christ, il y a toujours un saut qualitatif à opérer. Ainsi, on comprendra mal l’humilité du Fils de Dieu si on ne la replace pas sur son axe véritable, qui est le plus haut vers le plus bas, le plus haut pour le plus bas, pour le relier, ou le rallier, qui est le sens véritable de la réconciliation. Et le disciple ne fera pas autrement. Il sera d’une exigence sans pareille dans sa vie spirituelle : il puisera au plus haut, au plus loin, afin de nourrir jusqu’aux plus petits d’entre ses frères – comme la source pure, qui nous vient des sommets inaccessibles pour irriguer les vastes plaines, en sachant qu’il faut travailler longtemps en amont pour transmettre peu, un peu qui doit être d’une qualité rare, la perte inévitable tenant à la transformation nécessaire d’un vécu propre en nourriture assimilable par le plus grand nombre. 
L’humilité ne se mesure pas à son point d’arrivée, mais à son point d’origine. L’humilité n’a donc pas grand-chose à voir avec la modestie, toujours un peu à l’étroit. Ample et profond à la fois, le mot lui-même déploie un équilibre si noble, si large dans sa simplicité. Toute la terre en lui se rassemble, toute l’humanité mêlée à cette terre qui la porte et qu’elle porte en elle. Humilité aux sonorités assourdies, qui collent au sol comme des marches à descendre…

Il n’y a que l’amour qui puisse s’abaisser avec tant de grâce, car l’humilité ne réside pas dans la petitesse de nos aspirations, la pâleur de nos ambitions, une médiocrité de fait à laquelle il faudrait nous accommoder par la force des choses. C’est parce que nous avons le sens de la grandeur, c’est parce que nous sommes habités par la sainteté, que nous ressentons notre petitesse. Et nous nous reconnaissons d’autant mieux petits qu’au plus profond nous sommes grands. Telle est la leçon de Bernadette à Lourdes, qui avait une idée trop haute de l’exigence évangélique pour se laisser prendre aux mirages de l’élection. Les apparitions ne lui octroient aucun privilège. Au contraire, à la lumière de leur grâce elle mesure mieux la distance qui lui reste à parcourir. Elle cheminera comme les autres, mais dans une clarté qui seule fait la sainteté.