dimanche 25 juin 2017

Pardon avec Tim Guénard

Y a-t-il des situations difficiles à pardonner ?


Oui, tout ce qui touche les enfants abusés, les choses qui atteignent la croissance physiologique. Avant de pardonner, il faut déjà digérer. Pour moi, le plus dur dans mon pardon, c’était l’atteinte au corps parce que le fait d’être cassé partout, d’avoir subi des choses pas très jolies, tu ne t’aimes plus. Tu es abîmé avant d’être fini. Tu as des peurs, des manques de confiance. On a atteint ton image, une image divine. 

Le Big Boss a dit : « tu honoreras ton père ou ta mère » et non pas « tu aimeras ton père ou ta mère » parce qu’il sait qu’il y a des papas et des mamans qui sont plus durs que des Everest, des Kilimandjaro, sommets presque inatteignables. Je trouve ça très beau qu’il n’ait jamais dit « tu aimeras ». Je pense qu’il sait qu’il y a des papas et des mamans faciles à aimer mais que d’autres sont inatteignables, c’est-à-dire qu’ils sont des sommets dangereux. 


Donc, pour certains petits enfants, il est normal qu’ils ne puissent pas accéder au pardon tout de suite. Ils vont devoir d’abord se « déséquestrer » de leur histoire. Le premier temps, c’est de se reconnaître vierge.  Il m’est arrivé de dire à des prostituées qu’elles étaient vierges : « ton âme est vierge ». L’homme peut tout salir, sauf ton âme, c’est-à-dire l’intimité de ton intimité. Du coup, il faut toujours donner quelque chose de propre à quelqu’un qui a quelque chose de sale. Personne ne peut salir le cœur du cœur. C’est l’âme qui alimente le cœur. C’est le disque dur de la pureté. C’est pour ça que tout le monde est récupérable.


Le problème de nos rancunes, c’est d’accuser, parce qu’on a été blessé. La blessure devient une accusatrice. Au début, c’est une réalité et après, le danger, c’est de l’entretenir en devenant accusateur. On honore la date anniversaire à tel point qu’elle va nous séquestrer, nous anesthésier et elle peut devenir une maladie psychique en ayant décidé de toujours voyager avec sa souffrance. C’est pour ça qu’il y a beaucoup de malades psychiques qui pourraient guérir. Il suffit qu’ils choisissent de se délester comme le voyage en montgolfière. 


Si on veut aller plus haut et plus loin, il faut lâcher du poids et ce n’est pas jeter. Pardonner, ce n’est pas oublier, c’est savoir vivre avec. Ta plus grande ennemie, ce n’est pas ta souffrance, c’est ta mémoire, car elle te rappelle que tu as souffert tel jour et elle va avoir le bon plaisir de te le rappeler. Elle va prendre de plus en plus d’espace. 


C’est là où la dimension spirituelle devient un cadeau, car tu prends conscience que tu es un tout pour tout et non pas un tout pour rien. Et c’est ça Dieu. Il va falloir que tu deviennes l’ami de ta mémoire, c’est-à-dire qu’en pardonnant, elle ne va pas se sauver. Et du coup, tu es comme une belle bagnole. La belle bagnole ne reste belle et propre que parce que le gars qui aime sa bagnole la regarde, la nettoie mais il ne se dit pas que c’est le dernier lavage. Le pardon, c’est ça. Tu pardonnes une fois, c’est un lavage, ce n’est pas définitif. Tu vas te resalir mais ce n’est pas grave, tu iras te relaver. Du coup, la mémoire n’efface pas. Elle devient une archive dans laquelle tu peux aller faire des visites et tu prends ce qui est bon et ce qui n’est pas bon. 


Quand tu vis sans le Big Boss, c’est-à-dire par toi-même, tu restes dans la rancune et tu te laisses polluer. Le jour où tu rencontres ta dimension spirituelle, tu acceptes qu’il y ait des choses qui te dépassent qu’on appelle les rencontres. Un tel va dire tout haut ce que tu penses tout bas et tu vas dire : « putain je suis normal »...




Pourrait-on dire que le pardon est une nécessité biologique ?

Moi je dirais que c’est le GPS du bonheur. Tu ne peux pas continuer la route vers le bonheur si tu ne rentres pas le pardon dans ton GPS. Tu ne verras personne d’accompli. Toutes les belles personnes que tu vois, ce ne sont pas des gens qui s’embarrassent du passé mais qui l’ont offert. Tu le vois chez les gens qui ont été dans les camps à Auschwitz, ceux qui ont vécu de grands drames, quand tu les regardes, ils sont beaux. Leur passé, ils l’ont vécu mais il ne les empêche pas de vivre. Ils ont fait paix avec leur histoire.

Mère Teresa, on lui avait interdit d’aller voir son papa et sa maman mourir, tout prix Nobel qu’elle était. Est-ce que tu ne crois pas qu’elle avait un pardon à vivre, toute sainte qu’elle était ? Est-ce que tu ne crois pas qu’elle a connu une colère, qu’elle a connu un pardon à vivre. Le GPS de mère Teresa a été justement d’être un pardon infini parce qu’elle a ressenti Jésus au démarrage. Elle a eu des coups de chaleur avec Lui. Tant qu’elle était en activité, elle servait le pauvre comme elle servait Jésus. Quand elle était en non-activité, en état de prière, elle était remplie d’angoisses. Ne crois-tu pas qu’elle a renouvelé ses pardons indéfiniment ? Marthe Robin qui a fait un bien fou à des quantités de gens du fond de son lit, eh bien elle était toute petite devant le suicide de son frère, elle qui a sauvé tant de monde. Est-ce que tu ne crois pas qu’elle a été confrontée aussi à des combats pas possibles ? Ce sont les saints de notre temps. Je pense que pour aller vers la route du bonheur, tu ne peux pas le vivre sans ce GPS du pardon. Si tu refuses le pardon, tu refuses le bonheur. Quand tu pardonnes, tu te sens léger.





extrait inédit du magazine Reflets (n° 23)