mercredi 29 juillet 2020

Méditer avec Matthieu Ricard (3)

L’esprit est comme un gamin capricieux, comme un singe qui saute de branche en branche.

On peut méditer en se concentrant sur son souffle. Sur une image, est-ce une alternative ?
Méditer, c’est cultiver son esprit – bhâvana en sanskrit. Une méditation spécifique est l’entraînement à l’attention. Empêcher l’esprit de papillonner ou de vagabonder. Donc on essaie de trouver des objets de concentration. Le souffle, c’est bien car c’est invisible. Si vous cessez de faire attention, rien ne vous rappelle à l’ordre, ce n’est pas comme lorsqu’une lumière rouge clignote. Les images sont aussi des supports. Par exemple, on peut regarder un dessin ou une statue du Bouddha, visualiser tous les détails. Puis, les yeux fermés, se représenter cette image. C’est un moyen de focaliser l’esprit. Méditer sur le visage du Bouddha, emblème de sagesse et de compassion, c’est mieux que sur celui d’un dictateur ! Un beau paysage, c’est différent, c’est plutôt une évocation. Notre petit ego étriqué se dissout dans son immensité. Il ouvre l’esprit et peut apaiser. Il renforce le sentiment d’interdépendance, d’appartenance. L’émerveillement suscite un respect, incite à prendre soin de la nature, des êtres humains. Moi, si je suis dans une situation compliquée, je m’imagine sur le balcon de mon ermitage face à l’Himalaya et je me dis : « Ce n’est pas grave, ça va se tasser. » La méthode psychologique consistant à se représenter une image positive est assez efficace pour soulager les migraineux, par exemple. C’est le pouvoir de visualisation. Mais l’image n’est pas un support classique de méditation.
L’amour altruiste fait encore plus de bien en temps de crise. Expliquez-nous pourquoi.
C’est simple. Il s’agit de nourrir une pensée dont le but est de soulager la souffrance d’une personne. Pas de recueillir des louanges. Ce n’est pas pour se faire du bien. Mais quand on commet un acte de générosité, de bonté désintéressée, on se sent en harmonie avec soi-même. Donc, c’est aussi une bonne façon d’être satisfait. Comme quand on cultive un champ de blé pour nourrir sa famille : vous n’avez pas fait tout ça pour la paille, mais elle est là, en bonus. L’amour est l’émotion par excellence. Il ouvre l’esprit, s’accompagne d’une cohorte d’autres affects positifs. L’amour altruiste – ou, dit plus simplement, la bienveillance – est la meilleure expression de la nature humaine. Pendant cette crise, il semble qu’il se soit développé. En Angleterre, plus de un million de personnes se sont proposées pour conduire des gens dans les hôpitaux, apporter de la nourriture à des personnes âgées, etc. C’est magnifique. Lors des catastrophes naturelles, la solidarité est toujours immense. Il y a plus de comportements altruistes, des études l’ont prouvé. Cette fois, en Europe, il s’est produit un curieux mélange : il a fallu cultiver la distanciation physique, pour éviter de contaminer sa famille, et rester ouvert aux autres. En Orient, on n’a pas connu cette méfiance personnelle.

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