mardi 3 avril 2018

Après le carême, un bonheur renouvelé




© Julia Spiers pour La Vie



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« Le bonheur n'est pas le but mais le moyen de la vie », écrivait Paul Claudel. Ainsi, le bonheur n'est pas, ou pas seulement, un simple objectif existentiel, mais avant tout une ressource : une force pour affronter les adversités d'une vie humaine, et une intelligence pour en savourer les beautés. Nos capacités au bonheur se trouvent-elles accrues après le temps du carême ? Oui, si l'on réfléchit attentivement aux trois piliers qui constituent ce dernier – jeûne, don et prière –, tous trois de nature à profondément enrichir notre bonheur. 
Le jeûne, dont nous avons vu qu'il n'était pas une simple privation (de nourriture, d'alcool, de sucre, de temps d'écran...), mais une clarification de nos habitudes. Il nous permet de mieux comprendre comment certaines dépendances ont pu s'installer en nous, alors qu'elles ne correspondent ni à des besoins fondamentaux, ni à des aspirations spirituelles. Et de mieux comprendre ce dont nous avons vraiment besoin, ce qui nous nourrit véritablement. C'est ce que racontent toutes les personnes qui ont conduit un jeûne radical sur plusieurs jours : on découvre que la sensation de faim n'est pas si compliquée à surmonter, mais surtout qu'ensuite, on savoure beaucoup mieux le goût des aliments, et qu'on sait mieux ce qu'est la faim, parce qu'on s'est débarrassé de toutes ses fausses faims (manger parce que c'est l'heure, parce que ça sent bon, parce qu'on ne se sent pas en forme...). Le carême peut nous aider à choisir nos sources de bonheur : acheter et consommer ou savourer et partager ? Facilité ou exigence ? 
Car le bonheur ne rend pas mou et soumis, comme le croient les impuissants. Il est, au contraire, le constructeur de fortes charpentes, des bonnes révolutions, des progrès de l’âme. – Jean Giono, La chasse au bonheur
Le don, second pilier du carême, a été l'objet de nombreuses études scientifiques, qui aboutissent toutes aux mêmes conclusions : donner rend heureux, tout simplement. Cette vérité, qui échappe aux égoïstes inquiets, est une évidence pour les chercheurs et les altruistes. Et fonctionne d'ailleurs à double sens : se sentir heureux augmente aussi la tendance à aider, à donner, à partager, à se rapprocher d'autrui. Enfin, les théories de la neuroplasticité nous disent ceci : plus nous pratiquons un comportement, plus il a tendance à s'installer dans la durée. Avoir fait « l'effort » de donner davantage durant le carême va laisser une trace en nous, et nous aider à donner encore plus facilement et joyeusement à l'avenir. Et donc nous rendre plus profondément et authentiquement heureux. 
La prière, troisième pilier du carême, a également été étudiée dans ses rapports avec le bien-être psychologique : prier fait du bien à nos esprits et à nos corps. Bien évidemment, on ne prie pas pour cela : la prière est d'abord un acte de foi. Mais il est réconfortant et touchant de savoir, au-delà du lien qu'elle nous permet d'établir avec notre Dieu, combien elle nous est bénéfique. Parce qu'elle apaise nos angoisses, parce qu'elle donne du sens à nos souffrances, parce qu'elle nous aide à ouvrir les yeux sur les grâces du quotidien, parce qu'elle nous amène à cultiver l'espérance et la gratitude, la prière nous apporte davantage de bonheur, et un bonheur d'une qualité profonde, loin de toute forme de matérialisme ou d'égoïsme, mais ouvert sur l'humain, l'infini, et le divin. 
On parle parfois en psychologie de rémanence pour décrire la persistance de phénomènes dont les causes se sont interrompues. Il existe clairement un effet de rémanence aux efforts du carême : outre la persistance des habitudes modifiées, retrouvées, figure le renouveau de nos capacités au bonheur. Ainsi, le temps du carême peut nous aider non seulement à mieux vivre notre foi, mais aussi à mieux vivre notre vie. Qui s'en plaindra ?

Deux chemins

La philosophie grecque comme la science considèrent qu'il y a deux voies vers le bonheur : l'hédonisme et l'eudémonisme. L'hédonisme, c'est le bonheur par la répétition et la fréquence des émotions agréables. Cultiver des ressentis de bienveillance, de gratitude, de sérénité, savourer les petits plaisirs du quotidien, tout cela va accroître notre sentiment d'avoir une vie heureuse. L'eudémonisme, c'est le bonheur par le sens donné à nos actes et à nos choix existentiels : nos engagements religieux, caritatifs, associatifs, voire professionnels ou politiques, ne nous procurent pas forcément des émotions agréables. Mais sur la durée, ils sont indispensables au sentiment d'une vie heureuse. Nos engagements donnent un sens à notre bonheur et nos plaisirs lui offrent de l'énergie. Ne renonçons pas aux seconds, nous avons besoin d'eux. Mais n'oublions pas les premiers, pour que notre bonheur ne tourne pas à vide !


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